LIVRE CINQUANTIEME.
Ja réunion tant prévue de toutes les forces de Ja
coalition sur nos derrieres.
Napoléon n'en fut ni ému ni troublé. C'était
l'annonce de ce qu'il désirait ardemment, c'est–
a-dire d'une bataille généralc, et daos sa con–
fiance il ne craignait meme qu'une chose, c'est
qu'apres un mouvement si audacieux les · coa–
lisés n'eussent pas le courage de persister dans
leur entreprise, et qu'i]s ne cherchassent
a
se
dérober. Qu'il fallut rét.rograder de Dresde pour
marcher sur eux, ce n'était pas
a
mettre en
doute. Mais sur laquelle des deux masses se jet–
terait-il d'abord, afin de les battre l'une apres
l'autre? C'était Ja seule question
a
poser, et
cellc-la meme ne le
fit
pas hésiter un instant.
L'armée de Boheme n'était pas pres d'arriver
a
Leipzig; d'ailleurs l\forat avec 40 mille hommes,
en trouvant une douzaine de mille a Leipzig, de–
vant recevoir bientót les douze milie d'Augereau,
ce qui luí procurera it plus de 60 millc hommes,
pouvait prendre des positions
successiv~s
pour
couvrir Leipzig, gagner ainsi quelques jours,
tandis que Napoléon,
a
qui il ne fallait que trois
marches pour se porter a Düben sur la Mulde,
aurait le temps de se jeter entre Blucher et Ber–
nadotte, de les accabler l'un et l'autre, puis de
revenir sur l'armée de Boheme et de la battre
a
son tour. Si cette armée qui tant de fois ne
s'était montrée que pour se dérobcr presque
aussitót, ne l'attendait pas, et se batait de ren–
trer en Bobeme, au lieu de courir apres elle, il
se mettrait
a
la poursuite de Bernadotte et de
.Blucher vaincus, les suivrait l'épée daos les reins
jusqu'a Berlín, réaliserait ainsi son projet favori
de tendre une main secourable a ses garnisons
de l'Oder et de la Vistule, et probablement daos
ce cas transporterait le théatre de la guerre sur
Je has Elbe, ou il avait les deux puissants points
d'appui de Magdehourg et de Hambourg.
C'étaient
la
les chances les plus hcureuses , et
Napoléon, bien que tres-confiant encorc, n'était
pas assez aveugle pour ne pas admettre aussi les
chances malheureuses, surtout en voyant l'achar–
nement des coalisés. C'est dans cette prévision
qu'il avait enyoyé Je général Rogniat a l\ierse–
bourg, pour s'y ménager des moyens certains de
retraite sur Ja Saale. Si les événements étaient
sinon facheux, du moins indécis, il se replierait
sur Ja Saale, et en ferait sa nouvelle ligne d'opé–
ration pour plus ou moins lougtemps, sclon les
moyens de résistance qu'il trouveraít sur cette
ligne.
Dans ces divers cns tout scmblait devoir abou-
tira l'évacuation de Dresde, et de la ·partie du
cours de l'Elbe comprise de Krenigstein a Tor–
gau. Si en effet, apres avoir vaincu l'armée de
Silésie et du Nord, Napoléon allait s'étahlir tout
a
fait sur le has Elbe, ou bien si, ayant eu des
revers en Saxe,il était obligéde repasser la Saale,
il devait dans ces deux hypotheses renoneer
a
Dresde. Il est vrai aussi que si, apres avoir batlu
Jesarmées de Silésie et du Nord,il pouvaitbattre
encore l'armée de Boheme, il était maitre de
la
campagne au point de n'avoir besoin de rien
évacuer. Mais c'était Je eas le plus favorable, et
Ja prudence ne permettait pas d'y compter assez
pom· en faire la base de ses calculs. Napoléon
disposa les choses de maniere
a
rendre son mou–
vement complet, et
a
évacuer jusqu'a la ville de
Dresde elle-meme. En conséquence il
fit
partir
le 6 au matin toute la garde, jeune et viei!.le,
pour le has Elbe, c'est-a-dire pour l\feissen. Le
i)e
corps (celui de Souham) s'était acheminé sur
Torgau au premier bruit du combat de Warten–
bourg. 11 ordonna également
a
Macdonald de
partir du camp de Dresde pour Meissen, mais en
longeant la rive droite, ce qui était saos danger,
l'armée de Silésie n'étant plus daos les environs,
et ce qui avait en outre I'avantage de ne pasen–
combrer la ri ve gauche. La garde, ]es corps de
Souham et de Macdonald , comprenaient environ
75 mille hommes, lesquels en deux jours allaient
etrepres deNey, cten lrois sur l'ennemi. Res–
taient
a
Drcsde les corps du comtc de Lobau
(le 1
er),
du maréchal Saint-Cyr (le
14e),
comp–
tant sept divisions et environ 50 mille hommes .
C'était une force considérable, qui , dans le$
diverses hypotheses que nous venons d'énumérer
n'était pas nécessaire
a
Dresde, et qui sur l'un
des deux champs de bataille ou l'on s'attendait
a
combattre, pouvait et devaít meme décider la
victoire . Napoléon
fit
appeler le maréchal Saint–
Cyr qui commandaít les deux corps, et lui causa
une grande satisfaction en lui exposant ses vues,
car ce maréchal, outre qu'il était cette
fois
de
]'avis de Napoléon, appréhendait fort d'ctre laissé
a Dresde. Napoléon luí
tra~a
ensuite -tout ce
qu'il aurait
a
faire pour l'évacuation de celte
ville. D'abord íl devait évacuer successivement
Kronigstein, Lilienstein, Pirna , lever en meme
temps les ponts établis sur ces <l:ivers points,
réunir les bateaux qui en proviendraient, en
conservcr une partie a Dresde méme pour le
cas ou l'on y retournerait, charger les autres de
vivres, de munitions, de blessés, et les expédier
sur Torg'au. Tout en faisant ces choses qui res-