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LIVRE CINQUANTIEME.
toujours en quete de combinaisons qui pussent
procurer de vastes résultats,
il
imagina de se
jetcr sur les traces de Blucher et de Bernadotte,
de les suivre
a
outrance au dela de l'Elbe, de
les refouler sur Ja route de Berlín, puis de re–
monter par la rive droite I'Elbe jusqu'a Torgau
ou Dresde, de passer ce fleuve de nouveau sur
ces points, et de tomber
a
l'improviste sur les
derrieres de l'armée descendue de Boheme. Cer–
tes la combinaison était aussi profonde qu'auda–
cicuse, et avec les soldats, l'ardeur et la fortune
d'Austcrlilz, elle devait amener des résuJtats
prodigieux, l\lais pour cctteespérance chimérique,
il
fallait se résigner
a
laisser 50 mille hommes
a
Dresde, et Napoléon les y laissa. Arrivé
a
Diiben,
sur Ja basse Molde, il put bientót s'apercevoir
que loin de vouloir fuir , Blucher et Bernadottc
chercl~ient
a
le gagner de vitcsse sur Leipzig,
pour s'y réunir
a
Schwarzenberg , et l'accablcr. Il
prit son partí sur-le-champ, rebroussa chemin
vers cette ville, et avec Ja sureté ordin3lre de son
coup d'ceil se pla<¡a de la seule maniere propre
a
empecher la réunion de ses ennemis. Mais
il
rc–
venait
a
Leipzig apres une marche inutile de
cinquante lieues, qui avait épuisé ses soldats et
fort diminué leur nombre ; il revenait privé de
trente mille combattants laissés
a
Drcsde, d'une
quanti1é égale laissée
a
Wittenherg, Torgau,
i\'Ieissen, et il marchait en une longue colonne,
dont un tiers au moins ne pouvait pas assister
a
la premiere et
a
la plus décisive bataille. Obligé
de faire face
a
tous ses ennemis, non pas présents
mais pouvant l'etre, il lui fut impossible le
16 d'amener Bertrand et Ney
~1
lui, de les jeter
avec l'\facdonald sur le flan c droit de Schwarzen–
berg pour accabler ce dernier, et des lors n'étant
pas vainqueur d'une maniere foudroyante le
premier jour, il se vit tout
a
coup dans une posi–
tion affreuse, oú
iI
était condamné
a
succomber
les jours suivants sous une écrasante réunion de
forces. Prendre sur-le-champ le parti de Ja re–
traite, l'exécuter sinon Je 17, puisqu'il atten–
dait encore Reynier, du moins dans la nuit du
17 au 18, regagncr au plus tót par Lindenau,
Lutzen et Weissenfels, ses communications me–
nacées, établir pour cela les ponts nécessaires
sur la Pleisse et l'Elster, était la seule conduite
a
tenir, la conduite simple du capitaine sage,
plus occupé de sauver son armée que de conser–
ver son prestige. Mais faire une retraite flere,
imposante, en plein jour, en se ruant sur l'en–
nemi qui oserait etre pressant , afio non pas de
se sauver, mais de se gardei• l'attitude du vic-
torieux, fut, et devait etre la pensée du conqué–
rant longtemps gaté par la fortune, du con–
quérant qui ne sut pas sortir de Moscou
a
temps, et
il
s'ensuivit la funeste bataille du 18,
et la retraite plus funeste encore du 19, exé–
cutée avec un seul pont. La confusion inévita–
ble qui s'introduisit au dernier moment dans les
choses ainsi conduites, amena l'explosion du
pont de l'Elster, qui marqua du sceau de la
fatalité cette effroyable bataille de qualre jours.
Ce résumé des faits montrc done la vrnie
cause de tous les malheurs que nous venons de
raconter. Ce n'est pas plus ici qu'a Moscou daos
l'affaiblissement des talents du eapitaine qu'il
faut cherchcr la cause de si déplorables résultats,
car le capitaine ne fut jamais ni plus fécond, ni
plus audacieux, ni plus tenace, ni plus soldat;
mais da ns les illusions de l'orgueil, dans le besoin
de regagner d'un coup une immense fortune
perdue, dans la difficulté de s'avouer assez vite
sa défaite, dans tous les vices, en un mot, qu'on
aper<¡oit en petit et en laid chez le joueur ordi–
naire, risquant follement des richesses follement
acquises, et qu'on retrouve en grand et en hor–
rible chez ce joueur gigantesque qui joue avcc
le sang des hommes, comme d'autres avec leur
argent. De meme que les joueurs perdent leur
fortune en deux fois, une premiere pour ne pas
savoir la borner, une seconde pour vouloir la
rétablir d'un seul coup, <le mcme Napoléon com–
promit la sienne
a
Moscou pour la vouloir faire
trop graude, et dans la campagne de Dresde
pour la vouloir refaire tout entiere. C'était tou–
jours l'action des memes causes, l'altération non
du génie, mais du caractere, gaté par la toute–
puissance et le succcs.
A la suite de tels revers, retourner immédia–
tement sur le Rhin était la seule ressource qui
restat
a
Napoléon. Apres avoir eu 560 millc
hommes de troupes actives
a
Ja reprise des hos–
tilités, sans compter les garnisons, apres en
avoir cu 250 mille encore deux semaines
auparavant, et en avoir laissé 50 mille
a
Dresde,
un nombre peut-ctre égal sur la route de
Dresde
a
Diiben , de Düben
a
Leipzig, apres en
avoir perdu 60
a
70 mille dans les diverses
batailles de Leipzig et un nombre. qu'on ne peut
guere préciser par la défection des alliés,
il
en
conservait 100
a
110 mille tout au plus, daos
l'état le plus déplorable. La seule chose qu'il cut
encore en quantité considérable et en excellente
qualité, mais malheureusement difficile
a
rame–
ner, c'était l'artillerie .
JI
en avait"une tres-belle,