L'INVASION. -
JANVIER
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fUt donné suite au rapport de M. Lainé , seconde–
ment pour empecher que ce corps ne rcstat en
session, pendant une guerre dont le théatre pour–
rait se transporter jusque sous les murs de la
capitale.
L'archichancclier Cambacéres combattit cette
proposition avec son ordinaire sagesse. Le rap–
port, dit-il, était intempestif sans doute, et meme
facheux, mais
il
était fait, et rien ne pourrait
en prévenir la publicité. Réussit-on a interdire
cette publicité en France, on ne parviendrait
certainement pasa l'interdire al'étranger. L'ajour–
nement du Corps législatif serait un fait plus
grave que le rapport lui-meme, car tout le monde
s'empresserait de preter a ce corps des inten–
tions infiniment plus hostiles que celles dont
il
était animé. Quanta l'inconvénient de sa réunion
pendant la campagne prochaine, on ne pouvait
saos doute pas affirmer qu'il ne commettrait
point d'imprudence, mais c'était un inconvénient
auquel
il
serait temps de pourvoir le moment
veou, saos le devancer par un éclat déplorable.
Renvoyer en effet le Corps législatif, c'était soi–
meme proclamer la désunion des pouvoirs,
c'était soi-merne proclamer une sorte de rupture
entre la France et l'Empereur.
Chacun modela son langage sur celui de l'ar–
chichancelier, chacun trouva l'ajou'rnement plus
facheusement significatif que le rapport lui–
meme. Mais sur les inconvénients de la réunion
du Corps législatif pendant la campagne, tout
le monde hésitait
a
affirmer quelque chose, et
pourtant c'était sur ce point que la prévoyance
de Napoléon se portait avec le plus de sollíci–
tude; car, prenant son partí du mal accompli,
il
demandait
a
se prémunir contre le mal futur,
et
iI
pressait tous les opioants de l'éclairer sur
ce sujet. S'apercevant qu'arrivé a cette partie de
son discours, chacun balbutiait, Napoléon inter–
rompit la discussion et la termina par quelques
paroles tranchantes et décisives. - Vous le
voyez bien, dit-il, on est d'accord pour me con–
seiller la modération, rnais personne n'ose m'as–
surer que les législateurs ne saisiront pas un
jour malheureux, comme il y en a tant
a
la
guerre, pour faire spontanément, ou
a
l'instiga–
tion de quelques meneurs, une tentative fac–
tieuse, et je ne puis braver un pareil doute.
Tout est moins dangereux qu'une semblable
éventualité.-Sans plus ríen écouter,
il
signa le
décret qui pronorn;ait pour le lende,main 51 dé–
cembre l'ajournement du Corps législatif, et
il
ordonna au due de Rovigo de faire cnlever
a
CONSDLAT.
a,
l'imprimerie et ailleurs les copies du rapport de
M. Lainé, rapport depuis si célebre.
Le décret porté au Corps législatif y produisit
une profonde sensation. En un instant il convertit
en ennemis deux cent cinquante personnages,
dont le plus grand nombre étaient parfaitement
soumis, et n'avaient voulu qu'exprinÍer un fait
vrai, utile
a
révéler : c'est que l'administration
locale, r églant sa conduite sur celle du chef de
l'Empire, se permettait les actes les plus arbi–
traires, actes tels, qu'ils constituaient un véri–
table état de tyrannie. Dans le public, ce fut pis
encore. On supposa qu'il s'était dit les choses
les plus graves dans le Corps législatif; et qu'il
s'y était produit les révélations les plus impor–
tantes. Les ennemis, qui désiraient la chute du
gouvernement impérial , s'empresserent de pu–
blier partout que l'Empereur était en complet
désaccord avec les pouvoirs publics, qu'on avait
voulu luí imposer la paix, qu'il s'y était refusé,
et que, par conséquent, les torrents de sang qui
devaient couler allaient couler pour Jui seul :
vérité dans le passé, calomnie dans le moment ;
cette idée était la plus funeste qu'on put ré–
pandre
!
Cet éclat, qui, avec un caractere autre que
celui de Napoléon, se serait borné
a
un éclat au
Moniteur,
eut, grace a sa vivacité personnelle,
des conséquences encore plus regrettables. Le
lendemain,
1
er
janvier
1814,
il
devait recevoir
le Corps législatif avec les autres corps de l'État,
et
il
mit une sorte d'empressement a le convo–
quer, comme s'il avait craint de manquer l'occa–
sion d'exhaler l'irritation qui le suffoquait. Apres
avoir entendu de Ja part du président le compli–
ment d'usage,
il
vint hrusquement se placer au
milieu des membres du Corps législatif et, avcc
une voix vibrante, des yeux enflammés,
il
leur
tint un langage familier jusqu'a la vulgarité,
mais expressif, fier, original, quelquefois vrai ,
plus souvent imprudent, comme l'est Ja colerc
chez un homme supérieur. Il leur dit qu'il les
avait appelés pour fairc le bien , et qu'ils avaient
. fait le mal ; po1Jr manifcste1· l'union de la France
avec son chef, et qu'ils s'étaient hatés d'en pro–
clamer la désunion; que deux batailles perdues
en Champagne ne seraient pas aussi nuisibles
que ce qui venait de se
pas~er
parmi eux. Puis,
les apostrophant avec véhémence : " Que voulez–
" vous?... leur dit-il. Vous emparer du pouvoir ;
" mais qu'en fcriez-vous? Qui de vous pourrait
" l'exercer? Avez-vous oublié la Constituánte,
" Ja Législative, la Convention? Seriez-vous
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