BRIENNE ET MONTMIRAIL. -
FEV!tIER
i8t4.
591
ponse évasive de M. de Bassano, avait insisté
pour en obtenir l'acceptation explicite? Cette
acceptation ayant été envoyée, les auteurs des
propositions de Francfort étaient cngagés eux–
memes, et alors commeot se pouvait-il qu'ils
fissent aujourd'hui des proposilions si diamétra–
lement contraires? Ensuite, a consid ércr les
choses du point de vue de l'équilibre européen,
comment, apres avoir <lit a la France, en entrant
sur son territoire, qu'on ne voulait point lui con–
testcr la juste grandeur qui lui était acquise,
comment la ramener aux fron tieres de Louis XV,
lorsque depuis Louis XV trois des puissances du
continent s'étaient partagé la Polognc, lorsque
depuis 1790 toutes les puissances avaient fait
des acquisitions considér11;bles qui changeaient
complétement les anciennes proportions des
États? Si, pour le repos de l'Europe, on devait
généralement revenir aux limites de 1790,
n'était-il pas juste que chacun restituat ce qu'il
avait pris, que l'Autriche ne songeat point a
retenir Venise, que la Prusse et l'Autriche ne
gardassent pas ce qu'elles avaient dérobé aux
petits États allemands et surtout aux princes
ecclésiastiques, que la Prusse, l'Autriche et la
Russie rendissent la derniere portion qu'elles
s'étaient attribuée de la Pologne a I'époque du
dernier partagc? N'était-il pas juste enfin que
l'Angtcterre rendit les lles Ioniennes, l\falte, le
Cap, l'ile de France, etc.? Faire rentrer la
France seule dans ses ancierines limites, c'était
détruire en Europe, au détriment de tous, l'équi–
libre nécessaire des forces, et si, comme l'avenir
!'a prouvé depuis, la France pouvait dcmeurer
grande et bien grande mcmeapres la perte de quel–
ques provinces, elle le devrait a l'énergie, ala puis–
sance d'esprit de son peuple, c'cst-a-direasa gran–
deur morale, qu'on ne pouvait pas lui óter commc
sa graudeur matériellc
!
Sans doute
il
n'étaitrien
qu'on ne put se pcrmettre au nom de la victoire,
et cet argument coupait court
a
toute discussion;
mais, dans cecas,
il
fallaitlaisser de coté les pa–
roles insidieuses dont on avait fait usageen pas–
sant le Rhin, et avouer que la force et non la
raison allait servir de regle a la conduite des
puissances alliées. La France alors saurait
a
quoi elle devait s'attendre de la part de ses
cnvahisseurs. Ce n'était pas tout encore. Com–
ment demander en bloc des sacrifices immenses,
sans les préciser, sans détcrminer le plus et le
moins, qui était beaucoup ici, car dans les Pays–
Bas, dans les provinces rhénanes, le long de la
Suisse et des Alpes, il restait bien des questions
qui, résolues dans un sens ou dans un autre,
rendraient le résultat fort différcnt ? Et ces por–
tions cédées de territoire, était-il possible de les
abandonner sans savoir
a
qui on les cédcrait?
Les abandonner, parexemple, a une petite puis–
sancc ou
a
une grande, remettre un territoire
sur la gauche du Rhin
a
UD
petit État coro.mela
Hesse, ou a un grand État commc la Prusse,
constituait une différence capitale. Ne vouloir
s'expliquer sur aucun de ces points, était un
procédé inqualifiable, qu'on pouvait
a
peine se
permettre avec un ennemi
a
qui on aurait mis le
pied sur la gorge, et la France, si elle devait
malheurcusement se trouver un jour sous les
pieds de ses ennemis, n'y était pas encorc. En–
fin si son représentant se résignait
a
tout ou
partie de ces sacrificcs, ce ne pouvait etre que
pour faire cesser immédiatement une guerrc
cruelle, pour éviter une bataille d'oú résulterait
peut-etre Ja vie ou Ja mort, pour couvrir París
enfin : était-il possible de faire ces sacrificcs
douloureux, si on n'était pas assuré qu'une pa–
role d'acceptation une fois prononcée, l'ennemi
s'arreterait sur-le-champ?
Ces observations si naturelles, si peu réfu–
tables, M. de Caulaincourt essaya de les exposer
da ns la soirée du
7.,
et le
fit
avec une indigna -
tion cootenue.
lt
était soldat, et
il
eut micux
aimé se fairc tuer avec le dernier des Fran¡¡ais
en combattant des ennemis si insultants, que se
débattre vainement dans une négociation ou l'on
ne voulait ni écouter, ni répondre; mais
il
fal–
lait tout souffrir pour saisir au vol l'occasion de
la paix, si elle s'offrait; et avec uoe mesure in–
finie,
a
travers Jaque11e
per~ait
un sentiment
amer, il rappela les conditions de
Francfort~
formellement proposées, formcllement acceptées;
il
objecta au projet de ramener la France
a
ses
anciennes , limites, les acquisitions que les di–
verses puissances avaient déja faites ou préten–
daient faire en Pologne, en Allemagne, en Italie,
sur toutes les mers; il demanda surtout ce que
deviendraient les provinces cnlevées
a
la France,
et enfin quel serait Je prix des sacrifices que la
France pourrait consentir, et si par exemple la
suspension des hostilités en serait
la
consé–
quence immédiate?
La premierc observation, cellc qui portait sur
les propositions de Francfort, cmbarrassa visi–
blement les ministres des puissances alliées. Il
n'y avait rien
a
répliquer en effet, et si les
nations rcconnaissaient un autre juge que Ja
force, les négociateurs eussent été sur-le-champ