44
LIVRE CINQUANTE-TROISIE!\IE.
aurait réussi
a
franchir
l'
Aisne• .Mais il y a tou–
jours
a
parier qu'en ne perdant pas de temps, si
peu qu'il en reste, on arrivera assez tót pour dé–
jouer les précantions de son adversaire. Napo–
léon,
a
qui son cxpérience sans pa1·eillc avait ap–
pris combicn est ordinairc l'incurie de ceux qui
commandent, ne désespérait pas de trouvcr
l'Aisne mal gardée, et de pouvoir en exécuter le
passage sans coup férir.
En effet, landis qu'a sa droitc le général Cor–
bineau pén'étrait dans Reims, y enlevait deux
millc hommes de Wintzingerode et beaucoup de
bagages, le général Nansouty, avec la cavalerie.
de Ja garde et les PoJonais du général Pac, ren–
contrait Jes Cosaques deWintzingerode en avant
du pont de Berry-au-Bac, les chargeait au galop,
les cuJbutait, et passait Je pont
a
lcur suite,
maJgré q!!elquc infanterie légei·e laisséc pour le
garder. La conqucte si rapide de ce pont de
picrre dispensait de tenter des passages sur d'au–
tres points
1
car le gros de l'ennemi étant encore
a
quelque distancc, on était maitre de déboucher
immédiatement, et Napoléon se bata , dans la
nuit du
t>
au 6, ainsi que dans la journée du 6,
de fairc défiler
la
masse deses troupes par Bcrry–
au-Bac , afin d'ctre établi sur la droite de la ri–
vierc avant que Blucher put s'opposer
a
son dé–
ploiement. - C'est un r eLit bien, s'écria-t-il en
apprcnant ce succes, en dédommagement d'un
grand mal! - Ce n'était pas un pctit bien, si ,
transporté au dela de
l'
Aisne,
il
pouvai
t
rempor–
ter une victoire; mais une victoire était difficile
a
remporler, Blucher ayant
100
mille hommes
des meilleurcs troupes de la coalition, tandis que
nous n'cn avions que
:5tí
millc, dans lesquels
deux tiers de conscrits,
a
peine vetus, nullcment
iostruil , partageant néanmoins le noble déscs–
poir de nos officiers, et se battant avec le plus
rnr e dévo
ucme.nt. l'\Iais il n'y avait plus
a
eomp–
ter les eon cmis, et
il
fallait a tout prix livrer ba–
taille, car se rejeter sur Schwarzenberg sans
avoir vaincu Blucher, c'était attirer ce dernier a
sa suite, et s'exposer
a
etre étouífé dans ]es bras
des deux généraux alJiés. Quant au plan de
mar cher ·sur les places pour en recueillir les
garni ons, il étai t également impralieable avant
d'avoir battu Blucher, car autr ement on était
condamo é a l'avoir sur ses traces, vous suivant
parlout, et i rapproché qu on ne pourrait faire
un pas an etre vu et atteint par cet in com–
mode adversaire.
JI
fa llait done combatlre, n'im–
porle qucl nombre d·cnnemis ou quelles diffi cul–
lés de po. ition on aurait
a
br aver pour vaincr e.
Blucher avait été fort mécontent de Ja négli–
gence de \Vintzingerode a garder le pont de
Berry-au-Bac, et il aurait dtl ne s'en prendrc
qu'a lui-meme, car rien ne se fait surcmcnt si le
général en chef n'y pourvoit par sa proprc vigi –
lancc. 11 dissimula toutefois : Wintzingcrodc
commandait les Russes, et
il
fallait ménager des
alliés susceptibles et orgueilleux; d'aillcurs il Jui
restait encore une position trcs-fortc et tres–
facile
a
<léfendre, dont il se proposait de se bien
servir pour résister aux prochaines attaques de
Napoléon.
Quand on a passé l'Aisne
a
Berry-au-Ba.c, en
suivant la grande route de Reims
a,
Laon , on
laisse a droite de vastes campagnes légerement
ondulées, on longe agauche le pied des hauteurs
de Craonnc, puis on s'enfonce a travers des co–
teaux boisés, et on descend par Festieux dans
une plaine humide, au milieu de laquelle appa–
ralt tout a coup la ville de Laon , batie sur un
pic~~olé
et tou te couronnée de hautes et antiqucs
murailles. (Voir la carte n!) 64.) Les hauteurs de
Craonne, qu'on aper¡¡oit
a
sa gauche, aprcs
avoir franchi le pont de Berry-au-Bac, ne sont
que l'exlrémité d'un plateau allongé qui borde
l'Aisne jusqu'aux environs ele Soissons, et qui
d'un cóté forme Ja bcrge de l'Aisne, de l'autre
celle de la Lette, petitc riviere, tour
a
tour boi–
sée ou marécageuse, coulant parallelement
a
l'Aisne, et communiquant par plusieurs vallons
avec la plaine de Laon.
C'est sur ce plateau de Craonne, long de
plusicurs licues, et qui se présentc comme
une sorte de promontoirc des qu'on a passé le
pont de Berry-au-Bac, que Blucher avaH pris
position avee son armée et les cinquante millc
hommes qui l'avaient rcjoint. Chacun naturelle–
ment s'était placé d'apres son point de départ.
Wintzingerode, arrivé par Reims , s'était porté
sur les hauteurs de Craonne par Bcrry-au-Bac,
tandis que Bulow, arrivé par la Fere et Soissons,
s'était échelonné entre Soissons et Laon. Blu–
cher, avec Sackcn, d'York, Kleist, Langeron ,
ayant traversé l'Aisne
a
Soissons,, avait remonté
les bords de l'Aisne, et se trouvait partie sur Je
platcau de Craonne, partie sur les bords de la
Lelte, entre la Lette et Laon.
Le 6 au matio, Napoléon, le passage de l'Aisoe
opéré, vo ulut tater la position de l'ennemi, et
fit
aLlaquer vivement les hauteurs de Craonne.
On enleva d'abor d la ville meme de Craonnc, et
ce ne fut
n.i
sans peine ni sans effusion de saog.
Puis, s'engageant dans un vallon entre l'abbayc