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LIVRE CINQUANTE ET UNIEME.
qui ne pouvait etre longtemps ignorée., lui serait
enfin connue. Napoléon ne croyait done que tres–
peu
a
la possibililé d'une paix acceptable, ne
l'attendait que d'unc derniere lutte acharnée,
soutcnue ou sur la frontiere, ou en dec;a, et
adressait
a
tous ses censeurs cachés ou pateols
les réponses suivantes: - 11 est facile, leur di–
sait-il, de parler de la paix, mais il n'est pas aussi
facile de la conclure. L'Europe semble nous l'of–
frir, mais elle ne la veut pas franchement. Elle
a conc;u , J'cspérance de nous détruire, et cette
espérance une fois conc;ue, elle n'y rcnoncera que
si nous lui faisons sentir l'impossibilité d'y r éus–
sir. Vous eroyez que e'est en nous humiliant
devant elle que nous la désarmerons ; vous vous
trompez. Plus vous serez accommodants , plu
elle sera exigeante, et d'exigences en exigenccs
elle vous conduira
a
des termes de paix que vous
ne pourrez plus admettre. Elle vous offre la ligne
du Rhin et des Alpes, et meme une partie qu el–
conque du Piémont. Ce sont la certainement
d'assez belles eonditions, mais si vous paraisscz
y accéder, elle vous proposera bienfot vos fron–
ticres de 1790. Eh bien, les puis-je accepter,
moi, qui ai rec;u de la République les frontieres
naturelles ?Peut-etrea-t-ilexi'stéun moment ou il
aurait fallu nous montrer plus modérés, mais au
point ou en sont les choses, une condescendance
trop manifeste de notre part serait un aveu de
notre détressc qui éloignerait plus qu'il ne r:ip –
procherait la paix. 11 faut comhattre encore un e
fois, combattre en désespérés, et si nous sommes
vainqueurs, alors nous devrons sans aucun doutc
nous hater de eonclure la paix, et, dans ce cas,
soyez-en sürs, je m'y preterai avec empressement.
Malheureusement ce que disait Napoléoo deve–
nait de minute en minule plus exact, car l'Eu–
rope, successivementavertie de notre faibJesse, ne
se pretcrait bientot plus
n
aucune coocession , et
ponr avoir la paix il faudrait l'arracher. Mais
apres avoir cru Napoléon trop facilement lors–
qu'il ne disait pas vrai, on ne voulait plus Je
croil'e Jorsque ce qu'il disait n'était que trop vé–
ri table. On ne voyait dans le langage que nous
venons de rapporter que son intraitable carac–
tere, son implacable passion pour la guerrc
(passion qu'il avait eue et qu'il n'avait plus), et
beaucoup de gens qui se souciaicnt peu que la
paix fü.t acceptable ou non, que la France cut ou
n'eut pas ses frontieres naturelles, pourvu que
le trone impérial conservé conservatleurs places,
disaientque
cet homrne
(c'estainsi qu'ils appelaient
Napoléon), que
cet hornme
était fou, qu'il se per-
d:iit, et qu'il allait les perJre tous avcc Iui. -
Aiosi la vérité qu'on n'a pas voulu écoutcr lors –
qu'il était tcmps de l'entcndre utilemcnt, on la
retrouve plus tard, sous les formes les plus poi–
gn::rntes, non-seulcment dans le cri des peuples,
mais daos l'affiiction des amis sinceres, dans rirn–
meur silencieuse des amis intéressés, et souvent
meme daos l'insolencc des plus vils courtisans,
chez lesquels le désespoir d'une fortune perdue a
fait évanouir le respect
!
A toule opinion méconnuc, et deveoue impla–
cable pour avoir élé méconnue, il faut une vic–
time, justernent ou injustement choisie. ll
y
en
avaitunealorsque toute la puissance de Napoléon
ne pouvait refuser, nous ne dirons pas au public,
coodamné au silence, mais
a
sa propre cour ré–
voltée des périls de la siluation, et cette victime
c'était M. de Bassano. On savait, saos connaitre
les détails,
qu'a
Prague la Fraoce aurait pu obte–
nir une paix glorieuse, et que l'Empereur l'avait
refusée; on savait que daos le rnoment mcmc
l'Ei:!!,pereur venait de recevoiv une proposil.ion
fort belle encore, et un murmure d'antichambrc
disai t qu'il n'y avai t pas répondu convena blemen
1,
et de toutes ces fautes on s'en prenait
a
M. de
Bassano , dont l'imprévoyance et l'orgueil avaient,
disait-on, causé tous nos maux. On prétcndait que
c'était luí qui, au lieu d'éclairer Napoléoo, s'ap–
pliquait
a
l'abuscr, comme si quelqu'un avait pu
etre responsable des résolu tions de ce caractel'c
indomptablc.
l\f.
de Bassano, saos doutc, avait
été un ministre complaisant, mais plus complai–
sant que dangereux, car
il
est douteux que meme
en se joignant
a
l\L
de Caulaincourt
il
cut pu
faire prévaloir
a
Prague une détermination salu–
taire. Toutefois il auraít dü le tenter, et s'il
n'avait sauvé Ja France,
il
aurait au rnoins sauYé
sa respon abilité. On l'accablait en ce momcnt
avec l'inj ustice ordinaire de la passion; et
l\f.
de
Caulaincourt qui lui en voulait de ne l'avoir pa
soutenu
a
Prague, M. de Talleyrand qui occupail
ses loisirs
a
le railler saos cesse, assuraicn t
qu'avant tout, pour avoir la paix, il fallait per–
suader au monde qu'on la désirait, et que la ma–
niere
la
moins humiliante de le prouver c'était de
r envoycr M. de Bassano.
Napoléon se résigna done a ce sacrifice, prc–
miere mais inutile expiation de ses fautes. JI
avait bien que 1U. de Bassano n'était pas le vrai
coupable , et que dans ce ministTe c'était lui qu'on
voulait frapper, etquoiqu'il n'cncoUtat pas moins
a sa justice qu'a son orgueil, il consentit
a
lui rc–
tirer les affaircs étrangercs, lant le dangcr était