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LIVRE QUARANTE-HUITIElirB.
vomissent des feux de leurs murailles restées
dcbout; mais
a
droite, les dix-huit mille hommes
de Wittgenstein et d'York, conduits avec la
vigueur que comporte cette circonstance extreme,
repousscnt les divisions de Ney, aussi maltraitées
que celles de Blucher, les refoulent dans Kaja,
entrentdansce village, en débouchent, et se trou–
vent face
a
face avec la garde .de Napoléon. Au
dela du
Floss-Graben,
le prince de Wurtemberg
dispute Eisdorf aux troupes de Macdonald.
A son tour, c'est a Napoléon
a
tenter un effort
décisif, car vainement ses ailes sont pretes a se
rcployer sur l'ennemi, si son centre est enfoncé.
l\Iais il a encore sous Ja main les dix-huit mille
hommes et la puissante réserve d'artillerie de la
garde impériale. Au milieu de nos
consc~its ,
dont
quelques-uns fuient jusqu'a lui , au milieu des
bailes et des boulets qui tombent autour de sa
personne, il fait avancer la jeune garde, et or–
donne aux seize bataillons de la division Dumou–
tier de rompre Jeurs carrés, de se former en
colonnes d'atlaque, de marcher la gauche sur
Kajn, la droite sur Starsiedel, de chargcr tete
baissée, cl'enfoncer
a
tout prix les lignes ennem ies,
de vaincre en un mot, car il le faut absolument.
Pendant ce temps, la vieille garde reste, dispo–
sée en six carrés, comme autant de redoutes des–
tinées a fcrmer le centre de notre ligne. Napoléon
prescrit en meme tcmps
a
Drouot d'aller avec
quatre-vingts bouches
a
feude la gnrde se placer
un peu obliquement sur notre droite en avant de
Starsiedel, afio de prendrc de front la cavalerie
qui allaque sans interruption les divisions de
l\farmont, et de prendre en flanc la ligne d'infan–
terie de Wittgenstein et d'York.
Ces ordres donnés sont exécutés
a
la minute
meme. Les seize bataillons de la jcune garde, con–
duils par le général Dumoutier et le marécbal
Mortier, s'avancent en colonnes d'attaquc, rallient
en chemin celles des troupes de Ney qui peuvent
encore combattre, et rentrent
a
Kaja sous une
pluie de l'eu. Apres avoir repris ce village ils Je
dépassent, et refoulent sur Klein-Gorschcn et
Rahna les troupes de Wittgenstein, d'York, de
Blucher, culbutées péle-mele dans l'enfoncement
oú sont sit"ués ces villages . Ils s'arretent ensuite
sur la déclivité du -terrain, et laissent
a
Drouot
l'e pace nécessaire pour faire agir son artillerie.
Gelui-ci, se servant avec art del'avantage du sol,
dirige une partie de ses quatre-vingts pieces de
canon sur la cavalerie enncmie, et avec Je reste
prend en écliarpe l'infanterie de Wittgenstein et
d'York, et fait pleuvoir sur les uns et les autres
les boulets et la mitraille. Accablécs par cette
masse de feux, l'infanterie et la cavalerie enne–
mies sont bientót obligées de battrc en retraite.
Au meme instant sur notre gauche et au dela
du
Floss-Graben,
deux divisions de Macdonald,
les divisions Fressinet et Charpentier, abordent
l'une Kitzen, l'autre Eisdorf, et les enlevent au
prince Eugene de Wurtcmberg, maJgré les se–
cours envoyés par Alexandre. A l'extrémité op–
posée, c'est-a-dire a droite, Bonnet et Compans,
conduits par l\farmont, rompent enfin leurs car–
rés, et se portent en colonnes sur le flanc de
l'cnnemi, derriere lequel i\forand fait déja enten–
drc son canon.
11 est pres de huit heures : la confusion des
idées commence a envahir l'état-major des coa–
lisés. Frédéric-Guillaume et
Ale~andre,
réunis
avec leurs généraux sur l'érninence du haut de
laquelle ils apercevaient la bataille, déliherent
sur ce qu'il reste a faire. Blucher; plus véhément
que jamais, et le bras en écharpe, veut qu'a Ja
tete de
la
garde russe on se précipite de nouveau
sur le centre des Franc;ais. Selon Jui , Miloradovich
arrivera dans la nuit, pour servir de réserve
e~
couvrir Ja retraite de I'armée s'il fout se retirer.
On peut done risquer sans regret to utes les troupes
qui n'ont pas encore combatlu. Wittgenstein et
Diebitcb répondent avec raison q,u'on est débordé
a
droite vers Eisdorf,
a
gauche vers Starsiedel,
que si on insiste on s'expose
a
etre enveloppé, et
a
laisser au moins une partie de l'armée alliée
daos les mains de Napoléon, qu'enfin le chef de
l'artillerie n'a plus de munitions . - En présence
de telles raisons,
il
n'y
a plus qu'a battre en re–
traite. On en 'donne l'ordre en effet. Mais Blucber
indigné, s'écrie an milieu de l'obscurité qui s'é–
tend déja sur les t.leux armécs, que tant de sang
généreux ne doit pas ayóir été versé en vain, que
fa
journée n'est pas pcrdue, qu'il va le prouver
avec sa cavalerie seule, et qu'il fera rougir ceux
qui se montrent si pressés d'abandonner une vic–
toire presque assurée. 11 restait en effet environ
quatre
a
cinq mille hommes de cavalerie prus–
sienne, principalement de la garde royale, qu'on
pouvait encore mener au combat : il les réunit,
se meta Jeur tete, et, bien que la nuit soit com–
mencée, il fond comme un furieux sur les troupes
franc;aises qui se trouvent
a
la gauche des alliés,
en avant de StarsiedeJ, et qui sont celles du corps
de Marmont. Les soldats de ce marécbal, fatigués
d'une longue journée de cornbat, étaient a peine
en rang. Le premier régimcnt, le
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léger, de
réccnte formatiun, surpris par cette subite irrup·