BRIENNE ET l\iONTMIRAlL. -
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coalisés s'était diviséc, et avait jeté une de ·ses
ailes sur la Marne. C'est ce qu'il aváit toujours
désiré et toujours cspéré. Aussi avait- il porté
l\farmont vcrs Arcis-sur-Aube (voir la cartc nº 62),
et Jui avait-il enjoint de pousser des reconnais–
sances sur Sézanne, sur la Fere-Champenoise,
pour se tenirau courant de ce que faisaitl'ennemi,
et etre toujours en mesure de profiter de la
premicre faute.
Ccpendant
il
fallait qu'il répondit aux suppli–
cations de Berthier, de
l\'I.
de Bassano, de l\f. de
Caulaincourt, et surtout aux alarmes de Paris.
Des latitudes pour traiter ?... demandait-il ;
qu'entendait-on par ces cxprcssions ?... Enten–
dail-on des sacrifices en Hollandc, en Allemagnc,
en Italic, il était prct
a
les faire. Le Wahal, il
l'abandonncrait, pour revenir
a
la l\fouse et
a
l'Escaut, mais pourvu qu'il gardat Anvers.
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sa–
crifierait Cassel: Kchl, quoique ces points fussent
de vrais fauhourgs de l\fayence et de Strasbourg,
et démuntelerait méme l\fayence pour rassurer
l'Allemagne, mais
a
condition de conscrver le
Rhin. En Halié, il renoncerait
a
tout, memc
a
Genes, pourvu qu'il conservat les Alpes, et, s'il
était possible, quelquc chose pour le fidelc prince
Eugene. Mais consentir
a
recevoir moins que la
France, la véritable France, celle dont la révolu–
tion de
1789
avait fixé les limites, c'était se dés–
honorer .saos espérance de se
sa~1ver.
Au fond,
disait-il, on ne voulait plus traiter avcc lui; on
vou)ait détruire, luí, sa dynastie, surtout la ré–
volution franc;aise, el les proposilions de négo–
cier n'étaicnt qu'un ]curre. Si dans la nouvclle
offre de traitcr on apportait -quelque sincérité,
c'est que probablement on lui préparait des con–
ditions tellement humiliantes qu'il en serait dés–
honoré, et que le déshonneur scrvirait de garan–
tie contre son caraclere et son génie. Mais con–
sentir
a
de te11es choscs était de sa part impos–
sible ! Descendre du tróne, mourir meme, pour
luí qui n'était qu'un soldat, était pcu de chose en
comparaison du déshonneur. Les Bourbons pou–
vaient accepter la France de
1790;
ils n'en
avaient jamais connu d'autre, ctc'était celle qu'ils
avaient eu la gloire de créer . l\iais lui , qui avnit
rec;u de la République la France avec le Rbin et
les Alpes, que répondrait-il aux républicains du
Directoirc, s'ils lui renvoyaient la foudroyante
aposlrophe qu'il leur avait adressée au
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bru–
maire? Ríen, et il resterait confondu
!
On lui -de–
mandait done l'impossible, car on lui demandait
son propre déshonneur.
Oserons-nous le dire, nous qui daos ce long
récit n'avons cessé de bJamer la politique de Na–
poléon , qui avons trouvé inutilc, peu sensée,
funeste enfin toute ambition qu·i s'élendait au
dela du Rhin et des Alpes? II nous semble que.
pour cette fois Napoléon voyait plus juste que
- ses conseillers; mais, comme il arrive loujours,
pour avoir eu tort trop longtemps, il n'élait plus
ni écouté ni cru lorsqu'il avait raison. Ses diplo–
matcs désillusionnés trop tard, ses généraux ex–
ténués de fatigue, le conjuraient de rester empe–
reur de n'importc qucl empire, parce- que, luí
demcurant empereur, ils demeuraient ce qu'ils _
avaient été.
La
Francc était moindre, mais elle
restait grande encore, parce qu'elle restait la
France, et eux ne perdaicnt ríen de leur éléva–
tion indi viduelle. Aleurs yeux, le Rhin, les Alpes,
constituaient pcut-ctre la grandeur de Napoléon
et de la France, mais nullemcnt leur grandeur
personnellc : triste raisonnement, que
la
lassi–
lud c rendai t excusable chez des militaires épui–
sés, la crainte chez des diplomates juslcment
alarmés
!
Sans doutc les conqueles que Napoléon
avait faites du Rhin
a
la
Vistulc, des Alpes au
détroit de Messine, des Pyrénécs
a
Gibraltar, ne
valaient pas le sang qu'clles avaient couté, et
n'auraicnt pas meme méritéqu'on fitcoulcr pour
elles le sang d'un seul homme. Au contrairc, pour
gardcr les fronti cres uaturelles de la Frunce, on
pouvait demander
a
ses soldats de verser jusqu'a
la <lerniere gouttc d-e leur sang, on pouvait de–
mandcr a Napoléon de risqucr son trónc et sa
vie, et, sclon nous, apres tant d'crrem·s, aprcs
tant de folies, de prodigalités de tout genrc, il
avait scul raison, quand
il
disait qu'on exigeait
son honneur en exigeant qu'il cédat quelquc
chose des frontieres naturelles de la Francc, de
cclles que la Ilépublique avait conquises, et
qu'elle lui avait transmises en dépót. Mais les uns
par affection, les autres par fatigue, cerlains par
le désir de se conserver, lui disaient : Sauvez,
sire, votre tróne, et en le sauvant vous aurez
tout sauvé.
Les assauts furent rucles et r épétés. Enfin, les
alarmes croissant d'heure en heure, Napoléon ne
voulant pas préciser les sacrifices, comptant sur
la fierté de M. de Caulaincourt, sur son patrio–
tisme, lui envoya
carte blanche
(expression tex–
tuelle).
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espérait avec raison que, le coonais- ,
sant comme il le connaissait, M. de Caulaiocourt
n'y verrait pas l'autorisation de faire les derniers
sacrifices, et que cependant s'il fallait de grandes
concessions pour arracher la capitalc des mains
de l'ennemi, il serait libre, et pourrait la sauver: