434
LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.
France de sérieux dangers pour l'équilibre
général.
Ce traité fut signé au milieu de la joie des
coalisés, tous fort contents d' etre solidement
liés et largement subventionnés, excepté l'Au–
trichc pourtant, qui tout en voyant dans la nou–
velle alliance de précieuses garanties contrc les
entreprises de la France en Italie, n'en voyait
pas autant contre les prétentions de la Russie en
Pologne et en Orient. Lord Castlereagh ne borna
pas la ses travaux. Il proposa et
fit
adopter Ja
résolution Cle persévérer pendant quelque temps
encore, mais pendant un ternps limité,
a
négo:–
cier a Chatillon. On avait offert la paix
a
Napo·
léon, a la condition du retour de la France a ses
anciennes limites, et, pour etre conséquent avec
soi-meme, on devait, s'il se résignait, traiter
avec luí. D'ailleurs les stipulations de Chau–
mont, eº donnant vingt ans de durée
a
la coali–
tion, rassuraient contre les tentatives qu'il pour–
rait faire a }'avenir pour reprendre ses anciennes
conquetes. l\fais s'il prolongeait les négociations
avec l'intention évidente d'occuper les puissan–
ces et de se jouer d'elles, on devait lui fixer un
délai apres Iequel on déclarerait les négocia–
tions rompues, et on proclamerait la résolution
définitive de ne plus avoir de relations avec lui,
ce qui serait une véritable déchéance prononcée
par l'fütrope. Jusque-Ia rien de contraire a sa
dynastie ne dcvait etre souffert, et le comte
d'Artois en Franche-Comté, le duc d'Angouleme
en Guyenne, devaient etre éloignés des quar–
tiers généraux des puissances belligérantes.
Ces mesures, du point de vue des coalisés,
étaient si bien calculées, qu'elles re¡;urent un
prompt et universel assentiment. C'est par elles
que lord Cnstlereagh consacra son influence per–
sonnelle, et surtout l'influence de son pays dans
la coalition européenne. Aussi écrivit-il a son
cabinet que sans doute cet ensemble de mesures
coti.terait cher
a
l'Angleterre, mais qu'il était sur
d'etre approuvé d'elle, car
il
s'était agi de prcn–
dre ou de laisser échapper le premier role, et
qu'il s'était háté de le prendre quoi qu'il pti.t en
COUler
/lUX
finances britanniques. 11 n'avait cer–
tes pas
a
craindre d'etrc désavoué, quelle que
fút la somme de millions promise. L'Angleterre
a toujours su payer sa grandeur, et s'est rare–
ment trompée sur ce qu'elle valait.
Aussitót ces mesures arretées, l'ordre fut en–
voyé aux plénipotentiaires des quatre cabinets,
de signifier
a
1\1.
de Caulaincourt qu'on attcndait
la réponse de
la
France; que si les préliminaires
•
proposés ne lu.i convenaient pas, elle n'avait qu'a
en présenter d'autres, qu'on les examinerait dans
un esprit de conciliation, pourvu toutefois qu'ils
ne s'écartassent pas sensiblement des príncipes
posés; mais qu'au dela d'un certain temps, on
déclarerait le congrcs de Chátillon dissous, et
toute négociation définitivement abandonnée.
A peine Blucher et ses conseillers, Gneisenau,
Mufiling et autres, eurent-ils appris Ja résolution
adoptée de les laisser libres, et de les renforcer
de
!JO
mille hommes, qu'ils corn;urent de nou–
veau l'ambition, qui déja leur avait été funeste,
d'entrer les premiers
a
Paris. Ils examinerent
a
peine s'il ne vaudrait pas mieux, avant d'entre–
prendre ce nouveau mouvement offensif, alteo·
drc la jonction des
oO
mille hommes qu'on leur
destinait, et ils prirent sur-le-champ le parti de
se porter en avant, mais en obliquant
~égere
ment a droite, c'est-a-dire en se dirigeant vers
la l\Iarne, ou ils devaient rcjoindre un peu plus
promptement Bulow et vVintzingerode qui
étaient _en marche, l'un vers Soissons, l'autrc
vcrs Reims. Dans leur fiévrcuse impatiencc, ils
aimaient mieux les rallier chemin faisant, quel–
que danger qui put résulter de leur marche
isolée, que les attendrc daos le voisinage du
prince de Schwarzenberg, ou les armées de Silé–
sie et de Boheme pouvaient se préter un secours
mutuel. Ils se disaient, a la vérité, que de cette
fa¡;on ils attireraient Napoléon
a
cux, et déga–
geraient le princc de Schwarzenberg, mais ils
n'ajoutaient pas que c'était au risque de se com–
promettre eux-memes beaucoup en ledégageant.
De plus, ayant vu courir sur Jeurs flanes quel–
ques troupes Jégeres, ils cspéraient en se por–
tant vers la Marnc rencontrcr peut-etre les
maréchaux l\farmont et Mortier isolés de Napo–
Jéon, et trouver ainsi l'occasion de se venger de
Ieurs
récent~s
üéfaites. Ce qu'ils ne disaient pas,
c'est que les mouvements des corps fran¡;ais
étaient calculés autrement que ceux des corps
alliés, et qu'ils ne donnaient pas Ja meme prise
aux hasards de la guerre.
Qµoi qu'il en soit, le 24 février, Blucher, qui
s'était porté jusqu'a l\'léry, rcpassa l'Aubc
a
An–
glurc, et se mit en route pour Sézanne. Sentant
confusément le danger de cette marche, il fit
dire au prince de Schwarzenberg qu'il allait,
pour le dégager, s'exposer a bien des périls, et
qu'il le priait instamment, aussitót qu'il serait dé–
bnrrassé de la présence de Napoléon, de se rcpor–
ter en avant pour rendre a l'armée de Silésie le
service que l'arméc de Boheme allait en rccevoir.