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LIVRE CJNQUANTE-DEUXIEl'ifE.
car celte occasion est comme celle de Prague,
comme celle de Francfort; une fois négligéc, elle
ne se représentera plus. -
M.
de Caulaincourt,
effrayé de ces avis, et voulant savoir quels sacri–
fices on allait irnposer
a
la France , n'avait pu
obtcnir de
M.
de Floret aucunc explication, mais
il en avait tiré Ja certitude qu'il fallail se r ésigocr
a
de bien autres sacrificcs que ceux de Fr:mc–
fort, si on voulait sauver París et, avec Paris, le
tróne impérial. 11 avait done écri t ;. Napoléon ,
et J'avait supplié de luí accorder des latitudes
pour négocier, car des instructions qui lui en–
joignaíent d'exiger non-seulement l'Esca ut, mais
le Wahal ;
non-seul~ment
les Alpes, mais une
partie de l'Italic; non-seulement une influence
légitime sur le sort des provinces cédées, mais la
possession d'une partic d'enlre ell es pour les
freres de Napoléon , étaicnt un afTreux contre–
scns avec la situalion présente.
JI
avait demandé
des latitudes sans dire lesquelles, et les avait
demandées
a
genoux, non comme un h omme
qui se prosterne pour sauver sa fortu ne et sa
vie, mais comme un bon citoyen qui-s'humilie
pour sauver son pays. Se défiant de
1\1.
de Bas–
sano, qu'il n'aimait point, et dont il n'était point
aimé, qu'il considérait
a
tort commc la cause de
l'entetemcnt de Napoléon, il avait écr) t
a
Bcr–
thier, pour le pricr d'abord de lui envoyer des
informations exactes sur la situalion militaire,
et pour le eonjurer ensuite , lui le noble et fid cle
compagnon des dangers de I'empcreur, d'cm–
ploycr toute son influence
a
le fairc céder.
C'est ainsi que Napoléon avait cu
a
subir non–
seulcment
la
lettre de
M.
de Caulaincourt de–
rnandant d'autres instructions, mais les pderes
les plus vives de Berthier, et de
M.
de Bassano
lui-meme, qui en ce momcnt était loin d'exciter
son maitre
a
la résislancc. Des nouvelles venues
de divers cólés aiguillonnaient encore le zcle
de tous ceux qui entouraicnt Napoléon. En
effet, des corps autrichiens semblaient s'etre
étendus
a
notre droite par dela I'Yonne. Quatre
a cinq mille Cosaques avaient dépassé Sens, et
menai;aient Fontaineblcau.
A
notrc gauchc, vcrs
la l\1arne, l'aspect des choscs n'était pas moins
inquiétant. Le maréchal .Macdonald, qui avai t
rei;u ordre de se rcplier sur ChaJons et de s'y
1
Suivant ruon habitude de ne jamais trace1· des lableaux
de fanlaisie, je diraique j'empruntc ces détails non-sculcment
a
Ja correspondancc tlu roi Joseph, qui a élé publiéc en pal'–
tie, mais
a
celle du pl'ince Cambacércs, du duc de Rovigo, du
duc de Fellre, qui ne l'ont pas été, el qui sonl cx lrémemcnt
délaillées. Elles donncnt avec encore plus de vivncité toutes
maintenir, en avait été expulsé par l'ennemi,. et
avait été contraint de se retirer sur Chateau–
Tllierry. On le disait meme rejeté sur l\foaux.
Les 11
e
eL
1)c
corps d'infanterie, les 2° et 5e de
cavalerie qu'il arnenait avec lui, et que Napoléon
évaluait
a
1.2
millc hommes au moins. étaient
en réalité réduits
a
6
ou 7 mille. Des
b~ndes
de
fuyards, aprcs avoir quitté l'armée, s'étaient ré–
pandues entre l\foaux et Paris , et y avaient porté
l'épouvanle. Les Parisiens voyaient l'ennemi
arriver sur eux par trois routes, celle d'Auxerrc,
celle de Troyes, celle de Cbalons, et sur une des
trois sculemcnt disccrnaient une force capable
de les couvrir, celle que Napoléon commandait
en personne, laquelle avait eu, disait-on, l'avan–
tage dans le combat du 29 janvier, mais un désa–
vantage marqué dans Ja bataille du 1
er
février.
On parlait en outrc de mouvemcnts dans la Ven ·
déc, et ce pays naguer e si tranquille, si recon–
naissant envers Napoléon, paraissait prct
a
s'agitcr. Eofin,
a
la stupéfacLion générale, on
annon <¡ait que Murat, le propre beau-frere de
l'empereur, élcvé pa1· lui au tróne, venait de
trahir
a
la fois l'alliance ' Ja patrie , Ja parenté,
en se portant sur les derricres du prince Eugene.
Ce concours de mauvaises nouvelles avait bouJe–
versé to utes les tetes. L'impératrice, épouvantée,
appelait sans ccssc aupres d'ellc tantót Joseph,
tantót l'archichancelier, pour Ieur con.fier ses
chagrins, et, en voyant le péril s'approcher, se
moLu·ait de p eur pour son époux, pour son fils,
pour clle-mcme. On répandait dans París que la
cour allait se retirer sur la Loire, et tous les
jours une foule inquiete venait aux Tuileries,
pour s'assurer si les voilures de promenade qui
ordioairemcnt transportaicnt l'impératrice et Je
roi de Rome au bois de Boulogne, n'étaient pas
des voitures de voyagc destinées
a
se diriger sur
Tours
1
•
Ces circonstances irritaicnt Napoléon sans l'é–
branl cr. Ou chacun voyait des sujets de crainte,
il
apci·cevait plutót des sujets d'cspérance. 11 se
doutait, en cffet, qu'un corps autrichien s'était
approché de lui, et il songeait
a
se précipiter
sur ce corps pour l'accabler. Le danger de l\fac–
donald, la maniere dont il était poursuivi, le
disposaient
a
croirc que la grande armée des
les pal'liculal'ités que je l'apporte
ici.
J'allénue clone plulót
que j e n'exagcrc les eouleurs, sachant qu'il faut loujoul's oler
quelque chose
a
J'exagération d11 temps, bien que cctle exa–
gération soit un tics traits de la situation qu'il convient de
conscrvcr clans une ccrtaine mesure.