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208

LIVRE

CINQUANTJEI\JE.

cord, si l'armée de Boheme voulait s'y prcter,

d'avoir tout de suite une grosse affaire avec elle,

et qu'on n'était memeempeché de l'entreprendrc

sur l'heure que par l'absence des réserves occu–

pées

a

franchir l'espace entre Bautzen et Dresde.

Napoléon quitta le maréchal Saint-Cyr pour

retourner encore le jour mcme

a

Dresde, ou il

nvaitdes ordres de tout genre

a

donner

a

ses

divers

corps d'armée. 11 fut conven u qu'au premier mou–

vement de l'ennemi le maréchal luí enverrait un

officier pour le prévenir

1 •

Pour mieux apprécicr la difficulté do com–

mandement,

il

faut savoir qu'en ce moment

Napoléon el le m_aréchal avaient raison l'un et

l'autre, et l'un contre l'autre. Voici ce qui s'était

passé en effet du cóté des coalisés. A la premiere

nouvclle venue de Drcsde d'une marche de Na–

poléon en Lusace, les Autrichiens avaicnt cxé–

cuté un mouvemenL rétrograde, correspondant

1

Nous honorons fort dans le maréchal Saint-Cyr{ outre

beaucoup d'esprit, nne grande indépendance de caraererc;

nous regrcllons Eeulement qu'clle ait été galée par un penchanl

excessif

a

la cont1·adiction, qui lui a fait commettre plus d'une

fnute dans sa carriere, d'nilleurs si gloricuse. Mais nous allons

citcr une étrange preuvc de ce pcnchanl '

a

l'occasion mcme

des journées dont on vient de líre le rJcit. Ce1·tes, il est diffi–

cile de voir des journées sinon plus hcureusement employécs,

du moins plus activement, car Napoléon parlit le 5 au soi1· ele

Dresde, dormit trois

011

quatrc lieurcs a llarra, arriva le

4

nu

malin a Bautzcn, y passa

la

journée du 4 pour assister ñ la

poursuile de l'ennemi, poussa pcndant la journée du

¡¡

jus–

qu'a Gorlilz pour s·assurer de ses propres yeux si les Prussiens

voulaienl tenir, rcvint le soir mcmc

a

Baulzcn sur le hru it

d'une nouvelle apparition de l'armée de Bohéme, y arriva a

deux heures du matin le 6, expédia le 6 tous ses ordres, vint

le memc jour couchcr

a

Dresde ou

il

fut rendu dnns la 11uil,

et le 7 au matin se transporta auprcs du maréchal Saint-Cyr

pour avoir la conférencc que nous venons de rapporler.

illarchnnt pcndant les nuils, passanL lcsjournées ou a cheval

011

1ians son cabinet pour donncr des di1·cctions

a

une mulli–

tude de corps dont

il

reccvait a chaque inslanl des nouvclles,

·apoléon déployait dans ces circonstanccs l'uctivilé d'un jcune

homme. Voici pourlant les p1·opres paroles du maréchal Sainl–

Cyr dans ses l\lémoires, tome IV, pa¡;e

156..• " 11

lui restail

" (apres la rclraire de Blucher) la faculté de marcl1cr sur

" Schwarzenberg, qui

s'nvan~it

par

la

rivc droite su r Rum–

.. burg, el de la marche rluquel je p1·ésumc qu'il élail inslruil ,

" comme

il

le fut par le

u.e

corps dans les journécs du 5,

R

du

4,

de celle de l'armée russc. Néanmoins, ap1·c la relraile

" de Blucher, il resta le 5, le 6 et le 7 dans une indécisiou

" complcle; le 7, il fit éeri1·e par le major général au ma1·é–

" chal Gouvion Saint-Cyr une cspcce de leltre de reproches. "

Sans chercher dans celle dcrniére phrasc le scc1·ct du jugc–

ment porté par le maréchal Saint-Cyr , on peut voi1· par

l'exposé que nous avons fait

a

quel poinl est fondée l'asserlion

de ce maréchal. Napoléon marcha Je 5 sur Blucher, revint le 6

rappelé par le maréchal Saint-Cyr lui-mcme, n'employa que

quelques heures a s'assurer si cet appcl étnit fondé, heures

qu'il ne perdit pas puisqu'il ne cessa de donner des ordres, et

consacra le 7

a

se transporler aupres du maréchal.

