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LIVHE CINQUANTE ET UNIEnIE.
préparatifs, _il avait, en oulre, des mesures politi–
ques
a
prendrc poor fa irc oncourir les moycns
moraux avcc les moycns matéricls. Apr cs avoü·
laissé oisifs
a
Paris les mcmLrcs du Corps légis–
lalif, il avait enfin résolu de les réunir, et il
voulait s'cn servir pour réveiller l'opinion publi–
qu~,
pour la ramener
a
lui, et, s'il ne le pouvait
pas, pour la forccr au moins de se préoccupce
des périls de la Fraucc, menacée en ce mo1t1cnt
d'un affrcux désaslrc.
II arl'ivait en ccttc occasion ce qui c:.t arri\'é
bien <les foi s, ce qui arrivera bien des fois cn–
core, c'cst que l'opinion qu'on a voulu compri111cr
n'cn dcviont que plus vive et plus intempestivo
dans ses manif'estations. Pour n'avoir pas voulu
en pcrmctLrc l'cxpression lorsquc cctlc cxprcs–
sion élait sans dangcr , et pouvait rncmc Ctrc
utílc, on est obligé d'en so uffrír la rnanifeslaLiou
a
contre-tcmps et dans un morncn t ou, au licu
de critiques,
il
faudrait le plus absolu dévouc–
ment. Un aulrc inconvéuicnt de ces cxplosion ·
lardives, c'cst que les uus ue sa \'Cnt pas dirc Ja
vérité, les autrcs l'cntcuck c, et qu'au licu d'clrc
un sccours, ccttc vérilé clevicnl un péril, au li cu
d'uu avis une mcnace
!
Les
mcmb!'es du Corps législatif, transportés
a
Paris,
y
élnicnt venus le creur plcin <les scnti–
mcnls de lcurs provinccs désolécs p:.ir la con–
scriptiou, par les réq uisitions, par les mesures
arhitraires des préfels, lcsqucls tanlót étalJlis–
saicnt des impóts
[1
volonlé, lanlót frnppaicnt
d'exil le pcrc riche qui r cfu sait son fils aux gardcs
d'honneur, ou ruinaien t par des garnisaires le
eultivateur pauvre qui avaít caché le sien dans
les bois. A ces douleurs trcs-réellcs, qui n'étaicnt
ni une invention, ni une arme de !'esprit el e
parli, s'éLaicnt ajoutées les notions cxagérécs, si
cilcs avaient pu l'ctrc, de ce qui se passait dans
nos armécs, notions r ecucillics de lous les eótés,
et quelqucfois mcmc auprcs des mcmbrcs cl u
gouverncmcnt. On r acontait partout, sans aclou–
cir les couleurs, les malhcurs de la dcrnicrc
campagne, les souffrances de nos soldals laissés
rnourants sur les roules de
la
Saxe et de la
Franconic, les aífreux ravagcs du typhus sur le
Rhin, les calamités non moins horribles de la
guerrc d'Espagnc. Le sentimcnt de ces maux
s'était aggravé en apprenant combicn
il
eút éLé
faci lc de les évilcr. llicn que le public ne sut pas
qu'un jour,
a
Prnguc, on avait pu obtcnir la
plus bolle paix, et que par une coupablc obsli–
nation on en avait laissé passer le moment (ce
qui était le sccrct de Napoléon et de
1'1.
de Bas-
sano, intéressés
a
ne pas s'en vanter, et de M. de
Caulaineourt, sujet tro p fidele pour Je- <livulguer),
chacun· était persuadé que si la paix n'était pas
conclue, c'était la faute de Napoléon, que tou–
jours les alliés avaicnt voulu
la
faire avcc lui,
que c'était luí qui n'avait jamais voulu la foire
avcc cux, et maintcnaut que le contraire deve–
nait vrai, maiatenant que l'Eui·ope, enha1·dic par
ses suecos, apres avoir vainement désiré
Ja
paix,
ne Ja voulait plus, et que Napoléon en la désirant
était dans l'impossibilité de l'obtcnir, l'opinion
puuli<1uc, ne <listinguant pas entre une époque
et l'autrc, l'accusait d'un lort qu'il avait eu et
qu'il n'avait plus, l'accusait quand il aurail fallu
Je soutcnir : triste et fatal cxcmplc de la vérité
trop lougtemps cachée
!
l\licux vaut, nous le
répétons, en donncr connaissance aux peuples
a
l'instan t mémc, car ils r c<;oivcnt alors en leur
tcmps les imprcssions qu'elle cst destinée
a
pro–
<luire, et n'éprouvent pas dans un mornent les
sentiments qu'ils auraient dú éprouvcr daus un
autrc.
11
cut fallu ctre indigné six mois plus tót,
et auj ourJ'Jrni se tairc et apporter son appui
!
C'cst le conlrairc qu'on faisait. Ajoulez que, la
bassessc du coour humaiu aidant, lcl qui s'élait
monlré des plus soumis, et des plus émerveillés
des gr andc urs du rcgnc, maintenant que le pres–
tigc eommcn9ait
a
s'évanouir, était des moins
réscrvés daos le dénigrcrncnt
!
Un mois passé
a
París dans l'oisivcté, les mau–
vais propos, les fach euscs excilations, n'avaicnt
pas dú calmer les membres du Corps législatif.
Chaeun , dans le gouverncmcnt, avait pu s'aper–
ccvoir de lcurs dispositions et en élait inquict.
l\Iais les changcr n'était pas facile. Ce gouvern·e–
mcnt, si h abitué
a
manier des soldats, montrait,
quand
il
s'agissait de manier des hommes, toutc
la gauchcrie et la rudcssc du dcspotismc. Ou
avait toujours laissé au duc de Rovigo, comme
oouvrc de policc,
le
soin d'influcncer tanlót les
mcmbres du Corps législatif, tanlót ceux du
clcrgé , ainsi qu'on l'a vait vu
a
l'époque du con–
cilc. Dcvincr les bcsoins de famülc de l'un, les
b csoins de clientelc de l'autre, y satisfoire oú
par des places, ou par d'autres moyens moins
arouablcs, était un soin dont le duc de Rovigo
s'acquitlait avec une fa cilité sans scrupule, une
bonhomie toutc soldatcsque, et qui suffisaient
alors
a
l'indépendance des caracteres. l\Iais si on
réussit ainsi aupres de quclqucs individus, avcc
le grand nombre il faut hcurcusemcntdesmoycns
plus nobles, et il Je faut d'aulant plus, que
Ja
cause de l'ag ilation des csprils est plus grave.