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LIVRE CINQUANTE-DEUXIEl\IE.
passé
a
Chatillon; il ignorait que M. de Cau–
laincourt, apres avoir re(fu les propositions les
plus révoltantes, avait éc1·it confidentiellement
a
1\1.
de
Metterni~h;
il ignorait que ce dernier
avait pris comme officielle ' et transmis
a
ses
alliés la lettre de M. de Caulaincourt qui n'était
que confidentielle, et qu'ainsi, pour le décider
a
s'arreter dans ses succes, on lui offrait pour la
Fraoce non-seulement le retour aux anciennes
frontieres de 1790, mais la renonciation au role
de puissance européenne; il ignorait tous ces
détails, san's quoi il eut accueilli bien différem–
ment I'envoyé autrichien. ll ne vit dans ce qu'on
lui proposait que le désir de suspendre sa marche
victorieuse, sans se douter des conditions de
paix qui étaient sous-cntendues, et, lui eut-on
présenté quelque chose de beaucoup plus accep–
table, ce n'cst pas au moment ou
il
pouvait par
un dernier succes changer Ja face des choses,
qu'il aurait r em is dans le fourreau son épée
victorieuse.
11
ajourna done sa réponse, et con–
tinua sa marche. Craignant loutefoís que M. de
Ca ulaincourt, dont !'esprit était en '{:lroie aux
plus cruelles angoisses, dont la société
a Cha–
tilion se composait exclusivement d'ennemis qui
Jui laissaient ignorer nos succes, ne cédat
a
tant
d'obsessions, et n' usat trop largement de ses
pleíns
po~uvoirs,
il luí écrivit, avant de monter
a
cheval pour se rendre a l\fontereau, la lettre
suivante:
«
Nangis, le f8 févri cr.
«
Je vous ai donné
carte blcmche
pour sauver
11
París et éviter une bataille qui était
la
derniere
" espérance de la nation. La bataille a eu lieu;
11
la
Providcnce a béni nos armes. J'ai fait
([ trente a quarante mille prisonniers; j'ai pris
" 200 pieces de canon, un grand nombre de
11
généraux et détruit plusieurs armées sans
" presque coup férir. J'ai enlamé hier l'armée
" du prince de Schwarzcnberg que j'espere
dé~
11
truirc avant qu'elle ai t repassé nos fronti eres.
" Votre attitude doit etre la meme; vous devcz
" tout faire pour la paix, mais mon intention
u
est que vous ne signiez ríen sa ns mon ordre,
11
parce que scul je connais ma posilion. En gé–
" néra1 je ne désire qu'une paix solide et hono–
" rabie, et elle ne peu t etre telle que sur les
" bases proposéesaFrancfort. Silesalliéseussent
u
accepté vos propositions le 9,
il
n'y aurait pas
" eu de bataille; je n'a urais pas couru les chances
" de la forlu ne dans un moment ou !c moindre
" insu cccs perdait la France, enfin je n'aurais
" pas conn u le secret de leur faiblesse :
iI
est
11
justequ'en retour j'aieles avantagesdeschances
1(
qui ont tourné pour moi. Je veux la paix, mais
" ee n'en serait pas une que celle qui imposerait
,, a la France des conditions plus humiliantes
u
que les bases de Francfort. Ma position est
u
certainement plus avantageuse qu 'a l'époque
a:
ou les alliés étaient
a
Francfort; ils pouvaient
" me bravcr, je n'avais obtenu aucun avantage
" sur eux, et ils étaient Ioin de mon terriLoire.
" Aujourd'hui c'est bien différent. J'ai eu d'im–
u
menses ava·ntages sur eux, et des avantages
u
tels, qu'une carriere militaire de vingt années
" et de quelque illustration n'en présente pas
u
de pareils. Je suis pret
a
cesser les hos'tilités
" et a laisser les ennemis rentrer tranquilles ehez
«
eux, s'ils signent des préliminairesbasés sur les
«
propositions de Francfort.
»
Si les coalisés se faisai ent des illusions, Napo–
Iéoo, on le voit, s'en faisait de bien grandes
également' et au lieu de se borner a repousser
ce qui était inaeceptable, exigeait ce que, dans
les circonstances, il était hors d'étnt d'obtenir!
Tandis qu'il employait de la sorte les premiers
instanls de Ja matinée du 18, le maréchal Viclor
avai t enfin marché sur Montereau, et y était
arrivé de tres-bonnc heure. Le général Pajo!,
apres avoir rallié ses troupes dans le bois de
Valen~e,
s'était reporté en avant 11vec sa cava–
lerie et quelques balaillons de gardcs nationales.
11
arrivait
ii
Ja
lisiere du bois de Valence au mo–
ment merne ou le maréchal Víctor débouchait
en face clu coteau de Surville, lequel domine Ja
Seine et la pctile ville <le Montereau. (Voir Ja
carte n° 62, et Je plan deMonter'eau carte n°65..)
Ce coteau, qu'on gravit par une pente
assez.mé–
nagée en venant soit de Valence soit de Salins,
se termine en pente brusque du coté de la Seine.
De son somrnet on aper11oit
a
ses pieds la ville de
Montereau, les deux rivieres qui viennent s'y
réunir, et le pont de
la
Seine, objet de grands
prix que les dcux armées a!Iaient se disputer
avec furie. Si on enlevaít promptemen t le coteau
il était possible, en se précipitant sur le pont
qui était en pierre et moins ::iisé
a
détruirc
qu·un pont de bois, de s'en
e~parer
avant que
l'ennemi J'eut coupé. l\'Iais
iJ
était difficile de
brusquer l'attaque du coteau, les Wurtember–
geoís s'y trouvant en force. C'était le prince
royal de
Wurtembe.rgqui l'occupait. Ce prince,
que Napoléon avait fort maltraité jadis, que l'em–
pcreur Alexandr e au contraire comblaít de ca–
resses, et auqueJ il destinait en mariage sa sreur