LIEPZíG ET HANAU. -
NOVEMBRE
i815.
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rester, disons-nous, dans .un te! coupe-gorge,
répugnait
a
tout le monde, et
a
chaql:Ie instant
surgissait l'idée de s'en aller, car on savait bien
q·tlon n'avait rien
a
faire
a
Dresde, si ce n'est
d'y périr. Cette· pensée de se rctircr étant dans
toutes les tetes, le maréchal Saint-Cyr convoqua
un conscil de guerre, composé du comte de
Lobau, tlu généralDurosnel, du général Matthieu
Dumas et de quelqucs autres. Avec sa remar–
quable sagacité, le comte de Lobau dit qu'il n'y
avait qu'une chose
a
tcnter : c'ébait de se reti-rer
sur T<Yrgau, oti l'on trouverait une garnison
nombreuse, des vivres, et en tout cas la route
ouverte
d
1
e Magdebourg. Les autres généraux
furent effrayés de la 1iesponsabiHté qu'on assu–
merait sur soi en se retirant, et dirent que le
moment n'était pas venu de se croire abandonné,
et des lors de prendre un parti aussi décisif.
A
la vérité, le doute était encore permis le
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oc–
tobre, l'évacuation de Leipzig n'ayant eu lieu
que le
19.
Bientót cependant la joie non dissimulée
des Saxons·, les communications de l'ennemi,
intére·ssé
a
nous désespérer, nous· apprirent l·e
désastre de 1eipzig, et la retraite forcée de Napo–
léon sur le Rhin. Des lors
il
était évident
qu~il
fallait prendre un partí, et le prendre sur-le–
champ, a:vant que toutes les routes fussent fer–
mées. C'est en ce moment qu'il eut fal1u convo–
quer un conseil de guerre, et obliger chacun
a
délibéver en présence du désastre constaté de la
girande armée, et de· l'impossibilité démontrée
d'etre secouru.
En adoptant les évaiuations les plus affaiblies,
on pouvai.t mett-re sous les armes 25 mille hommes
parfaitement valides·, et tout porte
a·
croire qu'a
la nouvelle du départ on aurait été 50 mille le
fusil
a
l'épaule. On n'avait pas 25 mille hommes
devant soi, et, fussent-ils le double, comme ils
devaient etre répartis sur les dcux rives de
l'Elbe,
il
y avait certitnde de se faire jour, en
pcr~3Ilt
sur uni point quelconque le cercle tres–
étend1u qu'ils étaient obtigés·de décrire autour
de
la
place. Enfin, on avait la perspective assu–
rée de mourir de faim et de misere sous peu de
jours, sans
po~voir
s'honorer par une défense
que les fortifications d-e la ville ne rcndaient pas
possible, et d)etre tous tués ou pris, si on atten–
dait que les forces ennemies parties pour Leipzig
fussent revenues sur Dresde. Si jamais
il
y a eu
urgence
a
se décider, évidence dans le parli
a
embrasser, c'était certainement dans cette occa–
sion.
Le maréchal Saint-Cyr avait infinimcnt d'es–
coNsuLAT.
!S.
prit, était au fcu un brave soldat, avait de plus
une véritable indépendance de caractcrc, et ce–
pendnnt
il
donna ici la preuve que ces qualités
tres-réellcs ne sont pas celles qui, dans certaines
circonstances, produisent les grandes inspira–
tions. II ne résolut rien, ne
fit
rien , et laissa
écouler le temps en hésitations regrettables.
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eut la singuliel'e pensée d'envoyer un agent se–
cret au gouverneur de Torgau , pour savoir si
on aurait des vivres
a
Iui donner dans le cas ou
il
se replierait sur cette place. La question était
inutile, car, outre que nous avions toujours tiré
de Torgau nos approvisionnements en grains, et
qu'on avait avec soi l'excellent général Matthieu
Dumas, au fait par ses fonctions de toutes les
ressources de l'armée, il ne s'agissait pas de
dcsccndre sur Torgau pour y rester, mais pour
y passer, cbose bien différente. L'agent pénétra ,
rc~ut
pour répoose qu'on avait des vivres dont
on ferait part volontiers
a
ses voisins de Dresde
s'ils avaient la b'onne inspiration de venir; mais
il ne put pas remonter l'Elbe, et
fut
arreté. On
demeura ainsi sans réponse et sans résolution,
non-seulement pendant la fin d'octobre, mais
jusqu'aax premiers jours de novembre. Deux
semaines s'étant écoulées, le cordon du blocus
se resserrant
a
cbaque heure, toute espérance de
secours étant évanouie, le maréchal Saint-Cyr
prit enfin un parti, mais rnalbeureusement un
demi- parti , et le plus dangereux qu'on pút
prendre. Comme il n'y avait qu'une chose
a
es–
sayer, celle de se retirer sur Torgau,
il
n'imagina
pas d'en tenter une autre, et résolut d'envoyer le
comte de Lobau avec
14
mille hommes dans la
direction de cette place, de lui faire descendre
l'Elbe par la rive droite, puis, si le comte de Lo–
bau réussissait
a
percer, de suivre lui-meme:avec
le reste de son armée. On ne cGmprend pas
qu'un homme qui avait tant de fois déployé une
si grande sagacité
a
Ja guerre, put songer
a
faire une tentative pareille. Si on avait une
chance, et on n'en avaif pas une, mais cent, de
percer la ligne de blocus, c'était en marchanL
tous ensemble, et en ne laissant r icn apres soi.
Il
était impossible en effet qu'en donnant tete
baissée sur cette ligne, nécessairement mince
a
cause de son étcndue, on ne parvint pas
a
la
rompre. Le général Brenier avait -eu pour sortir
de Ciudad-Rodrigo en
181
t
de bien autres dan–
gers
a
courir, et les avait néanmoins surmontés.
Le maréchal Saint-Cyr confia done au comte
de Lobau le soin de descendre par la rivc droite
sur Torgau avec
14
mille hommes. Ce dernier
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