L' JNVASION . -
Dt.CEMilRE
1815.
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il fallait au moins lcur parlcr franchcmcnt, et, en
avouant les torts passés, s'appuyer sur
la
bonnc
foi présentc, que la lettrc du 2 déccmbrc mettait
hors de doutc, pour obtenir du Corps législatif
la déclaration formellc que le gouvcrncmcnt
voulait la paix, la voulait honorable, mais la
voulait cnfin.
Napoléon permit de certaincs communications
un pcu plus amplcs nu Sénat, mais beaucoup
plus rcstreintcs au Corps Jégislatif. Le rapport
de.~
M. de Saint-Aignan, par cxcmplc, dut ctrc donné
avec des altérations dont l'intcntion était de
fairc disparaitre la trace de ce qui s'était passé
a
Praguc. Les lettrcs du 16 novcmbrc et du 2 dé–
ccmbrc durent toutefois ctrc communiquées
toutes dcux, car il était impossiblc, en produisnnt
cclle du 2 décembrc, de rctcnir ccllc du
16
no–
vcmbre, l'une se référant
¡,
l'autrc. Quant
a
la
forme <les communications,
il
fut convcnu que le
Sénat et le Corps législatif nommeraicnt chacun
de lcur coté une commission de cinq mcmbres,
et que cettc commission se rcndrait chez l'archi–
chancelier Cambacéres, pour prendre connais–
sance des pieces annoncées. En attcndant, on
s'oceupa dans le sein du Sénat et du Corps lé–
gislatif du choix des comrnissaircs destinés
l1
re–
cevoir les communications du gouvcrncment.
Le Sénat nomma de grands personnnges qui,
saos etre tout
a
fait dévoués, étaient incapablcs
en ce momcnt de la moindre imprudcnce. 11
désigna Ml\f. de Fontancs, de Talleyrand, de
Saint-1\'larsan, de Barbé-Marbois, de Bcurnon–
ville. Ces noms ne révélaicnt ni hostililé ni com–
plaisancc. Au Corps législatif il en fut autrement.
Le gouvernemcnt avait bien indiqué sous main
ses préférenccs, mais on n'en tint aucu n compte.
Ce corps, qui jusqu'ici avait été trop peu melé
a
la politique pour clre constitué en partis distincts,
et pour avoir ainsi ses candidats désignés d'a–
vnnce, les chercha comme
a
tatons, et fut obligé
de rccourir
a
plusicurs SCl'Ufins pour tl'OUVCr en
quclque sorte sa proprc penséc. Du premier
abord , il repoussa les candidats du gouverne–
ment; puis, apres y avoir réOéchi, il nomma
des hommes distingués, indépendants, qui jouis–
saicnt, sans l'avoir IJriguée, de !'estime de leurs
collcgucs. Ce furent
l\'I.
Lainé , célebre avocat de
Bordeaux, ayant vivement adopté autrcfois les
idées de la Révolution, rcvenu depuis
a
des opi–
nions plus modérécs, doué d une ñme honn ete
mais passionnée, d'une éloquence étudiée mais
brillante et grave; M. Ra nouard, homme de
lcures en réputation, autcur de la tragédic des
Tempriers,
honnCte hommc, vi
f,
spirituel et sin–
ccrc; l\I. l\Iaine de Biran, esprit médilalif, voué
aux étud cs philosophiques, l'un des savanls que
Napoléon accusait
d'icléolo,qie;
enfin MM. de
Flaugcrgues et Gallois, ceux-ci moins connus,
mais gens d'esprit et partisans trcs-prononcés de
la liberté politique. Tous,
a
la vcillc d'étre cn–
gagés dans une lutte contre le gouverncment,
étaicnt mis prcsque sans y penscr sur la voie du
royalisme
(nous enlendons par cette dénomina–
tion un pcnchant déclaré pour les Bourbons avcc
des lois plus ou moins libérales), mais ils n'y
étaicnt pns encore, au moins les trois prcmicrs,
les sculs qui jouissent alors d'une certaine r e–
nomméc.
Ces choix une foi s faits, chaque commission se
rendit., sous la conduile du présidcnt de son
corps, chez le prince archichancelier. La com-–
mission du Sénat fut admise la premicrc, c'est-a–
dire le 25 décembre. Elle r cc:ut les communi–
cations de M. de Caulaincourt lui-mcme, écouta
tout, ne <lit rien, et, :iprcs avoir entendu
Ja
lec–
ture des letlres du
1G
novcmbrc et du 2 décem–
bre, ne conserva pas un doute sur la faute qu'on
avait commise en n'acceptant pas purement et
simplcment, et tout de suite, les propositions de
Francfort. En clfet, des esprits lcls que l\Jl\L de
Tallcyrand et de Fontancs voyaient bien que
c'était la Icttre du 2 déccmbre qu'il aurait fallu
écrire le 1
G
novcmbrc. l\f. de Fontanes
fut
chargé
de préscnler au Sénat le rapport sur les opéra–
tions de la commission sénatoriale. Chose bizarre
!
la communication adrcssée aux hommes les plus
· sérieux était juslcmcnt la moins sérieuse, parce
qu'ellc était puremcnt d'apparat. Le
21t-
cut licu
Ja scconde communicalion, cclle qui, dcslinée
a
des personrnigcs moins importants, devai t avoir
cependant une importancebcaucoup plus grande.
Comme si l'on eut voulu en rapetisscr encore
le caraclerc, on avait chargé non pas le mi–
nistre lui-meme, mais !'un de ses subordonnés,
l\f.
d' Hautcrivc, hoinme d'u n véritable méritc du
rcsle, de s'aboucher avcc les mcmbrcs du Corps
législatif, et de lcur exposcr Ja marche des négo–
ciations. La conférence se tint égalcment chcz
le prince archichancelier. Au licu de grands
personnage , connus et froidcmcnt allentifs, on
eut dcvant soi des hommes
a
visage nouvcau,
curieux, pa sionnés, écoutant ce qu'on lcur di–
sait, mais dé irant et deman<lant cncore davan–
tage. Le rapport Ju, ils en réclamcrent une nou–
velle lccture, et on ne la Icor refu a pas. LeUI'
premicre imprc sion fut une sortc d'étonnement.