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LIVRE CINQUANTIEME.
France. Tout devait en effet y disposer Je maré–
chal Saint-Cyr, commandant
a
Dresde, et les _
idées anlérieures dont il avait eu l'esprit rcrnpli,
et l'urgence de sa situation , et erÍfin les moyens
dont
il
était pourvu. D'abord Dresde n 'était point
une place forte ou l'on put se maintenir: c'élait
un poste militaire
a
conserver quelques jours
seulemcnt, que Napoléon n'avait entendu gardcr
que tres-passagerement, et que , sans Je prescrire
formellement, il avait prcsque d'avance ordonné
d'évacuer, en disant dans ses instructions que, si
des accidents imprévus empechaient le
rn,~réchal
Saint-Cyr de restcr
a
Dresdc, il dcvait se üirigcr
sur Torgau. Ainsi la pcnsée naturelle qu'il était
impossible de ne pas concevoir, c'était cellc de
quitter Dresde, si on apprennit que Napoléon se
fUt retiré sur le Rhin. Ensuite celtc place, hors
d'état de tcnir huit jours, n'avait plus aucune
importance apres le départ de la grande armée,
ne couvrait ríen, demeurait purement en l'air, et
ne contenait pas la moindre ressource en vivres.
II y avait done urgence <le prei:idre UBJ?_arti
a
son égard, et, ne pouvant revenir en France
a
travers la Saxe, car
il
aurait fallu passer sur le
corps des armées coalisécs, il était évident que
c'est sur Torgau qu'il fallait se replier. Pour se
r endrc
a
Torgau, on n'avait que deux journées
de marche. On y aurait trouvé 26 mille hommes,
Jont 18 mille Fran<;ais valides, et on aurait été
porté
a
48 mille hommes, force supérieure
a
tout ce qu'il y avait d'ennemis sur les bords de
l'Elhe. On aurait recucilli en passant 5 mille
hommes
a
Wittenberg. En deux jours, on serait
arrivé
a
Magdebourg, ou l'on se serait renforcé
de 18
a
20 mille hommes valides. On aurait done
formé tout de suite une armée de 70 millc com–
battants, armée qui, avant trois semaines, était
sure de ne pas r encontrer son égale jusqu'au
bord de la mer. A Hambourg, on aur'ait fini par
réu nir
11 O
mille soldats cxccllents, et alors qui
est-ce qui pouvait cmpecher ces braves gens de
r cgagner le Rhin?
Si done l'impulsion prcmierc avait du partir
de quelque part pour opér cr ces co:nccntrations
spontanées, c'était évidemment de Dresde et du
maréchal qui commandait cctlc place. 11 faut
ajouter qu e l'cxcuse bien r écllc alors, et souvent
alléguéc, du défaut d'indépendancc et de sponta–
n éité chez les lieutenants de Napoléon, toujours
h abitués
a
obéir, jamais
a
commander, que cette
excuse n e saurait etrc donn ée pour le maréch al
Saint-Cyr. Indépendant par force <l'espri t et par
indocilit~
de caractere, n'admirant pcrsonnc,
pas meme Napoléon, blamant toutes les instruc–
tions qu'il recevait,
il
ne pouvait pas, comme
tant <l'aut.res, cxpliquer son défaut de détermi–
nation par sa soumission ponctuelle aux ordres
supérieurs, ordres d'ai1leurs qui, apres la retraite
de l'armée, étaient plutót dans_Je sens de l'éva–
cuation que de la conservation de Drcsde. Par
conséquent, si les 170 mille Franc;ais laissés par
une déplorable faute,'-<Íe Napoléon sur la Vistule,
l'Oder et l'Elbe, ·avaient chance d'etre sauvés,
c'était , pour 100 mille au moins, par une réso–
lution spontanée du maréchal Saint-Cyr. Celte
résolution,
il
ne la prit point, et on va jugcr par
les faits cux-memes s'il cst suffisamment justifié
de ne l'avoir pas prise.
A peine Napoléon avait-il quitlé Dresde pour
Düben, que des mouvements incessants de troupes
s'étaient exécutés aulour de la ville , que l'intéret
des coalisés avait paru évidemment se porter
ailleurs, et qu'ils n'avaient laissé devant Dresde
que des forces insignifiantes, dont il était tres–
possiblc de triompher pour ten ter quelque cntre–
prise salulaire. Au momcnt meme de la bataille
de Lcipzig, lorsque Bubna, Collorcdo, Benning–
scn, se détournerent pour rcjoindre Ja grande
armée du prince de Schwarzenberg, leur dispa–
rition devint promptement sensible, et un général
aussi heureusement audacieux que Richepanse Je
fut
a
Hohenlinden, aurait pu etre tenté de suivre
ces corps, et , s'il eút paru sur leurs derrieres
Je 18, il cut certes apporté d'immcnses change–
ments
a
nos destinées. 11 est vrai que c'eut été
une résolution singulierement témérairc, et dif–
ficile
a
concilier avec l'instruction de gardcr
Dresde, que Napoléon avait donnée lorsqu'iJ
avait formé son grand projet de marcher sur
Berlín
a
la suite de Bernadotte et de Blucher,
pour revenir par Dresde sur les derrieres de l'ar–
mée de Boheme. On n'est done pas fondé
a
faire
au maréchal Saint-Cyr un reproche de ne l'avoir
pas prise. Ce maréchal s'aper<;ut assez vite de la
disparition d es principales forces stationnées dc–
vant Dresde , et il se procura la satisfaction, fort
légitime, fort louable, de faire essuyer un échec
au faible corps de blocus qu'on avait laissé dcvant
luí, mais il s'en tint
Ja.
Quelques jours apres,
n'apprcnant ríen, ne voyant rien venir,
il
com–
men<;a d'ctre inquiet; on le fut bientót autour de
lui, et on se demanda ce qu'avait pu devenir la
grande armée. Rester enfermé dans celte príson,
ou il y avait pcu de vivres, peu de rnunilions,
au milieu d'une populatioo tranquille, mais peu
bienveillante ,
a
laquelle on était fort
a
ch arge,