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LIVRE
CINQlJAN'Í'IEl\1E.
corps de Bulow, avait la plus grande peine
a
se
maintenir. Cinq mille hommes lutterent pen–
dant plus d'une heure contre vingt mille, etlut–
terent héro!quement. Pourtant il follut céder et
se replier sur Sellerhausen. Ney leur ramena la
division Delrnas pour empecher qu'ils ne fussent
accablés dans leur mouvement rétrograde. Del–
mas, le vieux soldat de la République, mourut
noblement en venant au secours de Durutte
avec sa diyision. Pendant qu'a la droite de Ney,
Durutte, Delmas combattaient entre Paunsdorf
et Sellerhausen, Marmont
a
gauche soutenait
dans le beau village de Schonfeld un combat
fu–
rieux. Schonfeld était le point essentiel ou notre
ligue, en remontant au nord, venait s'appuyer
a
la Partha, et c'était le point que Blucher vou–
lait enlever avec les soldats de Langeron. En
quelques-l1eures la division Lagrange perdit ce
village et le reprit scpt fois. Enfin elle allait suc–
comber quand Ney vint la renforcer avec une
des divisions de Souham , celle de Ri ard. Une
derniere fois on reprit Schónfelcl. Entre Schon–
feld et Sellerhausen Marmont avec les divisions
Compans et Friederichs formées en carré résis–
tait
a
tous les assauts de la cavalerie prussienne
et russe. Mais 28 mille hommes ne pouvaient
pas
lutt~r
longtemps contre 90 mille, et on céda
Schonfeld et Sellerhausen pour se rapprocher
de Lcipzig, avec la crainte de voir Bernadotte
et Bubna, maintenant réunis daos la plaine de
Leipzig, pénétrer par la breche que la défec–
tion des Saxons avait opérée dans notre ligne.
Heureusement un renfort considérable de
cava~
lerie et d'artillerie arrivait au galop. C'était
Nansouty avec la cavalerie et l'artillerie de Ja
garde qui accourait, sous la conduite de l'Empe–
reur lui-meme. Le bruit de la défection des
Saxons, retentissant jusqu'au quartier général,
y
avait soulevé tous les coours, et Napoléon, lais–
sant Murat
a.
Probstheyda pour le remplacer
a
la bataille du sud, qui s'était convertie en canon–
nade, était venu en toute bate réparer ce mal–
heur imprévu qui mettait le comble
a
nos cala–
mités.
A cet aspect Bulow d'un coté, Bubna de l'au–
tre, qui étaient prets
a
se donner la main , for–
merent chacun un crochet en arriere , pour
. présenter un flanc
a
la cavalerie de Nansouty.
Nansouty les chargea
a
outrance, tantot
a
droite,
tantot
a
gauche, sans pouvoir renverser leur
masse épaisse. Mais il arreta court leur progres,
et la comme sur les trois faces de cet immense
champ de bataille de Leipzig
a
SchOnfeld au
nord, de Schonfeld
a
Probstheyda
a
l'est , de
Probstheyda
a
Connewitz au sud, une canon–
nade de deux mille bouches
a
feu termina cette
bataille, justement dite
des Géants,
et jusqu'ici
la plus grande certainement de tous les siecles.
Tant qu'on put se voir, on tira les uns sur les
autres avec une sorte de fureur, mais sans cspoir
de la part des coalisés de faire abandonner aux
Fran<;ais la ligne qu'ils avaient prise. Nos soldats
demeurerent immobiles, comme fixés
a
des limi–
tes qu'aucune puissance humaine ne pouvait
franchir. L'admiration était dans le coour meme
de leurs ennemis acharnés, et justementacharnés
puisqu'il s'agissait d'affranchir leur patrie. Ce
que c01lta cette nouvelle bataille, l'histoire men–
tirait si elle voulait l'aflirmer d'une manierepré–
cise. On pcut seulement le conjecturer d'apres
ce qui resta d'hommes valides les jours suivants
dans les armées belligérantes. Pres de vingt
mille hommes de notre coté, et de trente mille
du coté des coalisés, qui étaient exposés
a
des
feux dominants et bien dirigés, furent le nombre
des victimes de cette troisieme journée. Ainsi
en trois jours plus de quarante mille Frarn;ais,
plus de soixante mille Allemands et Russes, furent
atteints par le feu
!
Ah! disons-le bien haut, en
présence de cet horrible carnage, la gucrre,
quand elle n'est pas absolument nécessaire, n'est
qu'une criminelle folie
!
Apres cette affreuse journée, quelque glo–
rieuse qu'eut été la résistance de notre armée,
iI
était indispensable de battre tout de suite en
retraite, et mieux eut valu certainement
d~camper nuitamment Je 17 au soir, que de ris–
quer la terrible bataille du
18,
pour conserver
quelques heures de plus une attitude victorieuse.
11 n'en fallait pas moins se retirer aujourd'hui le
plus promptement p·ossible, au risque d'essuyer
des perles énormes en traversant une ville comme
Leipzig, avec une armée qui, apres avoir été im–
mense en personnel et en matériel, l'était encore
en matériel, et n'avait pour évacuer ce qui lui
restait qu'un seul pont, celui de Lindenau, long
d'une demi-lieue, embrassant des bois, des
marécages, plusieurs bras de rivicres.
Napoléon , quoique souffrant cruellement au
fond de son ame, mais cachant sa sou:ffrance sous
la hautaine impassibilité de son visage, quitta
son poste de Probstheyda vers le soir , et se
rendit
a
Leipzig afin de tout disposer pour une
retraite immédiate.
A
pres avoir refosé vingt–
quatre heures auparavant la protection des om–
bres de la nuit
7
iI
fallait bien l'accepter mainte·