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LIVRE CINQUANTE-DEUXIEl\IE.
condamnés. M. de Rasoumoffski,
le
Russe arro–
gant qui représentait l'empereur Alexandre,
répondit qu'il ne savait ce dont on voulait par–
ler.
i\L
de Stadion, qui représentait le cabinet
autrichien, auteur principal et direct des pro–
positions de Francfort, prétendit qu'il n'en était
pas dit un mot dans ses instructions. Mais lord
Aberdeen, le plus sincere, le plus droit des per–
sonnages présents, qui avait assisté aux ouver–
tures faites a
l\I.
de Saint-Aignan, qui ·ava it
discuté les termes de la note de Francfort, com–
ment auraÍt-il pu nier? Aussi se borna-t-il
a
balbutier quelques paroles qui prouvaicnt
l'em ~
barras de sa probité, et puis fous ces diplomates,
opposant aux raisons du ministre
fran~ais
une
sorte de clameur ·générale, . s'écrierent tous en–
semble qu'il ne s'agissait pas de pareilles ques–
tions, que ce n'était pas des propositions de
Francfort qu'on avait
a
s'occuper, mais de celles
de Cbatillon, que c'était sur celles-la et non sur
d'autres qu'il fallait se prononcer séance tenante,
que l'on n'avait pas mission de les discuter, mais
de les présenter, et de savoir si
el~es
étaient
agréées ou rejetées, et un pan de leur mantenu
a
la main, ils firent entendre que c'était la paix
ou la guerre, la guerre jusqu'a ce que mort s'en–
suivlt, qu'il s'agissait de
d~cider,
en répondant
sur-le-c.]Jamp par oui ou par non. M. de Cau–
laincourt, voyant qu'il n'y avait aucun moyen de
fairc expliquer des hommes qui voulaient un oui
ou un non , réclama le renvoi de la conférence,
ce qui fut accepté , llpres quoi chacun se retira.
!11.
de Caulaü1court était tour
a
tour saisi de
douleur, ou révolté cl'indignation, car dans les
propositions qu'on osait lui faire, Ja forme était
aussi ouLrageante que Je fond était désespérant.
Certes, Napoléon avait abusé de Ja victoire, mais
jamais a ce point. Souvent il avait beaucoup
exigé de ses ennemis, mais il ne les avait jamais
humiliés, et lorsque au lendemain de la journée
d'Austerlitz, Alexandre, qui allait étre fait pri–
sonnier avcc son armée, avait demandé grace
par un billet écrít au crayon, Napoléon avait
répon du avec une colU'toisie qu'on n'imitait pas
aujourd'hui. En tout cas, Napoléon n'étai t pas
la France, les torts de l'un n'étaient pas les torts
de l'autre, et.de.s gens qui mettaient la nt d'afl'ec–
tation
a
séparer Napoléon de la France,
a ur~ient
du ne pas punir sur celle-ci les fautes de celui-la.
Quoi qu'il en soit, M. de Caulaincourt voyait
bien qu'il fallait, si on voulait arréter les coali–
sés, prononcer ce mot si cl'liel d'acceptation
' pure et simple, et, pour leur fermer l'entrée 'de
Paris,
il
était pret
a
user des pom'OÍrs illimités
dont il était pourvu. Cet excellent ci-toyen, dé–
voué
a
Ja France et a la dynastic impériale, avaif
le tort en
<Je
moment (le premier du reste qu'on
put luí reprocher) de songer an tróne de Napo–
léon plus qu'a sa gloire. Il oubliait trop que
périr valait mieux pour Napoléon que d'aban–
donner les frontieres naturelles, que pour lui
c'était l'honneur, que pour la France c'était la
grandeur vraie, que, quelque abattue qu'elle füt,
on ne pourrait pas luí demander pire que ce qu'on
exigeait d'elle actuellement, qu'avec les Bour–
bons elle aurait toujours les frontieres de
1790,
que des lors, pour Napoléon comme pour elle,
il
valait autant risquer le tout pour le tout, et ce
noble personnage qui avait eu si souvent raison ·
contrc son maitre, n'avait pas cette fois un sen–
timent de la situation aussi juste que lui.
JI
était
done prét
a
céder'
a
une condition toutefois,
c'est qu'il serait assuré d'arretcr l'ennemi
a
l'instant meme. Mais céder sur tout ce qu'on
demandait sans avoir Ja certitude de sauver
Paris et le tróne impérial , était
a
ses yeux une
désolante humiliation sans compensation au–
cune. Dans son désespoir, s'adressant au seul de
ces plénipotentiaires .chez Icquel
il
cut aper<;u
l'homme sous le diplomate,
il
chercha 11
savoir
de lui si le cruel sacl'ifice qu'on exigeait suspen–
drait au moins les hostilités. Lord Aberdeen
auquel il avait cu recours, se défendant beau–
coup, suivant la consigne établie, de toute com–
munication privée avec le représentant de
Ja
France, lui
fit
entendre cependant qu'il n'y au–
rait suspension des hostilités qu'au pl'Íx d'une
acceptation immédiate et sans réserve, et seu–
lement
a
partir des ratifications. C'était presque
demander qu'on se rcndit sans condition, et
meme sans etre certain d'avoir Ja vie ·sauve,. car
dans J'intervalle des ratifications, une bataille
décisive pouYaÍt etre Jivrée, et Je sort de la
France résolu par les armes. Ce n'était done plus
Ja peine de recourir aux précautions de
Ja
poli–
tique, puisque par ca moyen on n'échappait pus
aux décisions de Ja force. Aussi, quoiqn'il eut
carte blanche,
il n'osa par formuler I'acceptation
qu'on voulait Jui arracher, et
il
écrivit au quar–
tier généra l pour faire part
a
Napoléon de ses
anxiétés. Mais le Jcndemain meme il re<;ut du
plénipotentiafrc russe l'étrange déclaration que
les séances du congrcs étaient suspendues. L'em–
pereur Alexandre, disait-on, avant de donner
suite aux conférences, voulait s'entendre de
nouveau avec ses alliés. Cette dernicre comrnu-