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LIVRE CINQUANTE ET UNIEME.

traiter; elle voulait luí conseiller d'etre plus sage

qu'a Prague, et de s'attacher

a

conservcr outre

le tróne, qui n'avait pas été mis en question

jusqu'ici, mais qui pouvait l'etre, une Francc

bien belle encore, celle du traité de Lunéville.

Les souverains et leurs ministres étant en cet

instant réunis a Francfort, un hasard leur fo ur–

nit une occasion de commuriiquer a Napoléon

leur pensée véritable, pensée sincere alors, car

le Rhiq. n'était pas franchi. La France avait eu a

'Veimar un ministre, M. de Saint-Aignan , qui a

un esprit éclairé joignait un caraclere doux et

conciliant, et qui avait l'avantage, fort apprécié

a cette époque, d'etre le beau-frere de M. de

Caulaincourt. 11 était connu en effet de toute

l'Europ,e que M. de Caulaincourt, dans la cour

trop soumise de Napoléon, avait la sagesse de

soute~r

la cause de la paix, et ce mérite, s'ajou–

tant a sa grande situation , en faisait aux eux

des étrangers le serviteur le plus respectable de

l'Emp;re. Son beau-frere, M. de Saint-Aignan,

avait été, par une assez brutale interprétation du

droit de la guerre, considéré comme 'prisonnier·

lorsqu'on était entré a Weimar. On avait com–

mencé par le reléguer a Treplitz, puis on l'avait

rappelé a Francfort, et dédommagé du reste par

beancoup d'égards d'un désagrémenh momen–

tané. On lui avait proposé de se charger d'unc

mission a París, consistant a suggérer

a

Napoléon

l'idée d'un congres, lequel se réunirait immédia–

tement sur la frontiere , et traiterait de la paix

sur la double base des limites naturelles pour la

France, · et d'une indépendance complete pour

toutcs les nations.

, Ce fu t d'abord M. de

Met~ernich

qui prit M. de

Saint-Aignan

a

part pour luí offrir cette sorte de

mission. Il lui affirma que l'Europe désirait la

paix, qu'elle la voulait honorable et acceptable

pour tout le monde; qu'elle savait que la France,

apres vingt ans de v.ictoires, avait acquis le droit

d'etre respectée, et qu'elle le serait; qu'on n'en–

tendait pas rétablir daos son entier l'ancien état

des choses; que l'Autricbe ne prétendait pas

notamment reprendre tout ce qu'elle avait pos–

sédé jadis, qu'il lui suffirait de revenir a une situa–

tion convenable et rassurante; que c'était la le

terme des prétentions de tous les princes alliés;

qu'en preuve de cette haute sagesse chez eux,

luí, l\L de Metternich, était chargé de proposer

a

la Franceses frontieres naturelles, c'est-3.-dire le

Rhi~,

les Alpes, les Pyrénées, mais rien au delr3.;

qu'il était temps pour tous de songer a la paix,

pour l'Europe sans aucun doute, mais pour la

France également, et pour Napoléon en particu–

lier plus que pour aucune des parties

b~lligé­

ran tes; qu'il avait soulevé contre luí un orage

épouvantable ; que l'irritation extraordioail'e

excitée contre sa personne allait sans· cesse crois–

sant, qu'elle inspirait aux combatta-nts une rage

guerriere difficile

a

contenil'; que s'i.J y regardait

bien,

il

verrait que les sentiments qui agitaient

l'Europe avaient pénétré en France meroe, et

qu'il pouvait arriver qu'il füt bicntót nussi isolé

dans son propre pays que dans le reste du ·

monde; que le temps de traiter honorablemen.t

était done venu; que, ce moment passé, la guerre

serait acharnée, implacable, poussée j usqu'a la

destruction entiere des uns ou des autres; qu'on

ne se diviserait pas dans lk coalition, qu'on ferait

a l'union tous les sacrifices nécessaires; que Ia

paix qu'on offrait on l'offrait de bonne foi, qu'on

la proposait générale sur terre et sur mer ; que

la Russie, la Prusse,

l'

Angleterre elle-méme la

souhaitaient; qu'a cet égard il fallait mettre toute

défiancc de cóté, car le désir d'arréter l'cffusion

du sang était universel; mais qu'il ne fallait pas

tomber encore une fois dans la déplorable erreur

commise a Prague, ou faute d'en croire l'Au–

triche, et fa ute de se résoudre

a

propos, on avait,

pour quelq·ues heures perducs, laissé échapper

l'occasion de terminer la guerrea des conditions

qu'on n'obtiendrait p-Ius. En preuve de ce qu'il

avanc;ait, M. de Mctternich introduisit successi–

vement M. de Nesselrode et lord Aberdeen, qui

répéterent en termes plus courts, mais aussi for–

mels, tout ce qu'il avait dit lui-méme. Lord

Aberdeen affirma, au nom de son propre cabinet,

qu'on ne voulait ni abaisser ni humilier la

France, qu'on ne songeait point

a

luí disputer

ses frontieres naturclles, car on savait qu'il y

avait des événements sur lesquels

il

ne fallait pas

revenir, rnais

il

répéta qu'au d•ela de ces limites

on était décidé

a

n'accorder a la France ni terri–

toire, ni autor-ité positive, ni meme influence,

excepté celle toutefois que les g·rands États exer–

cent les uns sur les autres, quand ils savent se

servir des avantages de leur p.ositton sans en

ab.user.

Quant a la sincérité de ce langage, 1\LdeSaint–

Aignan, d'apres tout ce qu'il vit et.entendit , n.'en

conc;ut pas le moindre da,ute. Il répondit que

pris

a

l'improviste et n'aya-nt aucun.e mission, il

pouvait tout écouter sans .rnanquer

a

des instruc–

tions qu'il n'avait point, qu'il rapp.ortcrait flde–

lement ce qu'on le chargeait de dire, m,ais q1!l'il

vaudrait peut-etre mieux, pour plus d'exªctitude,