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LIVRE
CINQUANTJEI\JE.
cord, si l'armée de Boheme voulait s'y prcter,
d'avoir tout de suite une grosse affaire avec elle,
et qu'on n'était memeempeché de l'entreprendrc
sur l'heure que par l'absence des réserves occu–
pées
a
franchir l'espace entre Bautzen et Dresde.
Napoléon quitta le maréchal Saint-Cyr pour
retourner encore le jour mcme
a
Dresde, ou il
nvaitdes ordres de tout genre
a
donner
a
ses
divers
corps d'armée. 11 fut conven u qu'au premier mou–
vement de l'ennemi le maréchal luí enverrait un
officier pour le prévenir
1 •
Pour mieux apprécicr la difficulté do com–
mandement,
il
faut savoir qu'en ce moment
Napoléon el le m_aréchal avaient raison l'un et
l'autre, et l'un contre l'autre. Voici ce qui s'était
passé en effet du cóté des coalisés. A la premiere
nouvclle venue de Drcsde d'une marche de Na–
poléon en Lusace, les Autrichiens avaicnt cxé–
cuté un mouvemenL rétrograde, correspondant
1
Nous honorons fort dans le maréchal Saint-Cyr{ outre
beaucoup d'esprit, nne grande indépendance de caraererc;
nous regrcllons Eeulement qu'clle ait été galée par un penchanl
excessif
a
la cont1·adiction, qui lui a fait commettre plus d'une
fnute dans sa carriere, d'nilleurs si gloricuse. Mais nous allons
citcr une étrange preuvc de ce pcnchanl '
a
l'occasion mcme
des journées dont on vient de líre le rJcit. Ce1·tes, il est diffi–
cile de voir des journées sinon plus hcureusement employécs,
du moins plus activement, car Napoléon parlit le 5 au soi1· ele
Dresde, dormit trois
011
quatrc lieurcs a llarra, arriva le
4
nu
malin a Bautzcn, y passa
la
journée du 4 pour assister ñ la
poursuile de l'ennemi, poussa pcndant la journée du
¡¡
jus–
qu'a Gorlilz pour s·assurer de ses propres yeux si les Prussiens
voulaienl tenir, rcvint le soir mcmc
a
Baulzcn sur le hru it
d'une nouvelle apparition de l'armée de Bohéme, y arriva a
deux heures du matin le 6, expédia le 6 tous ses ordres, vint
le memc jour couchcr
a
Dresde ou
il
fut rendu dnns la 11uil,
et le 7 au matin se transporta auprcs du maréchal Saint-Cyr
pour avoir la conférencc que nous venons de rapporler.
illarchnnt pcndant les nuils, passanL lcsjournées ou a cheval
011
1ians son cabinet pour donncr des di1·cctions
a
une mulli–
tude de corps dont
il
reccvait a chaque inslanl des nouvclles,
·apoléon déployait dans ces circonstanccs l'uctivilé d'un jcune
homme. Voici pourlant les p1·opres paroles du maréchal Sainl–
Cyr dans ses l\lémoires, tome IV, pa¡;e
156..• " 11
lui restail
" (apres la rclraire de Blucher) la faculté de marcl1cr sur
" Schwarzenberg, qui
s'nvan~it
par
la
rivc droite su r Rum–
.. burg, el de la marche rluquel je p1·ésumc qu'il élail inslruil ,
" comme
il
le fut par le
u.e
corps dans les journécs du 5,
R
du
4,
de celle de l'armée russc. Néanmoins, ap1·c la relraile
" de Blucher, il resta le 5, le 6 et le 7 dans une indécisiou
" complcle; le 7, il fit éeri1·e par le major général au ma1·é–
" chal Gouvion Saint-Cyr une cspcce de leltre de reproches. "
Sans chercher dans celle dcrniére phrasc le scc1·ct du jugc–
ment porté par le maréchal Saint-Cyr , on peut voi1· par
l'exposé que nous avons fait
a
quel poinl est fondée l'asserlion
de ce maréchal. Napoléon marcha Je 5 sur Blucher, revint le 6
rappelé par le maréchal Saint-Cyr lui-mcme, n'employa que
quelques heures a s'assurer si cet appcl étnit fondé, heures
qu'il ne perdit pas puisqu'il ne cessa de donner des ordres, et
consacra le 7
a
se transporler aupres du maréchal.
