Table of Contents Table of Contents
Previous Page  225 / 616 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 225 / 616 Next Page
Page Background

LEIPZIG ET HANAU. -

SEPTElllRRE

1815.

215

sur

la

route de Furstenwalde, refoulé dans la

direction de Liebstadt les masses qu'on avait

devant soi. Toutefois les coalisés s'étaient re–

pliés sans précipitation, et de maniere

a

Jaisser

du doute sur l'attitude qu'ils prendraient Je

lendemain. Se retireraient-ils , ou tiendraient–

ils ferme? Telle était la question que Napoléon

et le maréchal Saint-Cyr n'étaient point en me–

sure de résoudre encore. Bien décidés du reste

a

marcher vigoureusement sur l'ennemi s'il vou–

lait tcnir le lendemain , ils passerent la soirée

ensemble; et firent avec l\furat et Berthier un

repas, comme on les fait

a

la guerre et pour

ainsi dire au bivac.

Dans ce moment, 8 au soir, un aide de camp

apporta la nouvelle de la bataille perdue

a

Den–

newitz le 6. C'était

fo

quatriemc événcment

malheureux depuis les ·deux grandes victoires

de Dresde, car nous comptions déj a Ja Katzbach,

Gross-Beeren , Kulm, Dennewitz, sans un seul

succes pour compenser ces coups redoublés de

la fQrtune. Ce dernier surtout avait une im–

mense gravité, car outre l'effet moral croissant

avec la série des malheurs,

il

metlait en péril la

partie inférieure de l'Elbe, et nous exposait

a

voir

ce

fleuve franchi sur notre gauche, tandis

que l'armée de Boheme descendant de l'Erzge–

birge sur notre droite, menacera it de nous

tourner définitivemt_mt, et de se joindre au

corps qui aurait passé l'Elbe

a

Wittenberg. Na–

poléon sentit sur-le-champ la portée de cet évé–

nement. Néanmoins il demeura calme,

et

meme,

aux yeux malicieusement

obser~ateurs

du maré–

chal Saint-Cyr, ne décela ni un trouble ni un

sentiment d'humeur contre le maréchal Ney.

Certes un instant d'ernportement eut été excu–

sable; pourtant dans cet épanchement familier

de militaires parlant entre eux de leur profes–

sion, il sembl.a n'envisager dans ce qui venait

d'.arriver que le coté de l'art. - C'est un métier

bien difficile que le notre

!

s'écria-t-il plusieurs

fo

is, et comme pénétré des difficultés de ce

grand art, Je plus grand de tous aprcs celui de

gouverner, il releva avec une admirable préci–

sion de critique, et sans aucmne sévérité, les

fautes commises pendant cette courte campagne

de trois jours, commencée

a

Wittenberg, et sitot

finie

a

Torgau. II ne voulut jamais voir dans ces

fautes que la preuve des difficultés inhérentes

au métier, répéta souvent que la guerre était

une chose singulierement difficile, qu'!l fallait

beaucoup d'indulgence envers ceux qm la pra–

tiquaient, et se montra lui-meme de la plus rare

équité, comme si un pressen timcnt surhumain

l'avait averti dans le moment, que lu i-meme

aurait bienlót besoin de cette justice ind ulgente

qu'il réclamait pour les généraux malheureux.

Entrainé par le fe u de la conversation , dans

laquelle il était éblouissant qua nd

il

s'y livrait,

il

dit .,ue les généraux n'appor taient pas assez

de réflexion daos leurs opérations; que, s'il en

avait jamais le temps,

il

composerait un jour un

livre dans lequel il leur cnseignerait les prín–

cipes de la guerre, de maniere

a

en rendre l'ap–

plication claire et facile

a

tous, et parla de ce

projet d'écrire un jour, comme s'il avai t prévu

qu'il passerait les six dernicres années de sa vie

dans un cruel exil, réduit

a

écrire sur un rocher

de l'Océan

!

Le maréchal Saint- Cyr, que son

penchant pour la contradiction rendait souvcn t

paradoxal, nía la science, meme l'expériencc,

soutint qu'on naissait général et qu'on ne le

devenait pas, que les généraux gagnaient peu

a

vieillir dans l'exercice de leur profession, et que

lui, Napoléon, avait fait sa plus belle campagne

a

vingt-six ans. Napoléon lui concéda en efi'et que

lorsque les généraux n'étaient pas doués par la

nature de certaines facultes, l'expérience leur

profitait peu , et plongeant dans le passé : II n'y

en a eu qu'un, s'écria-t-il, qui, méditant sans

cesse sur son rnétier, ait gagné

a

vieillir, c'est

Turenne

!. ...

Ainsi apres une nouvellc terrible, qui chan–

geait considérablement sa position , Napoléon

passa la soirée

a

disserter sur son art , et

a

char–

mer ses auditeurs, qui n'étaient pourtant pas

tous bienvcillants

!

Hommc singulier et prodi–

gieux, qui saos etre né flegmatiquc, arrivait par

la puissance de son esprit

a

s'arra_che1• aUK

affaires présentes,

a

les oublier,

a

les dédaigner,

a

les juger de la hauteur de l'aigle, qui d'un vol

vigourcux échappe

a

la terre pour planer daos les

hauteurs du cicl

!

Ccpendant

il

ne se faisait pas illusion, et son·

geant que dans son vaste cmpire tout avail été

prévu pour la conquete, ríen pour la défense,

il

voulut faire parvenir au ministre de la guerre

l'ordre indirect de s'occuper des places du Rhin.

Écrire lui-meme au duc de FelLre qu'il com–

mencait

a

douter de la possibilité de se main–

teni; en Allemagne, était un aveu pénible,

et surtout dangereux

a

fai re' car l'émotion

de eelui qui recevrait une telle confidence

pourrait bien en amener la divulgation.

ll

ima–

gina done le soir meme de faire adresser par

l\L de Bassano, au ministre Clarke, une lettre