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L'INVASION. -

JANVIER

f8i4.

5ti5

fUt donné suite au rapport de M. Lainé , seconde–

ment pour empecher que ce corps ne rcstat en

session, pendant une guerre dont le théatre pour–

rait se transporter jusque sous les murs de la

capitale.

L'archichancclier Cambacéres combattit cette

proposition avec son ordinaire sagesse. Le rap–

port, dit-il, était intempestif sans doute, et meme

facheux, mais

il

était fait, et rien ne pourrait

en prévenir la publicité. Réussit-on a interdire

cette publicité en France, on ne parviendrait

certainement pasa l'interdire al'étranger. L'ajour–

nement du Corps législatif serait un fait plus

grave que le rapport lui-meme, car tout le monde

s'empresserait de preter a ce corps des inten–

tions infiniment plus hostiles que celles dont

il

était animé. Quanta l'inconvénient de sa réunion

pendant la campagne prochaine, on ne pouvait

saos doute pas affirmer qu'il ne commettrait

point d'imprudence, mais c'était un inconvénient

auquel

il

serait temps de pourvoir le moment

veou, saos le devancer par un éclat déplorable.

Renvoyer en effet le Corps législatif, c'était soi–

meme proclamer la désunion des pouvoirs,

c'était soi-merne proclamer une sorte de rupture

entre la France et l'Empereur.

Chacun modela son langage sur celui de l'ar–

chichancelier, chacun trouva l'ajou'rnement plus

facheusement significatif que le rapport lui–

meme. Mais sur les inconvénients de la réunion

du Corps législatif pendant la campagne, tout

le monde hésitait

a

affirmer quelque chose, et

pourtant c'était sur ce point que la prévoyance

de Napoléon se portait avec le plus de sollíci–

tude; car, prenant son partí du mal accompli,

il

demandait

a

se prémunir contre le mal futur,

et

iI

pressait tous les opioants de l'éclairer sur

ce sujet. S'apercevant qu'arrivé a cette partie de

son discours, chacun balbutiait, Napoléon inter–

rompit la discussion et la termina par quelques

paroles tranchantes et décisives. - Vous le

voyez bien, dit-il, on est d'accord pour me con–

seiller la modération, rnais personne n'ose m'as–

surer que les législateurs ne saisiront pas un

jour malheureux, comme il y en a tant

a

la

guerre, pour faire spontanément, ou

a

l'instiga–

tion de quelques meneurs, une tentative fac–

tieuse, et je ne puis braver un pareil doute.

Tout est moins dangereux qu'une semblable

éventualité.-Sans plus ríen écouter,

il

signa le

décret qui pronorn;ait pour le lende,main 51 dé–

cembre l'ajournement du Corps législatif, et

il

ordonna au due de Rovigo de faire cnlever

a

CONSDLAT.

a,

l'imprimerie et ailleurs les copies du rapport de

M. Lainé, rapport depuis si célebre.

Le décret porté au Corps législatif y produisit

une profonde sensation. En un instant il convertit

en ennemis deux cent cinquante personnages,

dont le plus grand nombre étaient parfaitement

soumis, et n'avaient voulu qu'exprinÍer un fait

vrai, utile

a

révéler : c'est que l'administration

locale, r églant sa conduite sur celle du chef de

l'Empire, se permettait les actes les plus arbi–

traires, actes tels, qu'ils constituaient un véri–

table état de tyrannie. Dans le public, ce fut pis

encore. On supposa qu'il s'était dit les choses

les plus graves dans le Corps législatif; et qu'il

s'y était produit les révélations les plus impor–

tantes. Les ennemis, qui désiraient la chute du

gouvernement impérial , s'empresserent de pu–

blier partout que l'Empereur était en complet

désaccord avec les pouvoirs publics, qu'on avait

voulu luí imposer la paix, qu'il s'y était refusé,

et que, par conséquent, les torrents de sang qui

devaient couler allaient couler pour Jui seul :

vérité dans le passé, calomnie dans le moment ;

cette idée était la plus funeste qu'on put ré–

pandre

!

Cet éclat, qui, avec un caractere autre que

celui de Napoléon, se serait borné

a

un éclat au

Moniteur,

eut, grace a sa vivacité personnelle,

des conséquences encore plus regrettables. Le

lendemain,

1

er

janvier

1814,

il

devait recevoir

le Corps législatif avec les autres corps de l'État,

et

il

mit une sorte d'empressement a le convo–

quer, comme s'il avait craint de manquer l'occa–

sion d'exhaler l'irritation qui le suffoquait. Apres

avoir entendu de Ja part du président le compli–

ment d'usage,

il

vint hrusquement se placer au

milieu des membres du Corps législatif et, avcc

une voix vibrante, des yeux enflammés,

il

leur

tint un langage familier jusqu'a la vulgarité,

mais expressif, fier, original, quelquefois vrai ,

plus souvent imprudent, comme l'est Ja colerc

chez un homme supérieur. Il leur dit qu'il les

avait appelés pour fairc le bien , et qu'ils avaient

. fait le mal ; po1Jr manifcste1· l'union de la France

avec son chef, et qu'ils s'étaient hatés d'en pro–

clamer la désunion; que deux batailles perdues

en Champagne ne seraient pas aussi nuisibles

que ce qui venait de se

pas~er

parmi eux. Puis,

les apostrophant avec véhémence : " Que voulez–

" vous?... leur dit-il. Vous emparer du pouvoir ;

" mais qu'en fcriez-vous? Qui de vous pourrait

" l'exercer? Avez-vous oublié la Constituánte,

" Ja Législative, la Convention? Seriez-vous

,

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