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LIVRE CINQUANTIEME .
Durutte, dans l'intention de placer les Saxons
entre deux divisions fran<;aises. Le général
Rogniat cut ordre de partir avec les troupes du
génie de la garde, a.fin d'aller jeter de nouveaux
ponts sur la Saale, au-dessous de Weissenfels.
l\fargaron et Dombrowski furent chargés de la
défense de Leipzig. Margaron devait occuper
l'intérieur, Dombrowski le dehors jusqu'a SchOn–
feld, ou était le maréchal Marmont, et ou com–
mern;ait par conséquent la ligne de Ney. Comme
Margaron, pouvait ne pas suffire, Napoléon se
priva de la division de la jeune garde com–
mandée par Mortier, et l'envoya dans Leipzig
meme. Les pares, les hagages inutiles eurent
ordre de se mettre en marche immédiatement,
afio d'avoir défilé lorsque les colonnes de l'arÍnée
arriveraient aux ponts. A trois heures du matin
tout était en mouvement par un temps sombre
et pluv1eux, et les caissons qu'on brulait ou
qu'on faisait sauter faute de les pouvoir atteler,
ajoutaient de sinistres lueurs et de phfs sinistres
détonations
a
cette retraite. Ríen ne prouvait
mieux qu'on ne voulait pas faire une retraite
clandestine, et que l'orgueil mal entendu de la
victoire nous restait jusque dans la défaite, dé–
faite, il est vrai, qui n'était pas celle du champ
de bataille, mais de la campagne, et celle-ci
était malheureusement plus grave.
Napoléon apres avoir expédié ses ordres était
allé lui-meme au faubourg de Reudnitz aupres
de Ney, pour lui exprimer de vive voix ses
intentions
1
•
Entre autres instructions qu'il lui
avait laissées, était celle de pourvoir
a
la sureté
du grand quartier général qui était demeuré en
arriere sur la route de Dühcn
a
Leipzig. Ce
grand quartier général , qui comprenait toutes
les administrations, le trésor de l'armée notam–
ment, le pare du génie, une partie du pare
général de l'artillerie, l'équipage de pont, avait
été conduit
a
Eilenbourg, et puis, ayant voulu
suivre Reynier,
il
en avait été empeché par la
présence de l'ennemi. Napoléon luí
fit
dire,
1
Nous avens l'exposé bref muis formel de ces inlenlions
dans une lellre du maréchal Ney au général Rcynicr, <latéc
de cinq heures du rnalin, el dans laquelle le maréchal dil ce
que Napoléon est venu faire et ordonner aupres de lui, c'esl–
a-dire, a Reudnilz, ou il avail on quartier général.
2
ll n'est aucune cit·constance de celle campagne qui ait
donné lieu
a
plus de controverses que celle de l'exislence d'un
seul pont pour opérer la retraile de Leipzig. Les écrivains
donl le lheme ordinaire est que apoléon en sa vie n'a commis
ni une fanle ni une omission, prélendent que Napoléon pres–
crivit ll Berlhier de jeler plusieurs ponts soit au-dessus,
soiL an-dessous de celui de Lindenau, et que _Berthier n'exé·
cuta pas cet ordre si important, luí qui ne négligeait pas les
_ordres les plus accessoires. Cette nouvelle assertion, tout in-
s'il ne pouvait pas rejoindre, de se replier sm•
Torgau , et d'aller s'y enfermer, triste ressource
qui ne devait différer sa perte que de quelques
jours,
a
moins qu'un armistice ne vint sauver
la garnison des places.
Ces ordres expédiés, Napoléon s'était trans–
porté
a
Lcipzig, ou il avait communiqué ses
vues
a
ses autres généraux, et
il
était revenu
fort matin
a
son bivac, au milieu des rangs de
l'armée principale qu'il n'avait pas quittés de–
puis plusieurs jours.
Le colonel du génie Montfort, qui remplac;ait
le général Rogniat parti pour Weissenfels, avait
été extremement frappé de la ditliculté de faire
défiler toute l'armée par un seul pont d'nne
immense longueur, celui qui va de Leipzig
a
Lindenau. 11 avait done proposé au prince Ber–
thier de jeter, au-dessus ou au-dessous, d'autres
ponts secondaires, qui serviraient au passage
de l'infanterie, afin de réserver la chaussée prin–
cipale
a
l'artillerie,
a
la cavalerie, aux bagages.
Soit que Berthier, tout plein encore de la peine
qu'on.avait eue a parler de retraite
a
Napoléon,
n'osat pas lui en parler de nouveau, soit (ce qui
est plus probable), qu'il eut l'habitude invétérée
d'attendre tout de sa prévoyance, il repoussa le
colonel , en luí disant qu'il fallait savoir exécuter
les ordres de I'Empereur, mais n'avoir pas
la
prétention de les devancer. Peut-etre aussi Na–
poléon avait-il considéré cecas, et n'avait-il rien
voulu ordonner qui annonc;at sa retraite trop
longtemps a !'avance. Quoi qu'il en soit, on se
réduisit volontairement au seul pont de Linde–
nau, ce qui dans certains cas pouvait devenir
extrememen t dangereux
2 •
·
A peine Napoléon était-il retourné
a
Prohst–
heyda, ou il avait eu son hivac, qu'il
aper~ut
du haut d'un tertre sur lequel
il
était placé,
trois grandes colonnes, mais cette fois bien plus
fortes que l'avant-veille, marchant concentri–
quernent sur sa nouvelle ligue de bataille. Vers
notre droite ne s'appuyant plus
a
Mark-Klee-
vraisemblable qu'elle est, pourrait etre admise, en supposant
que Berthier fatigué, aITecté, malade (ce qn'il était alors),
aurait oublié les prescriptions de Napoléon. lllais par malhenr
)JOur cette hypolhese, il y a l'assertion du colonel Montfort,
qui depuis l'événement a déclaré qu'il avait adressé
a
Berthicr
les plus vives instances pour etre au'torisé a jeter de ponlS
seeondaires, ce qui aurait dü suffire pour rafraichir la mé–
moire du major général s'il en avait cu besoin. 11 est yrai
qu'on ponrrait accuser le colonel l\Iontfort, mis plus tard en
jugement pour celle affaire, d'avoir imaginé celte assertion
afin de s'excnser. l\lais ontre la bonne foi du colonel, qui ue
sau1·ait etrc mise en donte quand on !'a connu, j'ai de cettc
assertion et de son exaclitude une autre prenvc. Le jour
meme du passage si embarrassé du pont de Lindenau, c'est-a-