11

ne per–

dit done pas les 5, 6 el 7 en irrésolutions. La supposilion que

'apoléon devait étre inslruit du prétendu mouvement de

l'urméc autrichienne sur Rumburg, c'esl-ñ-dire sur la rive

droite de l'Elbe, esLtout aussi fausse, ca1· d'une part l'nrmée

en Boheme

i1

celui que Napoléon exécutait en

Lusace, et avaient r epassé l'Elbe derriere le ri–

deau des montagnes, entre Tetschen et Leitme–

ritz. Ce mouvement avait un double but, pre–

mierementde pourvoir aux cas imprévus,

a

celui

notamment d'une opération de Napoléon sur

Prague, secondement de

se

remettre quelque

pcu de

fa

rude secousse essuyée par l'armée

autrichienne dans la bataille de Dresde. On avait

laissé les Russes et les Prussiens sur la grande

route dePéterswaldc, afin d'y rappeler Napoléon

par de fortes démonstrations, de dégager ainsi

l'armée de Silésie contre laquelle

il

marchait, et

de continucr le plan convenu

a

Trachenberg,

de se montrer fort entreprenant

Ia

ou

il

ne

serait pas,

tres~prudent

la ou

il

scrait, jusqu'au

moment

ou

apres l'avoir épuisé en courses inu–

tiles, on trouverait moycn de l'accabler. Wittgen–

stein et Kleist, qui commandaient les Russes et

autrichienne n'exécuta point le mouvement dont

il

s'agit, et

ne revint pns en n1·rie1·e au dela de Telschen, d'autre part

'apoléon aur:iit pu ne pas connullre ce mouvement si en elTet

il uvail cu lieu, car le ridcnu des montagnes et la mauvaise

volonté des Allemamls nous eondamna ient

i1

toul ignorer,

a

ce point que le 7 Napoléon et le maréchal Saint-Cyr étant

réunis

u

1'1ugeln, en ul'l'icre de Pirna, ne savaicnt pas s'ils

ava icnL devaut eux les Aut1·ichiens, les Russes el les Prussiens,

ou sculemcnt les Russes et les Prussiens. Toul cst done inexact,

j ugcmcnls et usserlions, 1lans le passage que nous venons de

ei ler, et nous faisons cetlc remarque non poinl en flatleur

de Napoléon, r óle que nous Jaissons

a

d'autres, ni en détrac–

tcur du maréchal Suinl-Cyr, dont nu contraire nous aimons

fort !'esprit et l'indépendance, mais en historien préoccupé

des diJTicullés de l'hisloirc. Cerles, il scmble qu'un témoin de

ce mé1·i1e, placé si pres des é1•énemcnts, nyant passé

a

cólé de

Napoléon une parlic des journécs pentlant lesquelles

il

pré–

tend que Napoléon ne

fit

ríen, nurait

du

savoir la vérité, et

pourlant on voit eomment, po111· n'avoir pas lu ce que

~apo­

léon écrivit pendant ces journécs, il a élé exposé a prononeei·

de faux jugements. C'est une nouvelle preuvc qu'il ne faut pas

se lrnsardcr

a

jugel' les hommcs qui ont figuré tlans les grands

événements sans avoir connu lcurs ordl'es, Jeurs co1·respon–

dances surlout qui contienncnt leurs vrais motifs. El quand

on voil un personnage

c~mmc

le marcchal Sainl-Cyr, qui

uvaiL commandé des armées, qui sa.vait par expérience quelles

sottes déte1·minations les gens mal informés prélent souvent

ñ ceux qui commandcnt, qunnd un tel pcrsonnage commct de

!elles erreurs, on se dil qu'il ne faut prononcer que sur pieces

au lhentiques, et apres avoir vu el compulsé toutes celles qui

exislenl, el qu'on pcut se procurer. Quanl

a

nous, c'est ce que

nous uvons J'ait avcc une al.lenlion scrupuleuse, ne oous per–

mettanl d'allirmer que sur donnécs .ce1·taines, conlrólées les

unes pa1· les aulres, ne'tclierehant

a

cx:.iller ou dénigrer ni

ccux - ci ni ceux-lil, n'élant ni le flattcur ni le détractcur

de Napoléon, devenu pour nous un personnage purement

idéal, ne che!-chanl que la vérilé, la eherchant avcc passion,

et la disant. au profit de Napoléon quand elle luí est favo·

rabie,

it

son détrimen l quand elle le eondnmne. Le vrai, voila

le hu i, le dcvoir, le bonheur méme d'un historien véritable.

Quaml on sail apprécier la vérité, quand on sait combien elje

est hcllc, commode meme, car seule elle explique teut, quand

on le sait, on ne veut, on ne cherche, on n'aime, on ne préscnte

qu'ellc, ou du moins ce qu'on prend pour elle.