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LIVRE ClNQUANTE ET
UNIE~fE.
r 'ponse n'était pa heurcu e. Aucune explication
sur les bases proposées, des lors aucune accep–
tation de ces bases, désignation de Manheim
pour lieu de réunion du futur congres, lieu dont
le voisinage indiquait la r ésolution d'entrer en
matiere sans relard, enfin phrase ironique, amere
meme contre l'Angleterre,
a
propos de l'indé–
pcndance des nations que la France, disait-on,
demandait sur terre comme sur mer, telle était
en substance la note expédiée, note qu'assuré–
ment on ne fit pas attendrc, car on l'envoya
immédiatement au maréchal l\farmont qui com–
mandait
a
Mayence, avec ordre de la foire par–
venir sur-le-charnp
a
Francfort. Le silence gardé
sur les conditions était imaginé saos doute pour
écarter l'idée d'un trop grand abattement de
notre part, car
il
indiquait qu'on n'était pas
pret
a
tout accepter, rnais c'était décourager la
coalition si elle était sincere, et, si elle ne l'était
pas, lui laisser le moyen de se dédire.
Napoléon arrivé
a
Paris
y
avait trouvé le pu–
blic <lans un éta t de profonde tristesse, presque
de désespoir, et en particulier d'extreme irrita–
tion contre lui. Sa police, quelque active qu'elle
füt, quelque arbitraire. qu'elle se permit d'etre,
pouvait
a
peine contenir la manifestation du
sentiment général. Bien que personne , meme
daos le gouvernement, ne connut Je secret des
négociations de Prag ue, bien que Napoléon eut
laissé croire
a
ses ministres et
a
l'archichancelier
Carnbacéres lui-meme que les puissanccs avaient
cherché
a
l'humilier jusqu'a vouloir lui oter
Venise, ce qui n'était pas vrai, !e public était con–
vaincu que si les négociations avaient échoué,
c'était sa faute. On ne lui pardonnait done pas
d'avoir négligé l'occasion si heureuse des vic–
toires de Lutzen
~t
de Bautzen pour conclure la
paix. On r egardait son ambition comme extra–
vagante, cruelle pour l'humanité, fatale pour la
France. Apres les désastres de 1815, ajoutés
a
ceux de 18
1
12, on ne se croyait plus en mesure
de résister
a
la coalition formidable qui sur le
Rhin, l'Adige, les Pyrénées, mena<;ait Ja France
d'un million de soldats. Les écrivains enchainé
ou payés, qui seuls avaient la faculté de compo–
ser des gazettes, et que personne ne croyait
meme quand ils disaient la vérité, avaient
re~u
les instructions du duc de Rovigo sur
la
maniere
de pré enter les malheurs de cette campagne.
Les frimas avaient ser ví a expliquer les désastres
de 1 12, la défection des alliés aJJait servir
a
xpliquer ceux de 1815. Outre cette explication
on en cherchait une autre dans l'explosion im-
prévue du pont de L ipzig. San le crime des
Saxons et des Bavarois, disait-on, sans la faute
de l'officier qui avait fait sauter le pont de Leip–
zig, Napoléoo, vainqueur de la coalition, serait
revenu sur le Rhin apportant
a
la France une
paix glorieuse. Aussi n'y avait-il pas de termes
d'exécralion qu'on ne prediguat aux Bavarois et
surtout aux Saxons. On
annon~ait
de plus avec
une insistance crueJJe, et bien peu méritée, que
le colonel de Montfort , tres - innocent , quoi
qu'on en dit, de la catastrophe du pont de Leip–
zig, allait etre pour celte catastrophe déféré
a
une commission militaire. Personne n'ajoutait
foi
a
ces asserlions, et comme les menteurs qui,
lorsqu'ils
s'aper~oivént
qu'on ne Jes croit pas,
élevent la voix davantage, les écrivains soldés
répétaient avec plus <l'acharnement le theme
convenu, saos obtenir plus de créance.
- 11
veut
sacrifier tous nos enfants
a
sa folle ambition
!
était Je cri des fami11es, depuis Paris jusqu'au
fond des provinces les plus reculées. On ne niait
pas Je géai.e de Napoléon, on faisait bien pis, on
n'y songeait plus, pour ne penser qu'a sa passion
de guerres et de conquetes. L'horreur qu'on avait
ressentie jadis pour la guillotine, on l'éprouvait
aujourd'hui pour la guerre. On ne s'entretenait
partout que des champs de bataille de l'Espagne
et de l'Allemagne, des milliers de mourants , de
blessés, de malades expirant sans soins daos les
champs de Leipzig et de Vittoria. On représentait
Napoléon comme une espcce de démon de Ja
guerre, avide de sang, ne se complaisant qu'au
milieu des ruines et des cadavres. La France
dégoutée de la liberté par dix années de révolu–
tion, était dégoulée maintenant du despotisme
par quinze années de gouvernement militaire, et
d'effusion de sang humain d'un hout de l'Europe
a
l'autre. Les violei;ices des préfets enlevant les
enfants du peuple par Ja conscríptioo, ceux des
classes élevées par la création des gar<les d'hon–
neur, torturant par des garnisaires les familles
dont les fils ne répondaient póint
a
l'appel, em–
ployant les colonnes mobiles contre les· réfrac–
taires qui couraient la campagne, traitant souvent
les provinces fran<;aises comme des provinces
conq uises, convertissant en impots obligatoires
de prétendus dons volontaires
pr~posés
et con–
sentís par leurs affidés , prenant
a
la fois denrées,
chevaux, bétaiJ, par la voie des réquisitions ; une
police sou p<;onneuse recueillant les moindres pro–
pos, enfermant arbitrairement ceux qui étaient
accusés de les tenir, et toujours supposée pré–
sente
la
meme ou elle n'était point; une misere