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LlVRE
CINQUANTE-DEUXIEME.
dans les bois, Napoléon fut réduit
a
canonner
fa
ligne russe, que ses cavaliers ne pouvaient en–
tamer, et on se borna ainsi,pendant plus dedeux
hcures,
a
un échange de boulets qui ne laissait
pas que d'etre assez meurtrier. Enfin, Ney et
Víctor commeni;ant
a
déboucher, Napoléon or–
donna d'attaquersur-Ic-champ. Víctor avait laissé
Ja
division Duhesme
a
l\farmont, et Ney n'avait
que deux faibles divisions ·de la garde ; nous dis–
posions ainsi tout au plus de 1
o
a 11 mille
hommes d'ü1fanterie, et de 6 mille de cavalerie.
Blucher avait 50millc110mmes au moins. Napo–
léon n'hésita pas toulefoisr car on ne comptait
plus les ennemis et au contraire on comptait les
beures. 11 poussa Ney en dcux eolonnes dirccte–
ment sur Brienne, tandis qu'il dirigeait par sa
droite une brigade du corps de Víctor sur le ch:l–
teau de Briennc, et qu'il portait vers sa gauche
le reste de ce corps, de maniere
a
menacer la
route de Brienne
a
Bar, ce qui devait déterminer
la retraite de Blucher.
Ces dispositions eurent tout d'abord le succcs
désiré. Nous avions bien peu de vieilles-troupes;
la
jeune garde ne comprenait que des conscrits
a
peine vetus, et n'ayant jamais tiré un coup de
fusil. On les appelait des
lJfarie-Louise,
du nom
de la régente, sous laquelle ils avaient été levés
et organisés. Mais ils étaient placés dans de vieux
cadres, et conduils par le maréchal Ney. Ces
jeunes gens supportcrent un feu violent sans en
etre ébraolés, et forcerent l'infanlerie russe
a
se
replier sur Brienne, quoique trois fois plus nom–
breuse qu'eux. Malheureusement un accident
survenu a notre aile gauche ralentit ce succes.
Vers cette aile, la faible colonne de Víctor, que
Napoléon avait dirigée sur la route de Bar, afin
de menaccr la ligne de retraite de Blucher, s'é–
tait trouvée en face de la cavalerie r-usse ramenée
tout entierc de ce coté, tandis que la nótre était
au cóté opposé. Abordée brusquement par plu–
sieurs millicrs de cavaliers, l'infanterie de Víctor
éprouva une sorte de surprise et fut contrainte
de rétrograder. Napoléon, qui était au milieu
d'elle, courut le plus grand danger, et vit enle–
ver _sous ses yeux quelques pieces d'artillerie.
Ce mouvement rétr.ograde de notre gauche ar–
reta l'essor de Ney. Mais en ce moment la bri–
gade détachée de Victor sur la droitc avait tourné
Brienne, pénétré
a
travcrs le pare du chateau ,
assailli et enlevé le eháteau lui-meme. Elle avait
failli prendre Blucher avec son état-major, et
elle captura le fils du chancelier de Hardenbcrg.
De notre cóté, nous perdimes le brave contre-
amiral Baste, des marjns de la garde, qui dans
cette journée termina une vie héroi'.que par une
mor-t glorieuse. La conquete de cette position
dominante causa un fort ébranlement parmi les
Russes. Ney alors les poussa vivement, entra
dans Brienne
a
lcur suite, et emporta la ville
a
l'instant meme oú l'artillerie de l'cnnemi achevait
de la traverser. Blueher, piqué du résultat de
cetle premiere ren contre, craignant pour la
queue de son pare d'artillerie, voulut faire un
dernier effort pour reprendre Brienne et l'oc–
cuper au moins pendant quelqucs heures. 11
exécuta en effet, vers dix heures du soir, une at–
taque furieuse contre la ville et le chateaq·, a
la
tele de l'infanterie de Sacken. L'attaque sur la
ville, favorisée par la nuit, eut un commence–
ment de succes contre nos jeunes troupes sur–
prises de ce re tour offensif. l\lais un brave officier,
le chef de bataillon Enders, qui gardait le cha–
tea u avec un bataillon du
~>6°,
culbuta les as–
saillants <lans la ville, et ceux-ei, re((US par nos
soldats qui étaien t revenus de leur trouble,
furen~
tous tués ou pris. Ce succes ranima notre élaii;
on poussa l'infanterie de
Saek.enhors de la ville,
et notre artillerie qui était nombreuse, tirant
aussi juste que l'obscurité le permettait, couvrit
les Russes de mitraille.
11 était onze heures du soir lorsque ce combat
fut terminé. La confusion était si grande, que
Napoléon ne crut pas pouvoir prendre gite au
chateau. ll coucha dans un village voisin, se
trouva un moment entouré de Cosaques en rc–
gagnant son bivac, et fut sur
fo
point d'etre
cnlevé. Berthier, précipité dans la boue, en fut
retiré tou t meurtrL
Le lendemain matin, on vit plus clair dans la
position. On sut qu'on avait cu affaire
a
plus de
50 mille homrncs, et que Blucher se retirait dans
la vaste plaine qui s'étend au dela de Brienne,
sur la route de Bar-sur-Aube. On le suivit avec
une centaine de bouches a feu, et on le cribla de
boulets jusqu'au village de la Rothiere, ou
il
s'ar–
reta .
Ce combat était fort honorable pour nos jeunes
soldats, qui , se battant dans la proportion d'un
contre deux , avaient fini par l'emporter sur les
plus vieilles bandes de la coalition, menées par
le plus brave de ses généraux. l\falheureusernent
ce n'était pas un contre deuxJ mais un contre
cinq qu'il faudrait bientót se battre pour tacher
de sauver la France
!
L'ennemi avait laissé da ns
nos mains environ 4 mille hommes morts ou
blessés. Nous en avions pres de 5 millc hors de