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LIVRE CINQUANTIEME.
des soldats et les récriminations des chefs qu'il
lui fallait subir, outre la cohue des fuyards qu'il
lni fallait faire rentrer dans l'ordre, outre la
difficulté de pourvoir
a
tout ce qui manquait,
sm·tout
a
l'approche de l'ennemi déja presque
aux portes de Torgau, Ney avait encore la crainte
de voir les Saxons s'insurger. Peu contenus par
Reynier, qui dans sa mauvaisc humeur se faisait
trop lcur avocat, ils
mena~aient
tout haut de
défection. On avait ordonné de ramener du
bétail sur
l~
rive droite de l'Elbe pour former
les approvisionnements de la place de Torgau,
et ceux de l'armée elle-meme. Les Saxons non–
seulement s'y étaient refusés , mais s'étaient
emparés d'un pare qu'on venait de réunir, et
avaient distribué les tetes de bétail aux paysans
saxons du voisinage. D'une pareille désobéis–
sance
a
une révolte ouverte
i1
n'y avait pas loin.
Du reste
il
n'était pas surprenant que daos une
armée composéc d'éléments si divers, deux ;J:>a–
tailles perdues en douze jours eussent produit
cet ébranlement moral : il aurai t fallu s'étonner
au contraire s'il en eút été autrement. Ney,
comme Macdonald, comme Oudinot, écrivit
a
l'Empereur pour lui demander d'etrc exonéré
du commandement. - J'aime mieux, disait-il
noblement, etre grenadier que général dans de
tellcs conditions : je suis pret
a
verser tout mon
sang, mais je désire que ce soit utilement
1. -
Appuyé sur Torgau et sur l'Elbe, Ney pouvait
bien empechcr le passage du íleuve quelques
jours,
il
ne pouvai t pas le disputer longtemps,
du moins sans de nouvcaux secours, surtout
contre la réunion de forces qu'il était facile de
. prévoir vers cette partie de notre ligne de
défense.
Pendant que ces événements avaient lieu,
Napoléon rentré a Dresde le 7 au soir, avait été
r appelé des le 8 au matin
a
Pirna, aupr es du
maréchal Saint-Cyr, pour y tenir tete aux Russes
et aux Prussiens qui paraissaient insister daos
1
Voici celle lettl'e curicuse, qui peint la sitnalion mieux que
tout ce qu'on pourrait dire :
Le¡iri11c11 de la 11/oskowa au mafor gé'lléral.
vVurtzen,
iO
seplembre
rn13.
«
C'est
1111
dcvoir poul' moi de décla1·er
u
V. A. S. qu'il est
impossible de tirer un bon partí des 4c, 7e et ·12c corps d'arméc
dans l'état acluel tic leur orgaDisation. Ces corps soul réunis
pa1· le droit, mais ils ne le sont pas par le foit : chacun des
généra11x en chef fait
a
peu pres ce qu'il juge convenable pour
sa prop1·c surelé; les choses en sont au point qu'il m'cst tres–
difficile d'obtenir
u.nesiluation. Le moral des génrlraux et en
général des officiers es t singulierement ébranlé : commander
leur attaque, au point de rendre vraisemblable
une entrepris·e sérieusc. Napoléorr aurait bien
voulu qu'il en fUt ainsi, mais, hélas
!
il
ne l'es–
pérait guere. Son grand tact militaire ne luí
permettait pas de croire que lorsqu'il y aurait
une opération sérieuse, elle put etre tentée sur
Dresde, apres ce qui s'é tait passé les 26 et
27 aoUt. Il ne eroyait done qu'a une simple
démonstration; toutcfois
il
était parti pour
Pirna avee sa gardc et une portion de
la
cava–
lerie de réserve revenues de Bautzen le matin
meme, et s'était encore transporté aupres du
maréchal Saint-Cyr, pour combiner avec luí ce
qu'il y aurait
a
faire en cette nouvelle· occur–
rence.
Les Russes et les Prussiens n'ayant pas aper«;u
la garde et la réserve de cavalerie qui signalaient
toujours la pr.ésence de l'Empereur, avaient pcr–
sisté dans leur mouvemcnt offensif, et Saint-Cyr,
qui en rétrogradant était arrivé jusqu'au bord
de la peti te riviere de la Müglitz pres de l\:lugeln,
ne voulait pas la repasser. Cettc riviere, coulant
des montagnes de Boheme, vient se perdre pres
de
~Iugeln
daos l'Elbe. En la repassant on aban–
donnait définitivement les hauteurs, et on était
tout a fait rejeté dans la plaine. Le maréchal
Saint-Cyr, dans la vue d'un prochain retour
offensif, avait voulu se maintenir au dela de Ja
i\füglitz et en avait défendu le bord en restant
a
Dolma. Napoléon s'étant rendu sur les lieux
le 8 au matin , bien avant les renforts qui le
suivaient, avait pensé comme le maréchal Saint–
Cyr, qu'avec la certitude d'etre prochainement
appuyé, le
14°
co1,ps pouvait, sans laisser de
réserve, marcher tout entier contre l'ennemi.
Sur-le-champ en effet trois des divisions du
14e
corps s'étaient formées en colonnes d'at–
taque et avaient vigoureusement poussé de has
en haut les troupes de Wittgenstein et de Kleist.
On avait d'un cóté sur la route de Péterswalde
recouvré le plateau de Gieshübel, et de l'autre,
ainsi u'est commant.ler qu'a demi, et j'aime1·ais mieux·etre
grcnadicr . Je vous p1·ie, monseiguem:, d'ohtenir de l'Empe-
1·eur ou que je sois seul géncírnl en chef, ayant seulement sous
mes ordres des généraux de division d'aile, ou que Sa i\Jajesté
vcaille bien me 1·etil'er de cet enfer. Je n'ai pas besoin,-jc
pensc, de 1mrler de mon dévouement,je suis pret
a
verser
tout mon sang, mais je désire que ce soit ulilement. - Dnns
l'état
~tu
el, la présence de l'Empereur ponrrai t seule rétablil'
!'ensemble, parce que toutes les volontés ccdent :\ son géuie,
et que les peLites vanités disparaissent devant Ja majesté du
tróne.
" V. A. S. doit elre aussi instl'Uite que les troupes étran–
gcres de toutes nations manifestent Je plus mauvais esprit, et
qu'il est dauleux si la cavalel'ie que j'ai avec moi n'est pas plus
nuisible qu'utilc. ,,