LEIPZIG ET HANAU. -
OCTOBRE
181 5.
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savait que l'armée du Nord était sur sa gauche
derriere la basse Mulde, ciccupant les ponts de
cette riviere, et ceux de l'Elbe au-dessous de sa
réunion avec la Mulde, ayant par conséqucnt
toute facilité pour r epasser l'Elbe, et se soustraire
a
nos poursuites. 11 savait que l'armée de Silésie,
apres avoir fran chi l'Elbe a 'Vartenbourg sur
notre droite , venait de défiler le long de notre
front , pour traverser
la
Mulde a notre gaucbe,
et
se joindre
a
l'armée du Nord. 11 n'y avait
pas grande invraisemblance
a
supposer qu'ellcs
allaient recommencer eette taetique évasive qui
nous avait tant épuisés, et a notre approche
repasser l'Elbe vcrs Acken ou Roslau . Pour Napo–
léon qui avait besoin d'unc bataille décisive, et
qui achaque pas jonchait la routc de jeunes gens
malades ou dépités, c'était
fa
un vrai malheur.
11 était
a
craindre également qu'apres avoir inu–
tilement opéré un long trajet pour atteindre les
armées de Silésie et du Nord, et voulant se
rabattre ensuite sur l'armée de Boheme,
il
ne
put pas davantage atteindre celle-ci. Leur mar–
che sur nos derrieres annorn;ait sans doute des
projets plus hardis que de coutume, mais elle
pouvait bien signifier aussi le désir de ne com–
battre que lorsque les trois armées alliées
seraient confondues en une seule. Or, pour leur
donner le courage de nous attendre, Napoléon
ne pouvait cependant pas leur laisser l'avantage
de se réunir, ce qui les aurait placées
a
notre
égard daos la proportion de deux contre un ,
supériorité numérique trop dangereuse pour s'y
exposer, et néanmoins, tant qu'il persisterait
a
s'interposer entre les deux masses ennemies,
l'une descendant la Mulde, l'au tre la remontant,
il
était présumable que cbacune des deux, indi–
viduellement menacée, chercherait
a
se dérober.
Dans cette perplexité, ne voulant pas leur per–
mettre de se réunir, et obligé de choisir celle
qu'il attaquerait Ja premiere, il prit le partí de
se jeter
a
outrance sur Ja
mass~
qui était form ée
des armées de Silésie et du Nord', et pour les
joindre, sans perdre le moyen de revenir plus
tard sur l'armée de Boheme, il imagina tout
a
coup l'un des projets les plus audacieux, les plus
savunts, que jamais capitaine eút conc;us,
et
qui
recevait de la proportion des forces avec les–
quelles
il
allait elre tenté une grandeur inou!e
· ~
1
On a beaucoup parlé de ce projet snns le connallre, et on
l'a
rcndu presque riclícule par toules les suppositions trcs–
hasardées qu'on
a
faites, faute de savoir la vraie pensée de
Napoléon. Nous pouvons, grCtce
a
sa correspondancc, mise en
rapporl avec la correspon<lance des géuéraux sous ses ordres,
Napoléon r ésolut de poursuivre sans reiaehe les
armées
de
Silésie et du Nord, de passer
a
leur
suite la l\iulde et l'Elbe, d'eo détruire tous les
ponts, excep té ceux qui nous appartenaient, de
s'efforcer ainsi de mettre en complete déroute
ces deux armées, puis comme daos cet intervalle
de temps, le prince de Schwarzenberg, continuant
a
deseendre
la
Mulde, aurait vivement poussé
Murat sur Leipzig, et peut-etre plus has, de
remonter Jui-meme l'Elbe, sans quitter la rive
droite, de Je remonter jusqu'a Torgau ou
a
Dresde, de repasser
ce
fleuve
a
l'un de ces points,
et de fondrc sur cette armée de Boheme, séparée
des montagnes , et prise ainsl dans un vrai eul–
de-sac, entre la Mulde et l'Elbe dont les ponts
seraient
a
nous.
ll
fa llait sans doute bien du
bonheur, bien
de
la précision de mouvement,
et de bien bons instruments pour que cctte
combinaison réussit, car elle était aussi vaste
que compliquée; mais il se pouvait qu'apres
avoir fourni
a
Napoléon le moyen de battre les
armées du Nord et
de
Silésie, elle luí ménageat
encore le moyen de prendre dans un coupe–
gorge et de détruire cornplétement l'armée de
Boheme. C'étaient de prodigieux résultats, cer–
tains avec les soldats et les généraux de Fried–
land et d'Austerlitz, douteux aujourd'hui, mais
possibles encore, meme avec des soldats jeunes
et des généraux déconcertés.
Sur-le-champ NapoJéon donna ses ordres en
conséquence, et les donna en chiffres, recom...
mandant a tous ceux qui allaient etre déposi–
taires de son secret, de le bien garder, cnr,
disait-il,
ce
serait pendant trois jours le
sec1·et
de
l'armée et
le
salut de l'Empire.
11 prescrivit
á
1\Iurat de se conduire avec une extreme pru–
dence, de contenir l'ennen'li et de l'attirer tout
a
la
fois, de se replier sur Leipzig ou
il
rencon–
trerait Je duc de Padoue
et
vraisemblement
Augereau, de s'y maintenir autant que possibJe,
car il y avai t un intérct
a
la fois politique,
moral et militaire
a
conserver cette ville, mais
plutot que de s'exposer
a
une lutte inégale, de
rétrograder sur Torgau ou Wittenberg, ou il
trouverait asile derriere l'Elbe, en attendant que
Napoléon, r epassant ce fleuve par Torgau ou
Dresde , vínt comrne la foudrc retomber sur
l'armée de Bohémc, condamnée
a
périr dans
l'élahlir sa pensée vérilable, jour par joul', hcut•e par hcure, et
ou vcrra qu'a la veillc du plus g1·and des malheurs, nous
:ijouterons du plus motivé par ses fautes politiques, son génie
mililail'e se déployu nvec autant de force et de grandeur que
jumais.