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LIVRE
ClNQUANTIE.l\J.E.
fran9aises encore occupées a combattre. Aussi
le colonel Montfort demandait-il a tout vcnant
s'il y avait cncore plusieurs corps en arriere,
dans quel ordre ils se succédaient, quel
s.ern.itle
dernier, et chacun sachant a peine ce qui s'était
passé immédiatement sous ses yeux, était inca–
pablc de répondre. Dans cet embarras, le colo–
nel imagina de se rendre a l'autre bout du pont,
c'cst-a-dire,
a
Lindenau, ou étaitNapoléon, pour
obtenir qu'on l'éclairat sur ce qu'il devait fairc,
et, en
s~éloignant
pour un instant,
il
prescrivit
au caporal des sapeurs de ne mettre le feu
a
la
mine que lorsque au lieu des Franc:;ais il verrait
paraitre les ennemis. A peine avait-il fait qucl–
ques pas
a
travers la foule épaisse qui encom–
brait le pont, qu'il s'aper9ut de l'impossibilité
d'aller jusqu'a Napoléon et de revenir. Il voulut
rebrousser chemin vers son poste, vains efforts
!
Au poiit qu'il avait quitté se passait la scene la
plus tumultueuse. Quelques troupes de Blucher
poursuivant les débris du
corp~4e
Reynier
a
travers le faubourg de Halle, se montrerent aux
abords du pont pele-mete avec les soldats du
7• corps. A cet aspect, des voix épouvantées se
mirent
a
crier: i\Iettez le feu, mettcz le feu
! -
Le caporal, auquel de tou tes parts on répétait
qu'il fallait détruire le pont, crut le moment
venu, et ruit le feu
a
la mine! Une épouvanta–
ble explosion retentit aussitót; les débris du
pont, volant dans les airs et retombant sur les
deux rives, y firent des victimes des deux cótés.
.l
\fa.iscelte déplorable erreur eut en quelques
inslanls de bien autres conséquences. Reynier
avee un reste du 7° corps, Poniatowski avec ce
qui avait survécu de ses Polonais, Lauriston,
Macdonald avec les débris des 5e et 11º corps,
étaient encore sur les boulevards de Leipzig,
pressés entre deux cent mille ennemis et plusieurs
bras de riviere sur lesquels les moyens de pas–
sage étaient détruits. Plus de vingt mille de nos
soldats avec leurs généraux étaient ainsi con–
damnés ou a périr, ou a devenir les prisonniers
d'un ennemi que l'exaspération de cette guerre
rendait inhumain. lis se crurent trahis, exhalc–
rent des cris de fureur, et dans les alternatives
d'une sorte de désespoir,
tanto~
se ruaient bai:on–
nette baissée sur ceux qui les poursuivaient,
tantót revenaient vers la Pleisse et l'Elstcr pour
franchir ces rivieres
a
la nage. Apres une melée
confuse et sanglante, les uns se rendirent., les
autres se jeterent dans les rivieres, un certain
nombre réussit
a
les passer
a
la nage, beaucoup
furent emportés par la force des eaux. Les géné-
raux commandants, parmi lesquels
il
y
avait
deux maréchaux, ne voulaient pas laisser de si
beaux trophées
a
l'ennemi' et ils chercherent
a
se sauver. Poniatowski, fait maréchal Ja veille
par Napoléon pour prix de son héro'isme, n'hé–
sita pas
a
lanccr son chcval dans l'Elster. Par–
venu
a
l'autrc bord, mais le trouvant escarpé, et
chancelant par suite de plusieurs blessures, il
disparut dans les eaux, enseveli dans sa gloire, la
chute de sa patrie et la nótre. Macdonald ayant
suivi son exemple, atteignit la rive opposée,
y
trouva des soldats qui l'aideren t
a
la gravir' et
fut sauvé. Reynicr et Lauriston, entourés avant
qu'ils pussent tenter de s'enfuir, furenf conduits
devant les souverains de Russie, de Prusse et
d'Autriehe, en présen,ce desqucls ils n'avaient
Jongtemps paru qu'en vainqueurs. Alexandre,
en reconnaissant le général Lauristou, ce sage
ambassadeur qui avait fait taut d'offorts pour
empecher la guerre de 1812, lui tendit la nrnin
en lui reprochant d'avoir cherché
a
se soustraire
a
son estime.
Jl
fit traiter avec égard les géné–
raux fran<;ais devenus ses prisonniers, dissimula
pour eux son orgueil
profondéme~lt
satisfait,
mais voulut qu'ils assistassent
a
tout l'éclat de
son triomphe. En effet, les généraux, les princcs
victorieux étaient réunis sur la principale place
de la ville, se félicitant les uns les autres, se
complimentant réciproquement de ce qu'ils
avaient fait, en présence des habilants de Leip–
zig qui, pales encore de Ja terreur de ces trois
jours, sortaient des caves de lcurs maisons, et
poussaient des acclamations en l'honneur des
souverains libérateurs. Au milieu de ces per–
sonnages agités se faisait remarquer Bernadotte,
persuadé qu'il avait
a
lui seul décidé la victoire
en arri vant le dernier, étant seul
a
le croire,
mais bien accueilli par Alexandrc, qui, dans sa
politique raffinée, .tenait
a
ga.rder sous son in–
fluence Je futur souverain de la Suede. Tandis
qu'Alexandre accucillait si bien ce Franc:;ais com–
battant contre'Ia France, il se montrait bien dura
l'égard d'un prince allemand, qu'il appelait injus–
tement traitre enversl'Allema.gne. Ce prince était
l'infoutuné roí de Saxe. Deux fois depuis le matin,
des officieus étaicnt venus de sa part demander
un moment d'ent11etien, et ils avaient élé repous–
sés . En ce moment
il
y
en avait un troisieme
qui, le chapeau
a
Ja main, suppliait Alexandre
de permeLtre au vieux roi de lui offrir ses hom–
mages. Ce malheureux monarque était
a
quel–
qucs pas de
la,
tete nue, implorant vainement
un regard du vajnqueur. Napoléon,
il
faut le