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LIVRE QUARANTE-HUITIE!UE.
~tre
bientót complétés par 50 mille autres, et
suivis de trois armées de réserve, qui porteraicnt
le total de nos forces a 400 mille soldats au
moins. C'était un résultat prodigieux, quand on
songc que Napoléon n'avait eu que trois mois
pour réunir ces éléments dispersés, ou presque
détruits; c'était meme un résultat peu croyable.
Aussi les Allemands, dont la haine s'exhalait en
railleries autant qu'en cris de rage , publiaient-ils
des caricatures dans lesquelles ils représentaient
des détachements de soldats, qui apres etre sortis
de Mayence par une porte, y rentraient par
l'autre, afin de simuler une suite incessante de
troupes passant le Rhin. l\fais en voyant aujour–
d'hui les corps franc;ais défiler en longues colon–
nes de l\fayence sur Francfort, de Francfort sur
Fulde ou Wurzbourg, il fallait bien y croire, et
les craindre. Il est vrai que les attelages de l'ar–
tillerie ét.aient composés de jeunes chevaux,
presque tous blessés
a
cause de leur age, et de
l'inexpérience des conducteurs, que la cavaleri c
était presque nulle, que les maréchaux Ney et
:Marmont avaient chacun 500 hommes
a
cheval
pour s'éclairer, le général Bertrand 2,500 ; il est
vrai que pour former une réserve de grosse ca–
valerie capable de charger en ligne,
il
fall ait se
contenter de 5 mille chasseurs et grenadiers
a
cheval de la garde, de 4
a
o
mille hussards et
cuirassiers amenés du Hanovre par le général
Latour-1\faubourg, et presquc tous montés sur
des chevaux qui avaient
a
peine l'age du service;
mais c'était !'esprit qui animait l'ensemble sur
lequel il fallait compter. Ces généraux, ces offi–
ciers, les uns venant d'Espagne ou d'ltalie, les
autres échappés miraculeusement de Russie et
apaisés apres un moment d'irritation, étaient in–
dignés de voir, non pas la gloire de la France,
mais sa puissanee mise en doute, étaient résolus
pour la rétablir a des e:fforts extraordinaires, et
to~ t
en blamant la politique qui les eondamnait
a
ces efforts désespérés, avaient tellement com–
muniqué leur esprit a leurs jeunes soldats, que
ceux-ci, naguere arrachés avec peine
a
!eurs
fa–
rnilles, montraient une ardeur singuliere, et
poussaient le cri de Vive l'Empereur
!
chaque
fois qu'ils apercevaient Napoléon , Napoléon l'au–
teur des guerres sanglantes dans lesquelles ils
allaient tous périr, l'auteur détesté par leurs
famill es, naguere encore détesté par eux-memes,
et tous les jours blamé hautement dans les bi–
vacs et les états - majors : noble et touchante
iucouséquence dú patriotisme au désespoir
!
Napoléon ayant mis la derniere main
a
ses
préparatifs, '.quitta Mayence le 26 avril, visita
successivement Wurzbourg et Fulde, et se ren –
dit
a
Weimar, ou l'avait précédé le maréeha1 Ney
avec ses jeunes et vaillantes divísions . Son plan,
conc;u avec
h
rapidité et la sureté ordinaires de
son coup d'reil, consistait a Jaisser les coalisés,
déja portés au dela de l'Elbe, s'avancer autant
qu'ils voudraient, meme jusque sur la haute
Saale, puis
a
se diriger lui-meme sur Erfurt et
Weimar, a défiler derriere la Saale comme der–
riere un rideau (expression de ses dépeches),
a
joindre le' prince Eugene vers Naumbourg ou
Weissenfels, a passer ensuite cette riviere en
masse, et
a
prendre avec 200 mille bommes l'en–
nemi en flanc , dans les environs de Leipzig. Si
la fortune le secondait, il pouvait ohtenir de ce
plan les plus importants résultats. Il pouvait apres
avoir vaineu les coalisés dans une grande bataille,
en prendre un bon nombre, rejeter ceux qu'il
n'aurait pas pris au dela de l'Elbe et de l'Oder,
débloquer ses garnisons de l'Oder, rentrer vain–
queur dans Berlin, se remettre en cornmunica–
tion avec Dantzig, et montrer plus terdble que
jamais le lion qu'on avait cru ahattu.
Dans ces· vues, il avait fait marcher en tete le
maréchal Ney, et l'avai t dirigé sur Erfurt, Wei–
mar et Naumbourg, pour occuper tous les pas–
sages de la Saale, avant que l'ennemi eut le
temps de s'en emparer. (Voir les eartes n°• 54
et
08.)
11 lui avait meme enjoint d'occuper les
passages si connus de Saalfeld, d'Iéna, de Dorn–
bourg, de ne point franchir la Saale, de la garder
seulement, et il avait attiré
a
lui le géoéral Ber–
trand, suivi a peu de distancc du maréchal Ou–
dinot, par Bamberg et Cobourg sur Saalfeld. Les
rois de Baviere et de ·wurtemberg, moins incer–
tains dans leur conduite, le premicr depuis les
intrigues avortées de l'Autriche, le second depuis
le prodigieux développement de nos forces,
avaient enfin mis en mouvement six ou sept
mille hommes chacun, de maniere
a
fournir deux
divisions de plus, l'une pour Je général Bertrand,
l'autre pour Je maréchal Oudinot, ce qui devait
porter nos forces concentrées
a
environ 212 mille
hommes. Napoléon avait en meme terups or–
donné au prince Eugene de s'avancer en masse
dans la direction
d~
Dessau, assez pres du point
ou
la
Saale et l'Elbe se confondent, et de re–
monter la Saale jusque vers Weissenfels. (Voir Ja
carLe nº
08.)
Quant
a
lui, il suivait Je maréchal
Ney et Je général Bertrand, ,avec la garde et le
corps du maréchai l\farmont. Le 26 il était
a
Erfurt, le 28
a
Eckartsberg, pres du célebre