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426

LIVRE

CINQUANTE-TROISIEl'fl'E.

apres avec Napoléon parce que celui-ci avait

transporté au prínce Eugene l'hérítagc da prínce

Primat, personnage de petite taille, de manieres

a

la foís allemandes et

fran~aises,

de physiono- -

míevíve, d'humeurr.emuante, d'opinionfranche–

rñent libérale, d'esprít remarquable et surtout

tres-fin, avait souvent exhalé son mécontente–

mcnt chez

l\f.

de Talleyrand, avec une liardiesse

qui avait attiré

a

sa jeune épouse une disgrace

de cour. Il en était irrité, et ne s'en cach ait

guere. L'abbé de Pradt, i·elégué dans son diocese

depuis sa fachease ambassade de Varsovie, aux

difficultés de laquclle il avait ajouté toas les dé–

fauts de son caractere, était revenu

a

París

depuis nos derniers revers, et joignait sa lan–

gue

a

celle du duc de Dalberg, de maniet'e

a

se

fairc entcndre de la police qui aurait cu l'orcille

la plus dure. Le baron Louis, jadis

a

demi en–

gagé dans les ordres, en étant sorti depuis,

exclusivement appliqué aux scienccs économi–

ques , doué d'un vrai génie fin ancier, esprit

a

In

fois véhément et fcrme, ami de la liberté dans

la mesure qu'autorise une sage politique, dé–

testait le régimc impérial par les motifs d'un

homme éclairé, et fréquentait volontiers un

ccrcle ou il trouvait avcc beau coup de lumiercs

toules les passions qui l'animaicnt.

Ces pcrsonnages et quelqucs autrcs se rcn–

contraient saos ccsse chez M. de Talleyrand, et

y échangeaient l'exprcssion de lcurs sentiment s.

Le pétulant abbé de Pradt y disai t avec Ja viva–

cité ordinaire de ses aliares qu'il fallait tout sim–

plement mettrc les Bourbons

a

la place des

Bonnpartc; le dnc de Dalberg le disait moins,

Je désirait tout autant., et était capable d'y tra–

vailler plus utilement. Le baron Louis deman–

dait qu'on mit fio

a

un despotisme qui, depuis

deux années, paraissait exlravagant.

l\L

de Tal–

leyrand , avec sa noncbalance ordinaire, écoutait

assez pour encourager ceux qui parlaient de la

sortf', pas assez pour Ctre personnellcment com–

promis. Quelquefois crpcndant il s'ouvrait avec

un de ces visiteurs, raremcnt avcc dcux, et

quand il le faisait, c'était avec Je duc de Dalberg

dont il connaissait Ja hardiesse, la dcxtérité, les

relations nombreuses, et duque! il pouvait al–

tendre un concours efficace.

11

considérait l'ahbé

de Pradt comme un étourdi, le baron Louis

comme un savant admínislratcur, tres-bon

a

cmployer dans l'occasion, mais ne leur confiait

rico, car dans le momcnt préscnt il n'avait pas

plus affaire de la légereté de

1'110

qu e du sérieux

de l'autre. Il les laissa it dire avcc un so urire

a

la

fois approbateur et évasif, puis apre.§_ les aroir

écoutés sortait de chez luí; allait rendre visitr. au

duc de Rovigo, sous prétcxte de demander dés

nouvelles, lui témoignait l'intéret le plus vif

pour les succes de l'armée fran<;aise, affectait de

déplorer l'inhabileté de la plupart des :igents de

Napoléon, disait qu'íl était bien malheureux

qu'un si grand homme fUt si mal serví, en quoi

il trouvait le duc de Rovigo tout

a

fait d'accord

avec lui, car ce ministre rnécontent de la plupart

de ses eollcgues, se plaigoant de n'etre plus

écouté de Napoléon , rcgreltan t qu'il se füt

séparé de l\L · de Talleyrand, était de ceux . aux–

quels on pouvait foire entcndre une critique

mesurée de l'état de ehoses, pourvu qu'elle par–

til du dévouement et non du désir de renverser.

M. de Talleyrand a:ffectait aupres du due de Ro–

vigo d'etre du nombre de ces censeurs qui

biament parce qu'ils aiment, ne trompait son

clairvoyant interlocuteur qu'a demi, mais le

trompait assez pour atlénuer l'effet des propos

qu'on tenait

a

l'hótel de la .rue Saint-Florentin.

Rentré ehcz luí,

l\'1.

de Talleyrand permettait de

nouveau les· conversations les plus hardies,

n'av~mait

qu'au duc de Dalberg son désir de se

soustraire

a

un joug insupportablc, en chcrchait

avec lui les moyens et ne les découvrait guere.

Tenter quelque eho:>e tant que les étrangers ar–

més étaient si loin de París, lui semblait irnpra–

t.ieable. Une idée qui frappait surtout le duc de

Dalberg et M. de Talleyrand, c'.est qu'cn t:iton–

nant entre la Seine et la Marne, et en négociant

a

Ch:itillon, les eoalisés ménageaient

a

Napoléon

les seulcs chances qu'il cut de se sauver. Rompre

toute négoeiation avec lui, le ¡wésenler des lors

a

Ja France comme l'u niquc obstaclc

i.i

la paix,

profiter de l'une de ses allées et venues pour

percer sur la capitale, était

a

Jeurs yeux l'unlque

maniere d'en finir. A peine les coalisés parai–

traient-ils aux portes de París, qu'on ferait une

Jcvée de boucliers, qu'on proclamerait Napoléon

déchu , et qu'on briserait ainsi'dans ses mains

l'épée qu'il était presque impossiblc de luí

arracher.

C'était la e que Mi\J. de Talleyrand et

e.le

Dal–

Lerg auraicnt voulu faire parvenir

a

l'orcille des

souverains coalisés; mais, preuvc singulicre du

peu de concert entre le dedans et le dehors, ils

n'avaient pu se procurer un intermédiaire pour

communiquer ces idées. Ainsi MM. de Polignac

ayant réussi

a

s'évader, n'avaient ríen em–

porlé ni de M. de Talleyrand ni du duc de Dal–

berg, les seuls hommes qui fussent en ce moment