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LIVRE CINQUANTE-DEUXIEl\rE.
ans de malheurs, et le prestige plus grand en–
core de la paix qu'íls procureraient
a
la France.
Joseph, ne voulant ríen prendre sur lui en pa–
reille matiere, avait instámmcnt prié Napoléon
d'exprimer sur tous ces points ses volontés défini–
tives. Quant
a
l'impératrice, elle n'avaitni avis, ni
volonté, et de concert avec Cambacéres, devenu
tres-pieux, comme on l'a vu, elle faisait dire des
priéres que, da ns la liturgie catholique, on appelle
prieres des quarante heures.
Napoleon, que tous les malheurs de la guerre
trouvaient imperturbable, n'éprouvait d'impa–
tience qu'en recevant le courrier de Paris, qui
luí apportait plusieurs fois par jour le triste ta–
bleau des anxiétés de son gouvernement. -
Vous avez peur, écrivait-il aux hommcs chargés
de sa confiance, et vous communiquez votre peur
autour de vous. La situatioo cst grave,
mais elle
n'en est pas oi't en sont vos alctrmes.
C'est bien
de prier, mais vous priez en gens effarés, et si
je suivais votre exemple ici, mes soldats se croi–
raient perdus. Exécutez autour de París les ou–
vr:iges que je vous aí prescríts; armez, habillez
mes conscrits, faites-Jes tirer
a
la cible, expédiez–
les-moi des qu'ils ont acquis les notions indispen–
sables, arretez les fuyards, mettez-les daos les
corps, réunissez des
vivr.eset des munitions ;
soyez calmes, ne changez pas d'avis
a
chaque idée
nouvelle qui jaillít de la'fermentation des esprits,
ayez mes ordres toujours présents, suivez-les
et
laissez-rnoi {aire.
Je sais bien quc quelques Cosa–
ques out parudu cótéde Sens, quel\lacdonalds'est
laissé refouler sur laMarne, mais soyez tranquilles,
l'
cnnemi payera cher sa folle témérité. Encore un e
fois, ne vous agitez pas, n'écoutez pas tous les don–
neurs d'avis, ne parlez pas au premier venant,
travaillez, taisoz-vous,
et laissez-rnoi {aire ...
Tels étaient les sages et énergiques conseils
que ,Napoléon adressait a Cambacéres, au minis–
tre de la guerre et
a
son frere Joseph. Quant
a
l'impératrice,
il
ne lui donnait que des nouvelles
de sa santé, quelques détails succincts et rassu–
rants sur l'armée, le tout d'un ton affectueux et
ferme, mais
iI
avait une opinion bien arretée
sur ce qu'il fallait faire d'elle et du roi de Rome,
si l'ennemi venait
a
se montrer devant París. 11
voulait que la capitale füt défendue, car il savait
bien que si elle était ouverte
a
l'ennemi, on y
établirait sur-le-champ un gouvernement qui ne
serait pas le .sien; mais en la disputant énergi–
quement aux a1·rnées alliées, il ne ·voulait pas
qu'on y laissat sa femme et son fils. En les gar–
dant en sa possession, il croyait conserver avec
l'Autriche un lien puissantque le respect humain
ne permettrai
~
pas de mépriser. Si au contraire
ce gage précieux venait
a
luí échapper,
il
se di–
sait qu'on ne manquerait pas de
s~emparer
de
Marie-Louise, de profiter de sa faiblesse pour
composer une régence qui l'exclurait luí du
tróne, ou bien
~'envoyer
elle et le roi de Rome
a
Vienne, de les
y
entourer de soins, comme on
fait
a
l'égard d'une honnete fille compromise
daos un mauvais mariage, de le traiter lui en
aventurier qui n'était pas digne de la femme
qu'on luí avait donnée, et de le reléguer dans
quelque prison loin taine. Puis on éleverait son
fils a Vienne, comme un princo autrichien
!... -
Cctte perspective, quand elle se présentait
a
son
esprit, le bouleversait profondément, et lui en
faisait oublier une autre non moins alarmante,
celle de Paris laissé vacant devant les :Bourbons
qui s'approchaient. 11 avait raison sans doute,
car il était vrai qu'on luí prendrait son fils et sa
femme, qu'on éleverait son fils en prince étran–
ger, qu'on mettrait sa femme daos les .bras d'un
autrc époux, mais
il
n'était pas moins vrai que
Paris resté vide, on en profiterait pour y placer
les Bourbons. Ce n'était pas tel ou tel mal,
1
c'étaient tous les maux qui, en punition de ses
fautes, allaicnt fondre
a
la fois sur sa tete con-
damnée par la Providence
!
Préoccupé surtout du danger de laisser tom–
ber sa femmc et son fils dans les mains des
Autrichiens, il prescrivit
a
son frere Joseph, par
une lettre d u 8 février, de se conformer
a
ses
intentions, telles qu'il les luí avait déja expri–
mées en partant, de laisser
a
París son frere
Louis avec des pouvoirs étcndus, d'y rester lui–
memc s'il Je fallait, de défendre la capitale
a
outrance, mais d'envoyer sur Ja Loire fimpé–
ratrice et le roi de Rome, avec les princesses,
les ministres, les grands dignitaires, le trésor de
la couronne, de n'en pas croire slirtout des
ennemis secrets tels que
l\f.
de Talleyrand, qu'il
n'avait que trop ménagés, de suivre enfin ses
instructions et pas d'autr0s.
»
Le sort d'Astya–
nax, prisonnier des Grecs, ajoutait-il, m'a tou–
jours paru le plus triste sort du monde: j'aime–
rais mieux voir mon fils égorgé et précipité
dans la Seine, que de le voir aux mains des
Autrichiens pour etre conduit
a
Vienne.
Napoléon indiquait ensuite comment
il
fa:l–
lai t <léfendre Paris. N'ayant pas songé
a
élever
des ouvrages en ma<¡onnerie de peur d'alarmer
les habitants, il s'était contenté de faire préparer
des palissades et de l'artillcrie. Maintenant que