11
ne per–
dit done pas les 5, 6 el 7 en irrésolutions. La supposilion que
'apoléon devait étre inslruit du prétendu mouvement de
l'urméc autrichienne sur Rumburg, c'esl-ñ-dire sur la rive
droite de l'Elbe, esLtout aussi fausse, ca1· d'une part l'nrmée
en Boheme
i1
celui que Napoléon exécutait en
Lusace, et avaient r epassé l'Elbe derriere le ri–
deau des montagnes, entre Tetschen et Leitme–
ritz. Ce mouvement avait un double but, pre–
mierementde pourvoir aux cas imprévus,
a
celui
notamment d'une opération de Napoléon sur
Prague, secondement de
se
remettre quelque
pcu de
fa
rude secousse essuyée par l'armée
autrichienne dans la bataille de Dresde. On avait
laissé les Russes et les Prussiens sur la grande
route dePéterswaldc, afin d'y rappeler Napoléon
par de fortes démonstrations, de dégager ainsi
l'armée de Silésie contre laquelle
il
marchait, et
de continucr le plan convenu
a
Trachenberg,
de se montrer fort entreprenant
Ia
ou
il
ne
serait pas,
tres~prudent
la ou
il
scrait, jusqu'au
moment
ou
apres l'avoir épuisé en courses inu–
tiles, on trouverait moycn de l'accabler. Wittgen–
stein et Kleist, qui commandaient les Russes et
autrichienne n'exécuta point le mouvement dont
il
s'agit, et
ne revint pns en n1·rie1·e au dela de Telschen, d'autre part
'apoléon aur:iit pu ne pas connullre ce mouvement si en elTet
il uvail cu lieu, car le ridcnu des montagnes et la mauvaise
volonté des Allemamls nous eondamna ient
i1
toul ignorer,
a
ce point que le 7 Napoléon et le maréchal Saint-Cyr étant
réunis
u
1'1ugeln, en ul'l'icre de Pirna, ne savaicnt pas s'ils
ava icnL devaut eux les Aut1·ichiens, les Russes el les Prussiens,
ou sculemcnt les Russes et les Prussiens. Toul cst done inexact,
j ugcmcnls et usserlions, 1lans le passage que nous venons de
ei ler, et nous faisons cetlc remarque non poinl en flatleur
de Napoléon, r óle que nous Jaissons
a
d'autres, ni en détrac–
tcur du maréchal Suinl-Cyr, dont nu contraire nous aimons
fort !'esprit et l'indépendance, mais en historien préoccupé
des diJTicullés de l'hisloirc. Cerles, il scmble qu'un témoin de
ce mé1·i1e, placé si pres des é1•énemcnts, nyant passé
a
cólé de
Napoléon une parlic des journécs pentlant lesquelles
il
pré–
tend que Napoléon ne
fit
ríen, nurait
du
savoir la vérité, et
pourlant on voit eomment, po111· n'avoir pas lu ce que
~apo
léon écrivit pendant ces journécs, il a élé exposé a prononeei·
de faux jugements. C'est une nouvelle preuvc qu'il ne faut pas
se lrnsardcr
a
jugel' les hommcs qui ont figuré tlans les grands
événements sans avoir connu lcurs ordl'es, Jeurs co1·respon–
dances surlout qui contienncnt leurs vrais motifs. El quand
on voil un personnage
c~mmc
le marcchal Sainl-Cyr, qui
uvaiL commandé des armées, qui sa.vait par expérience quelles
sottes déte1·minations les gens mal informés prélent souvent
ñ ceux qui commandcnt, qunnd un tel pcrsonnage commct de
!elles erreurs, on se dil qu'il ne faut prononcer que sur pieces
au lhentiques, et apres avoir vu el compulsé toutes celles qui
exislenl, el qu'on pcut se procurer. Quanl
a
nous, c'est ce que
nous uvons J'ait avcc une al.lenlion scrupuleuse, ne oous per–
mettanl d'allirmer que sur donnécs .ce1·taines, conlrólées les
unes pa1· les aulres, ne'tclierehant
a
cx:.iller ou dénigrer ni
ccux - ci ni ceux-lil, n'élant ni le flattcur ni le détractcur
de Napoléon, devenu pour nous un personnage purement
idéal, ne che!-chanl que la vérilé, la eherchant avcc passion,
et la disant. au profit de Napoléon quand elle luí est favo·
rabie,
it
son détrimen l quand elle le eondnmne. Le vrai, voila
le hu i, le dcvoir, le bonheur méme d'un historien véritable.
Quaml on sail apprécier la vérité, quand on sait combien elje
est hcllc, commode meme, car seule elle explique teut, quand
on le sait, on ne veut, on ne cherche, on n'aime, on ne préscnte
qu'ellc, ou du moins ce qu'on prend pour elle.