BRIENNE ET lilONTl\11RAIL. -
JANVIER
1.8·.14.
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Néanmoins il n'y avait pasa s'épouvanter, selon
luí. L'ennemi était nombreux, rnais divisé, et
il
était impossible qu'il ne commit pas de grandes
fautes dont on se baterait de tirer partí. 11 s'avan–
'taít par deux routes, celle de l'est, de Bale
a
París, celle du nord-est, de Mayence
a
París, et
il
était difficile qu'il
fit
auti·ement, ayant
a
Jier
ses opérations avec
le~
troupes agissant dans les
Pays-Bas. Indépendamment de cette séparation
obligée entre l'armée de Blucher, ancienne ar–
mée de Silésie, et celle de Schwarzenberg, an–
cienne armée de Boheme, l'ennemi s'était encore
fractionné par des motifs sccondaíres. Blucher
avalt laissé des troupes au blocus de l\fayence et
de l\1elz; les colonnes de Schwarzenberg étaíent
fort éloignées les unes des au tres; celle de Bubna
avaít pris par Geneve, celle de Colloredo venait
par Auxonne et la Bourgogne, celle de Giulay
et du prince de Wurtemberg par Langrcs et
la
Champagne, celle de Wrede par l'Alsace. Enfin
celle de Wittgenstein se trouvait aux environs
de Strasbourg.
JI
y avait encore quelques déta–
chements autour de Besan'ton, Béfort, Hunin–
gue, etc. 11 n'était pas possible que tant de corps
épars fussent dirigés avec assez d'i ntelligence
pour ctre concentrés
a
propos sur le point oú ils
auraient
a
combattre. D'ailleurs la configuration
des lieux allait les induire elle-meme
a
commettre
les fautes dont on espérait profiter.
Lorsqu'on s'avancevers la capitale de la France
soit par le nord-est, soit par l'est, on arrive,
apres avoir passé la Meuse ou la Saóne, au bord
d'un bassin dont París cst le centre, et vers lequel
coulent la Marne et la Seine, formant un angle
dont les cótés viennent se réunir
a
un sommet
commun, qui est Paris. (Voir les cartes n•• 61
et 62.) Blucher suivait en ce moment un coté de
cet angle, en se portant vers Saint-Dizier sur Ja
Marne ; Schwarzenberg suivait l'autre en pour–
suivant Mortier le long de la Seine. C'était le cas
de se jeter rapidement sur l'un d'eux, n'importe
lequel, avec les forces qu'on pourrait réunir.
Aux 21:í mille hommes de Ney, Victor et Mar–
mont, Napoléon allait ajouLer le détachement de
Lefebvre-Desnouettes avec une immense quantité
d'artillerie. Il pouvait, apres avoir remonté la
l\'larnejusqu'a Saint-Dizier, se rabattre prompte–
ment sur sa droitc, attirer
a
lui Gérard et Mor–
lier, et fondre avec
?:SO
mille hommes sur la
colonne de Schwarzenberg. ll était probable
qu'on aurait la un succes. Ce premier avantage
arreterait la marche si confiante des coalisés. Si ·
la guerre se prolongeait, on pourrait, en manreu -
vrant bien dans cet angle formé par la Seine et
la l\forne, avoir d'autres succes, peut-etre consi–
dérables. .D'une part, le duc de Valmy allait
faire occuper les divers passages de la Marne, en
Jevant les gardes nationales et en barricadant
tous les ponts; de l'autre Pajol, avec la cavalerie
et les gardes nationales, allait prcndre les memes
précautions sur la Seine, et pousser ses opéra–
tions sur l'Yonne, qui en est pour ainsi dire un
bras détaché. Entre ces deux lignes de la Marne
et de la Seine se trouve une ligne intermédiaire,
cellc de l'Aube, qui multiplie les difficultés pour
l'attaquant, et les moyens de résistance pour
I'altaqué. L'ennemi, amené tantót par choix, tan–
tót par nécessité,
a
se partager entre ces diverses
rivieres, n'en possédant pas les passages que nous
occuperions exclusivement, fournirait mille oc–
casions de le battre, qu'il faudrait promptement
saisir, et on pouvait s'en fier de ce soin
a
Napo–
léon. Pendant ce lemps arriveraient des troupes
d'Espagne et de l'intérieur; Ja population, rani–
mée par le succes, reprendrait courage; Augereau
remonterait de Lyon sur Besarn;on, et inquiéte–
rait l'ennemi sur ses derrieres; les commandants
de nos places exécuteraient de fréquentes sorties
contre les faibles corps qui les bloquaient, et si
la fortune n'était pas absolument contraire, on
aurait quelque bonne journée, et Caulaincourt,
alnsi sccondé, finirait par signer une paix hono–
rable. Tout n'était done pas perdu
!
s'écriait
Napoléon. La guerre présentait tant de chances
diverses quand on savait persévérer
!
11 n'y avait
de vaincu que celui qui voulait retre
!
Sans doute
on aurait des jours difficiles ; il faudrait quel–
quefois se battre un contre trois, meme un contre
quatre; mais on l'avait fait dans sa jeunesse, il
fallait bien savoir le faire dans son age mur.
D'ailleurs, de tous ]es débris de l'ancienne ar–
mée, on avait conservé une excellente et nom–
breuse artillerie, au point d'avoir cinq ou six
pieces par mille hommes. Les boulets valaient
bien les halles. On avait eu toutes les gloires;
il en restait une dernjere
a
acquérir, qui com–
plete toutes les autres et les surpasse, celle de
résister
a
la mauvaise fortuu e, et d'en triompher;
apres quoi on se reposerait daos ses foyers, et
on vieillirait tous ensemble dans cette France,
qui, grace
a
ses héro'iques soldats, apres taut de
phases diverses, aurait sauvé sa vraie grandeur,
celle des frontieres naturelles, et de plus une
gloire impérissable.
En disant ces nobles choses , Napoléon se mon–
trait serein, cnressant, rajeuni, paraissait croire
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