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LIVRE ClNQUAN1'1El\IE.
velle agression de Blucher contre Macdonald, et
enfin l'apparition de nombreux partisans sur
toutes les routes aboutissant de la Boheme
a
la
Saxe. Des qu'il était impossible de franchir le
Geyersberg dans deux heures pour couper la
grande route, il n'y avait plus rien d'utile
a
tenter, et Napoléon qui, saisissant d'un coup
d'ceil tous les aspects d'une situation, ne perdait
pas de temps
a
se résoudre, prit sur-le-champ
le
parti de s'arreter. Toutefois comme il était im–
portuné
de·
la nouvelle fréquemment répétée de
l'irruption des partisans en Saxe , il voulut que
ses troupes restassent en position, le maréchal
Saint-Cyr au Geyersberg, le comte de Lobau au
Nollenberg, l'un et l'autre au débouché des
montagnes. Il avait l'intention, si ces partisans
n'étaient que les avant-coureurs de corps plus
considérables commern;ant sur Leipzig une opé–
ration qu'il avait tQujours crue probable, de les
retenir quelques jours en les intimidant par sa
présencc au-dessus de Kulm, ce qui lui doonait
le temps de faire des dispositions proportionnées
a
ce nouveau danger.
En conséquence, sur ce terrain hérissé de
rochers, ou les sapeurs et les soldats s'épuisaient
en inutiles efforts pour faire passer l'artilJerie,
Napoléon prit
a
part le maréchal Saint-Cyr, et
lui déclara qu'il renorn;ait
a
cette tcntative sans
lui cxprimer tous ses motifs, trop nombreux
pour etre détaillés, et rl'ailleurs pas tous bons
a
dire. Il lui ordonna de se tenir deux jours au
moins dans une position menai¡ante au-dessus
de Tceplitz, puis
il
quitta le maréchal qui fut
fort étonné et fort mécontent de voir abandon–
ner un projet dont il était épris, et dont il
espérait de grands résultats
1 •
Napoléon alla par
Breitenau
a
Hollendorf, donner les memes in-
1
Ici enco1·e, toujours appliqué que nous sommes
a
rcche1·–
cher la vérilé rigoureusc, nous 1·eléverons un passage des
lllémoires du maréchal SainL-Cyr, qui,
relra~ant
asa maniere
les fails que nous venons de rapporler (tome IV de ses l\Ié–
moires, pages 157 el suivantcs), raconle avec étonnement et
humenr le brusquc changemenl dedélermination de Napoléon ,
déplorc de n'avoir plus relrouvé en lui ce jou1·-la le grand
homme que le Saint-Bernard n'avaiLpu jadis ni inLimider ni
arréLc1'. S'il était vrai, ce qui n'est pas, que clans ces dcr–
nieres campagnes on eut
a
regreller le grand homme de Rivoli
el de lllarengo, ce uc serait pas celle fois. D'abord il y a des
faits que le ma1·écbal Saint-Cyr a exagérés, il
y
en a d'autrcs
qu'il a ignorés.
1(
prétend que le passage du Geyersberg était
facile
a
rendre praticable; or, une lettre de Napoléon a
~!.
ele
Bassano, laquelle, par un hasarrl heureux pour l'bistoire, rend
compte de celte circonstance, dil posilivemcnL qu·il avait été
impossible de fraye1· la route, et cerles Napoléon
y
avail un
te! inléret, et il en avait <le plus un lel désir, que si on J'avait
pu (bien enlenrlu dans le nombre d'heures nécessaire) il n'au–
rait pas manqué de le tenter. Le maréchal appuie encare
structions au comte de Lobau, lui prescrire pa
1•
conséquent de garder une attitude menai¡ante au
débouché des montagnes, puis revint coucher
a
Breitenau. 11 consacra la journée du
11
a
revoir
toutes les positions de cette contrée, tant sur le
plateau de Pirna que sur celui de Gieshiibel, et
rentra le
12
a
Dresde.
Napoléon revenu
a
Dresde avait de quoi réflé–
chir
a
sa situation, qui était grave en effet, et
commeni¡ait meme
a
devenir inquiétante. Ce
plan adopté
a
Trachenherg de marcher tous
ensemble sur lui , en se dérobant des qu'il
é~ait
présent, et en avanc;ant résolUment des qu'on ne
trouvait que ses lieutenants, de l'épuiser ainsi
en courses inutiles, et puis quand on l'aurait
suffisamment affaibli, d'essayer de l'envelopper
pour l'étouffcr, ce plan , qui exigeait une condi–
tion parfaitement remplie ici, !'ensemble et la
persévérance des efforts, ·1a résignation
au~
pertcs quelles qu'el1es fussent, ce plan n'était que
trop évident, et suivi avec une constance
fu–
neste. Napoléon le discernait
a
merveille, et sans
etre découragé,
il
voyait clairement se former
autour de lui le cercle de fer dans Jeque] on
cherchait
a
l'enfermer. Quatre batailles avaient
été perdlles la oú il n'était point, par les fautes
que nous avoos signalées, fautes remontant
accidcntellemcnt
a
ses lieutenants, fondamenta–
lement
a
lui. Ces batailles de la Katzbach, de
Gross-Bceren, de Kulm, de Dennewitz, avaient
dépassé en importance la victoire de Dresde;
Napoléon, quand il avait voulu y remédier,
avait inutilement couru ces jours derniers sur
Gorlitz, aujourd'hui sur Péterswalde, et
il
av:,¡it
vu s'échapper sans ccsse l'occasion d'une grande
bataille par laquelle il espérait tout réparer.
Cette situation ré.vélait le seul défaut de son
beaucoup sur la faute de .n'avoir pas profité de l'absence des
Autrichiens pour accabler Kleist et \Vittgenstein : or, cettc
abscnce par luí so11pgonnée, mais lout
a
fait
inconnue alors,
et peu présumable, n'est devcnue une cerlitudc que depuis
bea11coup de publicalions hisloriques, et le jugemenldu maré–
chal n'est plus des lors qu'un jugernenl porté apri:s coup, et
reposant sur des clonnées qui sont inexacles en se référant aux
circonstances du momenl.. Enfín le maréchal ignorait tout ce
que Napoléon Yenait d'app1·endre, et ne luí avait pas dit,
de
la situation de Macclonald, de celle de Ney, el de l'appa–
r1tion des. partisans en S:ixc, apparition inquiétarite el qui
pouvait ct1·e interprétée de bien des manieres. Le marécbal a
done porté un jugemcnl erroné, foule de connaitre tous les
fai ls ou de vouloi1· les interprétcr équitablement, et cetle di–
vergence d'opinion, entre dcux hommes présenls a la méme
hcurc sur les memes lieux, tous deux fort compétenls, est
une nouvelle preuve Cle la difficulté de bien juger les événe–
menls de cetle nature, par conséquent d'écl'ire l'hisloire en
toute vérüé.