LINVASION. -
NOVEMBRK
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avaient pris pour plus de .70 millions. L'état mo–
ral du pays était plus désolant encore, s'i l cst
possiblc, que son état matériel. L'armée, con–
vaincue de la folie de la politique pour Jaquclle
on versait son sang, murmurait hautemcot ,
<¡uoiqu'elle fút toujours prete, en présence de
I'ennemi,
a
soutenir l'honneur des armes. La
na~
lion, profondémcnt irritéc de ce qu'on n'avait
pas profité des victoires de Lutzen et de Bautzen
ponr conclure la paix, se regardant commc sn–
criftée
a
une ambition insensée, connaissait
mainlenant par l'horreur des résultnts les incon–
vénicnts d'un gouvernement snns conlróle. Dés–
enchantée du génie de Nnpoléon , n'ayant jamais
cru
¡,
sa prudence, mais aya nt toujours crn
a
son
invincibilité, elle était
a
Ja
fois dégoi'ilée de son
gouverncment, peu rassurée par sés talcnts mili–
laircs, épouvantée de l'immensité des masscs
ennemies qui s'approchaient, moralement hrisée
en un mot, au moment mcme ou elle aurait cu
hesoin pour se sauver de tout l'enthousiasmc pa–
triotique qui l'avait animée en 1792, ou <le toule
l'admiration confiante que lui inspirait, en 1800,
le Premier Consul l Jamais, enfin , plus grand
abattcment ne s'était rencontré en face d'un plus
affreux péril
!
Certessi l'étranger victorieux, qui soup«;onnait
une partie de ces vérités, avait pu les connaitre
dans toute Jeur étendue, il ne se serait arreté
qu'un jour aux bords du Rhin, juste le temps
nécessaire pour réunir des cartouches et du pain;
il eüt franchi ce Rhio qui dcpuis 1795 semblait
une frontiere inviolable, et marché droit sur
Paris, Ja ville ou naguere paraissait résider en
permanence le génie de la victoire.
l\f
ais la coali–
tion fatiguéc de ses elforts extraordinaiPes, toute
surprise encorc de ses triomphes malgré deux
eampagnes successives qui se terminaient
a
son
avantage, était disposée
a
s'arreter sur le Rhin :
dernier répit que la fortune semblait vouloir
uous aeeordcr avant de nous abandonner défini–
tivement l
Plus d'une cause contribuait
tl
cette disposition
des esprits dans le sein de la coalition , mais
notre gloire était la prioeipale. Si la politiquc de
Napoléon nous avait mis le monde sur les bras,
la gloire qu'il avait répandue sur nous, la bra–
voure sans égale avec laquelle nous avions sou–
tenu ses gigantesques entreprises, le souvenir de
la nation francaise se soulevant tout entiere en
1792 pour
r~pousser
l'agression européenne,
donnaient
a
réfléchir aux puissances continen–
tales, toujours les plus compromises daos une
lu tte contre la France. On nous ha'is'lait beau–
coup, mais on ne nous crnignait pas moins.
J,'idée de passer le Rhin , d'n ller affronter chez
elle cette nation qui avait inond é l'Europe de
ses armées victoricuses, chez laquelle il n'y avait
presqu e pas un homme qui n'eut porté les armes,
qui blamait l'ambition de son chef, mais qui Je
souliendrait peut-etr e forlemcnt si, apres l'avoir
ramcnésur ses fronti eres, on voulait les fra ncbir,
celt.e idée troubl ait, intimidait les plus sages des
généraux et des ministres de la eoal ition. D'ail–
leurs, apres avoil' expulsé Napoléon de l'Alle–
mHgnc , qu'y avait-il de plus
a
prétendre? F11l–
Jait-il , nprcs un triomphc inespéré, tenter de
nouveau la fortune, échoner peut- etre dans une
entreprise téméraire, se faire rejeter au dela du
Rhin ponr n'nvoir pas su s'y arreter, rendre des
lors Napoléon plus exigeant que jamais, r éveiller
en lui des prétentions qui étaient pres de s'étein–
dre, et se eondamncr
a
une guerre sans fi n pour
n'avoir pas su faire la paix
a
propos , pas plus
qu e Napoléon n'avait su la faire
a
Prague? Et
puis la guerre n'avait-elle pas été assez cruelle?
Toutes les armées curopéennes portaient sur
leurs corps des plaies larges et saignantes, qui
attestaient ce que leur avaient coüté nou-seule–
ment Moscou, non-seulemcnt Lutzen, Baulzen et
Dresde , ou elles avaient été vaincues, mais la
Katzbacb , Gross-Beeren , Kulm , Dennewitz ,
Leipzig, ou elles avaicnt été victorieuses
!
Si on
cxecpte les Prussiens, cbez lesquels régnai t une
sorte de fureur nationalc, excitée par l'influence
des soeiélés secretes, le désir de la paix était gé–
néral parmi les militaires de toutes les nations.
Quoique fort braves et fort orgueilleux de leurs
sueces, les milítaires russes avaient voulu s'arre–
ter sur J'Oder; ils le voulaient bien plus eneore
sur le Rhin, et ils pensaicnt que c'était assez
d'etre venus en eombattant de Moscou
a
Mayeoce,
et que pour eux il n'y avait ríen
a
faire au dela.
Les Autrichiens qui se battaient depuis viogt–
deux ans, qui avaient rejeté le vainqueur de
l\Iarengo, d'Austerlitz, de W agram h ors del'Au–
taiche et de l'Allemagne, qui sentaient profon–
dément le besoin de se r eposer, qui daos la
prolongation de la guerre ne voyaient qu'unc
satisfaction pour la h aine des Prussiens, un
acrrandissement d'influenee pour les Russe et
I~s
Anglais, et ut-etre des chances de défaite
pour tous, étaie fort enclin
a
une paix qui
cette fois paraissait devoir eLr durable. A la tete
de ces militaires, le prince de Schwarzenberg,
importuné de la violencc des Prussiens, de l af-
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