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LIVRE
CINQUANTE-DEUXIE~rn .
tention de la grande armée de Boheme était de
marcher sur Paris par les deux rives de la Seine,
par Fontainebleau et l\1elun, pendant que l'ar–
mée de Silésie, sÚivant la Marne,
y
arriverait par
l\feaux. L'espérance d'y entrer enflammait en ce
moment l'imagination d'Alexandre. Tandis que
l'empereur Fran<;oisvivaitmodestementa Troyes ,
voyant peu de monde, ne fréqu entant que
1\1.
de
Metternich, l'empereur Alexandre, livré a une
aetivité fébrile, allait d'un corps d'armée a l'autre,
affectant de tout diriger, et rccommandant sans
cesse
a
Bluchcr de l'attendre avant d'entrer a
Paris. Le roi de Prusse, pour plaire aux patriotes
de son état-major, se pretait
a
tous les mouve–
ments de son allié, mais avec la gaucherie d'un
homme sage, peu fait pour ce role vain et agité.
C'est dans cet état que les avait lrouvés un témoir1
oculaire digne de foi, le brave et savant général
Reynier-;-qu'on avait échangé cootre le général
comte de Merveldt (l'un et l'autrc avaicnt été
faits prisonniers
a
Leipzig), et qui
a
la suite de cet
échange, avait traversé
'f
royes pour r evenir
a
París. Le général Rcynier, présenté aQS. monar–
qucs alliés, les avait écoutés, et avait recueilli
leurs paroles avec une exlreme attcntion
1 •
L'em··
pereur Frarn;ois l'avait conjuré de r épéter
a
son
gendre un conseil qu'il lui avait adressé déja
bien des-fois, celui de céder
i
la fortune, d'aban–
donner ce qu'on exigeait de lui puisqu'il ne pou–
vait pas le conserver, et de considérer les desti–
nées de l'Autriche, dans le moment actuel, pour
apprendre que se soumettre aux dures nécessités
du présent n'était souvent qu'un moyen de sau–
ver !'avenir. Le roi de Prusse n'avait presque
ríen dit, selon son usage; mais Alexandrc avait
parlé avec une vivacité singuliere. 11 avait de–
mandé d'ahord au général Reynier quand
il
croyait etre a Paris, et le général, ayant répondu
qu'il espérait y étre le
14
ou le
rn
février,
Alexandre avait répliqué : Eh bien, Blucher
y
sera avant vous... Napoléon m'a humilié , je
l'humilierai, et je fais si peu la p.uerrc
a
la
France, que, s'il était tué, je m'arreterais sur -le–
champ. - C'est done pour les Bourbons que
Votre I\fajesté fait la guerre? avait dit le général
Reynier. - Les Bourbons, avait repris Alexan–
dre, je n'y tiens nullement. Choisissez un chef
parmi vous, parmi les généraux illustres qui ont
tant contribué a la gloire de la France, et nous
1
Apeine arrivé
b.
París, le ¡:;énéral Reynier fit de ces entre–
tieus un rapporl fidele qui fu l euvoyé immédiatement
il
Napo–
léon. Ce rapport, !'un des documents secrets les plus curieux
du temps, est digue de la plus enticre confiance, car le général
sommes prets
a
l'acceptcr. -Alexandre, descen–
dant alors aux plus étranges confidenees,
lui
avait laissé entrevoir le projet d'imposer Berna–
dotte
a
la France, comme Catherine, quarante
ans auparavant, avait imposé Poniatowski
a
la
Pologne. A cette ouverture, le général Reynier
avait fort déconcerté le czar, en lui exprimant le
mépris que les militaires frarn;ais avaient con<;u
pom' la conduite et les talents du nouveau prince
suédois. Alexandre, surpris et mécontent, avait
congédié le général Reynier, qui était partí sur–
lc-champ pour París, et était venu offrir son épée
a
Napoléon, offre bien méritoire dans de pareilles
circonstances, car il avait repoussé les proposi–
tions les plus flatteuses d'Alexandre, pour restcr
fidele a la France malheureuse. Le général Rey–
nier était Suisse de naissance, mais Franc;ais par
le crour et les services.
L'orgueil blcssé, le désir de la vengeanee inspi–
raient en ce moment tous les actes de l'empereur
Alcxandre. C'est par ce motif qu'il avait fait sus–
pendre les séances du eongres, se fondant, pour
ne plus les reprendre, sur ce que
l\'I.
de Caulain–
court n'avait pas accepté immédiaternent les pro–
positions de Chatillon.
11
montrait
a
cet égard
une r ésolution opiniatrc, et ne voulait plus qu'on
traitat. I\L de I\1etternich, aidé de lord Castle–
reagh , s'opposait de toutes ses forces
a
cette vo–
lonté du czar. Le ministre autrichien persistant
dans sa poli tique de ne pas pousscr trop loin une
lulte qui, au dela d'un certain terme, ne profi–
tait qu'a la prépondérance de la Russie, le 1ni–
nistre anglais disposé
a
s'arreter si on lui aban–
donnait Anvers et Genes, s'étaient servís pour
résister a l'cmpcreur Alexandre de Ja lettre que
M. de Caulaincourt avait secretement adressée
a
l\f.
de Metternich , et dans laquelle il demandait
si en admetlant les bases proposées
il
poqrrait
au moins obtcnir une suspension d'armes. Ap–
puyés sur cette lettre, ils avaient dit que la
France étant prete
a
céder aux vreux des alliés,
il n'y avait pas de motif de pousser les hostilités
plus loin, q-uc c'était
~ourir
des chances inutiles
pour un objet qui ne pouvait etre le but avoué
d'aucune des puissances coalisées. L'empereur
Franc;ois en effct ne pouvait dire
a
l'Europe qu'rl
faisait la guerre pour détróner sa fille, et le ca–
binct britannique, bien que l'opinion fót actuel–
lement tres-modifiée en Anglcterre, ne pouvait
Reynier était incapable d'allérer la vérilé, et d'ailleurs son
rapport concorde avec tout ce que les dépeches diploma tiques
fra n~aiscs
et élr:rngeres nous apprennent sur le quartier
gé–
néral des souverains.