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LIVRE CINQUANTIEIIIE.

le piége ou elle se serait laissé entrainer. Napo–

léon ordonna au duc de Padoue de réunir tout

ce qu'il y avait a Leipzig de vivres, de muni–

tions, d'habillements , de souliers, de matériel

précieux enfin, d'en composer un vaste convoi et

de l'acbeminer sur la routc de Torgau, ou le gé–

néral Lefebvre-Desnouettes viendrait le rccueillir

par un rnouvement rétrograde, pour l'cscorter

jusqu'a Torgau ineme. De la sorte si on était

obligé d'évacuer Leipzig, on n'y perdrait ríen.

Napoléon p-rescrivit encore au duc de Padoue

d'écrire

a

Erfurt, a l\layence, qu'on était en

pleine manreuvre, que les mouvements allaient

etre tres-compliqués, qu'il ne fallait done pas

prendre l'alarme si on apprenait que Leipzig fUt

occupé par l'ennemí, qu'un pareil événemeot

pouvait bien avoir lieu, mais par le résultat de

combinaisons qui se termineraient vraisembla–

blcment

par un coup de foudre.

Napoléonavait le projet, arrivéjusqu'a;bessau

a

la poursuite de Blucher et de Bernadotte, de

ne pas Jacher prise avant d'avoir pu les joindre ;

cependant, si apres les avoir bien battus il fal–

lait pour les suivre encore pcrdre la chance

d'atteindre l'armée de Boheme,

il

était r ésolu

de les laisser trainer leurs débris jusqu'a Bcrlin ,

et quant a Jui de reID(:)Ilter la rive droite de

l'Elbe pour l'exécution de sa gr;mde pensée,

doQt le succes serait ainsi devenu tres-probable,

car le fleuve qu'il aurait mis entre lui et l'armée

de Bohéme couvrirait son mouvement, main–

tiendrait cette armée dans l'ignorance de ce

qu'on lui préparait, et ne lui permettrait de

l'apprendre que lorsqu'il ne serait plus temps

pour elle de rebrousser chcmin vers la Bolieme.

Toutcfois cette profonde combinaison avait

un inconvénient, mi seul, mais grave, c'était

de résoudre définitivement la question de l'éva–

cuation ou de la conservation de Drcsdc. Con–

server ceLte ville devenait en effet nécessaire,

puisque apres avoir passé l'Elbc

a

la suite <le

Blucher et de Bernadotte, il fall ait Je rcpasser

afín de surprendre l'arméc de Bohcme, et il

était possible que pour y réussir il fallút le

remonter non-sculement jusqu'a Torgau, mais

jusqu'a Dresdc. Par ce motif Napoléon enjoigoit

au maréchal Saint-Cyr, contrairement

a

ce qu'il

lui avait d'abord annoncé, de rester définitive–

ment a Dresde, de s'y bien établir, et de

l'y

attendre avec confiance, car bientót probable–

ment il le verrait repar ailre sous les murs de

ceLte ville, non par la r ive gauche, mais par la

rive droite, apres de gr ands desseins accomplis,

et

a

la poursuite de desseins plus grands encore.

Malheureuscment si ces desseins ne se réali–

saient pas, et si on était amené

a

combattre ou

l'on se trouvait, c'est- a-dire entre Düben et

Leipzig, c'étaient 50 millc hommes capables de

décider la victoire qui manqueraient a l'effectif

de nos forces, et s'il fallait apres une bataille ou

indécise ou perduc repasser la Saale, c'étaient

encore 30 mille hommes ajoutés a tous ceux qui,

rcnfermés daos les places de l'Elbe, de l'Oder,

de la Vistule, ne

pou~_raicnt

pas rentrer en

France, et seraieot réduits

a

capituler.

Aprcs avoir enfanté ces vastes conceptions,

Napoléon résolut de s'arreter un jour a Düben,

peut-etl'e deux, pour y recueiilir des nouvelles

soit de Murat, soit des différents corps envoyés

a

la poursuitc de Blucher et de Bernadottc, car

il s'agissait de savoir s'il devait chercher les

armées de Silésie et du Nord derriere la l\iulde,

en passant cctte riviere entre Düben et Dessau,

ou les cherchcr au dela de l'Elbe, en passant ce

fl euve

a

·wittenbcrg. I1 faisait un temps hor–

rible, on marchait dans une fange épaisse,

délayée par des pluies continuelles, ce qui aug–

mentait beaucoup les peines du soldat, et Napo–

léon était contraint d'attendre le résultat des

reconnaissances dans un petit chatcau entouré

d'eau, au milieu de bois déja ravagés par l'au–

tomne et la mauvaise saison. Cette inaction for–

cée COlttait

a

son Ímpatience, et quoique

b'CS–

confiant encore,

il

ne laissait pas d'avoir de

vagues pressenliments qui le jetaient p::irfois

dans une sorte de tristesse. Il n'avait d'autre

ressource que de s'entretenir avec le

marécl~al

illarmont, dont l'esprit facile, ouvert, cultivé,

lui plaisait, et avcc le'quel

il

avait cu jadis les

r apports familiers d'un général avec son aide de

camp. Il passa la nuit entiere du

fO

au H a dis–

courir sur la situation si extraordinairement

compliquée des armées belligérantes entre l'Elhe,

la .M ulde et les montagnes de Bohemc, et bien

qu'il eút été amené

a

cette situation non par la

confusion de son esprit qui était le plus nct du

monde, mais par celle des choses, et qu'il sut

parfaitcment s'y reconnaitre, il n'était pas exempt

de tou te inquiétude en se voyant engagé dans

un par eil labyrinthe, et

a

plusieurs rcprises i]

s'écria : Quel

fil

embrouillé que tout ceci

!

l\foi

scul je puis le débrouiller, et cncore aurai-je bien

de la peine ! - C'est ainsi qu'il passa cette nuit,

parlant de toutes choses, meme de littérature et

de sciences, laissanL le maréchal l\'farmonl épuisé

de fatigue, et ne paraissant en éprouver au cune.