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LIVRE CINQUANTIEME.

croire que Je patriotisme dispense d'humanité

!

Le défilé des divers corps dura toute la nuit

du

18

au

19,

et

fot

surtout ralenti par le passage

de l'artillerie qui était tres-nombreuse, et qui

avait bravement conservé ses pieces. Les mal–

heureux blessés du

18

étaient presque tous sacri–

fiés d'avance, l'impossibilité de les emporter

étant absolue. Mais on avait eu le ternps de

ramasser quelques-uns de ceux du

16,

et on les

tralnait apres soi sur les petites voitures qu'on

avait pu se procurer. Cette suite de canons, de

caissons, de voitures portant des blessés, formait

un prodigieux encombrement, et retardait beau–

coup l'écoulement des colonnes. La garde qui

avait vaillamment combattu, mais qui avait l'es–

prit de domination des corps d'élite, prétendant

passer des qu'elle paraissait, et souvcnt foulant

aux pieds la

1

1

nultitude sans armes qui obstruait

les ponts, augmentait le tumulte, et provoquait

contre elle des cris de haine. Le triste orgueil

d'emmener cinq ou six mille prisonmers les uns

faits

a

Dresde, les aut.res

a

Leipzig meme, occa–

sionna un nouvel embarras, car ils prirent Ja

place de pareil nombre de blessés ou de soldats

valides. Lorsque le jour fut venu, l'affiuence

devint encore plus grande, parce que chacun

songeant

a

fuir apres quelques heures de repos,

se batait de regagner le temps employé

a

dormir.

C'étaient des efforts inoui's pour cntrer dans ce

torrent serré qui s'écoulait vers Linden:rn, et qui

en certains moments finissait par s'arreter,

comme s'arretent faute d'espace les glac;ons que

charrie un fleuve pres de geler. Chaque troupe

nouvelle qui voulait s'introduire dans cetle foule

pressée, y provoquait des résistances, des cris,

des combats véritables. Q.u'on njouLe

a

ce lugubre

spectacle le bruit de rnille bouches

a

feu ayant

recommencé

a

tonner des le matin, et on aura

une idée

a

peine exacte de notre horrible départ

de l'Allemagne.

Napoléon, des que le jour cornmenc;a de luire,

alla présenter ses adieux

a

la famille de Saxc. Il

lui avaitrendu un moment le reve de ses ancctres

en luí donnant la couronne de Pologne, mais

a

ce prix il l'avait perduc, sans le vouloir du reste,

comme il s'était perdu lui-meme

!

Et par surcroit

de misere, <le la seule chosc impérissable en lui,

la gloire, il ne laissait,. rien

a

cette malheureuse

famille, tandis qu'aux Polonais,qu'il avait perdus

aussi, il laissait du moins une part d'honneur

immortel

!

La cour honnete et timide de Saxe

avait en effet passé au pied des autels les d"i.x der–

nieres années , que tant d'autres avaient passées

sur les champs de bataille. Napoléon avait de

grands reproches

a

essuyer du vieux roi, et il

pouvait de son coté trouver matiere

a

des repro–

ches non moins graves dans la conduite tenue la

vcille par les soldats saxons, mais il avait un trop

haut orgueil pour employer de la sorte les quel–

ques instants qu'il avait

a

consacrer

a

son allié.

Il lui témoigna ses regrcts de le livrer ainsi sans

défense

a

tout le courroux de la coalition; il

I'engagea

a

traiter avec elle,

a

se séparer de la

France,et lui affirma que, quant

a

lui, en aucun

temps

il

ne songerait

a

s'en plaindre. Relevant

fierement son visage grave, mais non a]?attu,

il

Jui exprima l'espoir de redevenir bientót formi–

dable derriere le Rbin, et lui promit de ne pas

stipuler de paix dans laquelle

la

Saxe serait sacri–

fiée. Apres de réciproques ernbrassements, il

quitta cette bonnc et malheureuse famille, épou–

vantée de le voir rester si tarcl au milieu des

dangers qui le mena<;aient de tous cótés.

Sorti de chez le roi, Napoléon essaya en vain

de se faire jour

a

travers les rues de Leipzig. II fut

obligé de gngner les boulevards par un détour, et

de les suivre jusqu'au pont, oú la presse s'ouvrit

pour lui, car bien qu'il commern;at

a

inspirer

des sentiments amcrs, l'admiration, la foi en son

génic, l'obéissance étaient completes encore. 11

franchit les ponts, et alla vers Lindenau attcndre

de l'autre cóté de la Pleisse et de l'Elster, que

l'armée eut défilé sous ses yeux.

Pendant ce temps un nouveau combat s'était

engagé autour de J,eipzig. Les souverains et les

généraux coalisés ne pouvaient croire

a

leur

bonheur, car c'était •la premiere victoire que,

depuis le commencement du siecle, ils eussent

remportée sur Napoléon, et ce n'était pas meme

encore une victoire que celle qui venait de leur

couter tant de sang et tant d'angoisses, e'était

une suite d'actions violentes, dont la dernicre

allait seule décider le vrai caractere. Or ce qua–

tricme jour, ils s'attendaient

a

un conílit épou–

vantable, dont ils étaient résolus

a

supportcr les

horreurs en vrais martyrs de lcur cause. Mais

quelles ne furent pas leur surprise et leur joie,

lorsque entre huit et neuf heures du matin, le

brouillard d'automne étant dissipé, ils aperc;u–

rent l'armée frarn;aise se resserrant successive–

ment autour de Leipzig, et s'écoulant

tl

travers

l'interminable pont de Lindenau, dans les plaines

de Lutzen

!

Ils remercicrcnt le ciel d'un résultat

qu'ils avaicnt

a

peine osé espérer, et sur-Je-chílmp

ils ordonnc1'ent

a

lcurs soldats de se jeter sur

l'cn ceinte de Leipzig pour essaycr de rendre plus