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LIVRE CINQUANTE-DEUXIE1\1E.
dans Je flanc du prioce de Schwarzenberg; ou
bien, suivant le mouvement rétrograde des ma–
réchaux Vietor et Oudinot, qu'on devait présu–
mer poussé.encore plus loin depuis les dernieres
nouvelles, fallait-il rétrograder jusqu'anx bords
de l'Ycres, afin d'y recueillir les deux maré–
chaux, et, réuni
a
eux , aborder de front le prince
de Schwarzenberg pour le rcfouler sur la Seine
qu'il avait franehie? Certaincmcnt, s'i l était tou–
jours poss.jble
a
la guerre de connaltre
a
temps
les projets
oc
l'ennemi , Napoléon aurait su que
les corps de l'armée de Bobeme étaient dispersés
entre Provins , Nangis, 1\'Iontereau, Fontaine–
bleau, Sens, et alors se jelant au milieu d'eux
avec
2D
mille hommes, par le chemin de Sézanne
a
Nogent, qui était le plus court, il aurait pris
en füinc les corps éparpillés de l'ennem i, rallié
par sa
dr~ite
Víctor et Oudinot, culbuté succes–
sivement WiU.geostein et de Wrecte sur le princc
de Wurtemberg, tous trois sur Colloredo , et
détruit ou enlevé une partie de ce qui avait tra–
versé la Seine
1
•
1\'Iais Napoléon ayant employé
cinq jours a combatlre l'armée de Silé'sie, igno–
rait ce qui s'était passé a l'armée de Bobeme, et
da ns l'ignorancc des événements il devai t se con–
du ire d'apres la plus grande vraisemblance. Or,
la plus grande vraisemblance c'était que les ma –
réchaux apres avoir beaucoup rétrogradé , au–
raient rétrogradé encore, qu'ils se seraient tout
au plus arretés derriere la petite riviere d'Yeres,
que Schwarzcnberg se trou verait en leur pré–
sence , les atlaquant avec au moins 80 mille
hommes, les ayant peu t-etre déja battus, et,
dans ce cas, en se portant directement sur No–
gent ou Provins avec 25 mille hommcs seule–
ment, Napoléon s'exposait
a
rencontrer Schwar–
zenberg se retournant vers lui avcc 80 mille, et
lui faisant subir un grave échec, avant qu'il eut
rallié les deux maréchaux. De plus, toutes les
routes de traverse de Montmirail a Nogent, de
1\fontmirail a Provins, étaient détestables, et on
pouvait y rester embourbé. Par cette raison qui
était forte, et par celle de la prudence, le plus
1
Je réponds ici au reproche tres-pcu fondé que le f:énéral
Kocb, dans son exccllent el consciencicux ouvragc sur la cam–
pagne tle
18:14,
adrcsse
a
Napoléon de n'avoir par ma1·ché
? ireelemcnt de Monlmirail a Provins, au lieu de rétrogradcr
Jusqu'a Meaux. Le général Kocl:\, toujours éclairé et impartial,
esl le scul des écrivains de ce temps qu i mérite une vraie eon–
fiance; pourlanL il s'esl trompé q•1elquefois, surtout quand il
n'a pas cu sous les yeux la correspondance impérialc, ce qui
l'a empeché de connailre el tl'apprécier les molifs des déter–
minations qu'il examine. C'esl, eommc nous l'avons 1·épélé
souvcnt , avec une extreme réserve qu'il faul juger Napoléon,
et l'on rloil se bien dire que lorsqn'il se trompe, ce qui ne lui
sur était, au lieu de percer droit sur la Seinc,
de rétrograder jusque sur l'Yeres, comme l'a–
vaient fait les maréchaux eux-memes, de les
rejoindre par la route pavée de Montmirail
a
l\'f
eaux, de Meaux
a
Fontenay et Guignes, et de
composer par cette réunion une masse de 60 mille
homrnes, qui suffisait pour rnmener le prince de
Schwarzenberg sur la Seine. Au Iieu de prendre
en flanc le généralissime autrichien, on l'aborde–
rait ainsi de front; mais
il
se pouvait qu'au Iieu
de le trouvcr formé en une seule massc, on le
trouvat dispersé en plusieurs corps, et il ne se–
rait pas impossible alors de le traiter comme on .
venait de traiter Blocher lui-meme.
·
Ce plan était le seul que le bon sens put
avouer, et Napoléon, qui a Ja guerre alliait tou–
jours Ja sagesse
a
l'audace, n'hésita point
a
l'adopter. 11 ordonna le soir meme
a
sa garde,
jeune et vieille, infanterie et cavalerie, a la divi–
sion d'Espagne Leva! , a la cavalerie du général
Saint Germain, d'exécuter le lendemain 1
!)
une
Corte marche jusqu'a la Ferté-sous-Jouarrc, et de
sa personne il partit pour Meaux afin ·de veiller
aux mouvement.s de ses troupes.
Arrivé dans l'apres-midi du 1
!)
a
Meaux, il y
arreta ses dernieres disposilions. C'est a Meaux
que le maréchal Macdonald s'était replié apres la
retraite qui l'avait t:mt afiligé, et c'est a Meaux
qu'il cherchait
a
réorganiser son corps d'armée.
Ce corps, avec les ·débris qu'il avait ramenés,
avec qu elques bataillons tirés des dépóts de Pa–
rís , avec les gardes nationales qu'on avait pu
réunir, fut distribué en trois divisions, et porté
a environ 12 mille hommes de toutes armes.
Napoléon le
fit
partir sur-le-champ par la route
de 1\Ieaux
a
Fontenay, et l'envoya sur l'Yeres, ce
petit cours d'eau derriere lequcl allaient se con–
centrer toutes nos forces . 11 ordonna aux maré–
chaux Victor et Oudinot, qui s'y étaient retirés,
de continuer a s'y maintenir, et leur
annon~a
son arrivée pour Je lendemnin 16. La belle cava–
lerie tirée d'Espagne avait déja dépassé Paris au
nombre de 4 milJe cavaliers sans pareils. Napo-
anive presque jamais dans ses combinaisons militaircs, c'est
qu'il est mu par sa passion politique ou qü'il .a été dans l'igno–
rance forcéc de ce que faisait l'cnnemi. Mais dans toule aulre
circonstance on peut affirmer que ses mouvemcnls sont cal–
culés avec une profonclem·, une sürclé <le vue incomparables.
11 fau t done toujours, avan l de prononccr, avoir Ju tout ce
qui reste de ses inlentions écl'iles, el se dirc, lorsqu'on ne
ti•ouve pas ses motifs daos les deux causes que nous venons de
signaler, qu'ils se trouveront dans les faiLs mieux étudiés. 11
esl rare en effeL, en les étudiant davantage, qu'on n'y rcn–
contre pas des raisons nou velles d'admirer son génie, tout en
déplorant Ja politique immodét-ée qui l'a perdu.