L'INVASION. -
DÉCEMBRE
18t5.
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désolé, l'esprit en désordre. De tous les princes
condamnés
a
cette époqué
a
voir s'évanouir lcur
·royauté éphémcre, Murat était le plus inconso–
lable. 11 semblait que ce soldat, né si loin du
tr·one,
a
qui une véritable gloirc militaire aurait
du servir de dédommagement, ne pouvait vivre
s'il ne régnait pas. Apres les événements de la
derniere campagne, il luí était difficile de croirc
que la puissance de Napoléon, si elle se mainte–
uait en France, put s'étendre encore au dela du
Rhin, des Alpes et des Pyrénées, et qu'au dela de
ces limites il put soutenir ou punir des alliés. 11
courait done la chance en restant fidclc a Napo–
léon de n'etre point soutenu, et ne courait guerc
ccllc d'elre puní s'il était infidele. Sans doutc,
réuni au prince Eugene, amenant 50 mille Na–
politains bien discipliués
a
l'appui des 40 millc
Fran~ais
qui défcndaient l'Adige,
il
y avait quel–
que_possibilité pour luí de disputer J'Halie aux
Autrichiens, mais possibilité et point certitude.
Vaincus, les deux lieutenanls de Napoléon se–
raient Licntót détronés; vainqueurs, queseraient–
ils? Que seriait Murat surtout? Sacrifié au prince
Eugenc qu'il jalousait, relégué au fond de la
Péninsule, réduit au royaumc de Naples qui était
peu de chose sans la Sicile,
il
n'avait pas meme
l'assurance de s'ymaiotenir, car si une paix avan–
tageuse avec l'Europe tenait au sacrifice de son
beau-frcre, Napoléon ne serait pas assez bon
parcnt et assez mauvais
Fran~ais
pour refuser ce
sacrifice. D'aillcurs, bien qu'il cut un esprit sans
solidité, Murat avait une certaine finesse, et
il
s'était souvent
aper~u
que Napoléon, en appré–
ciant sa hravoure, ne faisait aucun cas de son
caractere, et ce dédain marqué le hlessait beau–
coup. Telles étaicnt les considérations qui avaient
agité, tourmenté l'esprit de Murat, pendant son
voyage d'Erfurt a Na ples. Tandis qu'il voyait tant
de périls
a
etre fidele, et si peu
a
ne plus l'elrc,
de funestes suggestions eontt·ibuaient a augmen- .
ter son trouhle. 11 n'avait pas cessé de se tenir
en relation avec les 'puiss:mces coaiisécs, meme
lorsqu'il était au camp de Napoléon, et qu'il s'y
conduisait si bravcment. Au moment ou il avait
quitté Nraples pour Dresde, il avait aupres de lui
des agents de lord William Bcntinck, gouver–
neur anglais de la Sieile, et il les avait brusque–
ment renvoyés pou:r aller rejoindre l'armée
fran~aise,
ce qui avait surpris et indisposé lord
William. l\faís
il
n'avait pas agi de n;ieme envers
l'Autriche, et
il
avait continué de laisse:r aupres
d'elle le prince Cariati, ministre napolitain, et
de conserver a Naples le comtc de Mire, mi-
nistre autrichien.
l\f.
de Metternich, profitant
de ce double moyen de communi cation , avait
cherché sans cesse
a
ébranler la fidélité de
la
cour de Nnples, car
il
savait bien que si Murat,
au lieu de se ranger
i1
la droite du prince Eu–
gene, allait prendre ce prince a revers, l'Italie
serait immédiatemcnt enlevée aux Francais et
acquise aux Autrichiens. Non content de ces
efforts aupres du roi, M. de Mettcrnich avait
noué des trames secretes avec la reine, qu'il
avait connue
a
Paris lorsqu'il était ambassadeur
en France, et avait essayé de luí faire oublicr
ses devoirs de sreur en excitant ses sentiments de
mere et d'épouse. Non-seulement il avait promis
de laisser
a
Murat le treme de Nllples, sans la
Sicile toutefois que l'Angleterre tenait
a
con–
server aux Bourbons, mais
il
avait laissé entre–
voir la possihilité pour lui du plus bel établisse–
ment en Italie. Le prince Eugcne, la princcssc
Élisa expulsés a la suite des Fran<¡ais, le Piémont
reconquis, on pouvait, en réservant une hclle
part aux Autrichicns, en rétablissant le Pape
a
Rome, constituer un royaume de l'Italie ccn–
trale, qui, accordé
a
Murat, ferait de celui-ci le
prernicr prince de l'Italie, et un mooarque de
sccond rang en Europe. C'étaient la les argu–
ments que M. de .Metteroicb avait employés avec
un succes chaque jour plus marqué. Courir en
effet les plus grands périls avec Napoléon sans
memela certitude d'etre maintenu par lui si on
triomphait et, au contraire, obtenir de la coali–
tion, outre la certitude de rester roí de Naples,
l'espérance de devenir une sorte de roi d'Italie,
était une perspective qui devait entrainer le
malheureux Murat., apres avoir séduit
la
reine
ellc-meme. Cellc-ci dans les commencemeots, re–
présentant fidelement
a
Naples le partí fram;ais,
s'était défcndue contre les suggestioos autri–
chiennes, et avait cherché
a
ramener Murat
a
Napoléon. Bieutot le danger croissant, et do–
minée elle aussi par le désir de conserver la cou–
ronne
a
ses enfants, elle avait preté l'oreille aux
inspirations de M. de Metternich, et fini par de–
venir son principal intermédiaire aupres de
Murat. Voulant en meme temps colorer sa con–
duite aux yeux du ministre de Francc, elle affec–
tait de ne pouvoir plus rien ni sur la cour, ni
sur le roi, et
d'~tre
obligée, en épouse soumise,
t!n mere dóvouée, de suivre la politique du ca–
binet napolitain. Murat, rcntré dans ses États,
avaib done trouvé la cour unie pour le pousser
dans les voies déplorables ou il devait, au lieu
d'un treme, rencontrer pour sa mémoire une