144
LIVRE QUARANTE-NEUVIEME.
vues, et ne pas accorder
a
la paix un sacrifice
de plus. Voici done les conditions auxquelles il
s'arreta.
11
consentait bien
a
sacrifier le grand–
duché de Varsovie, comme un essai de Pologne
condamné par l'événement, mais il ne vo ulait
pas, en rendant quelque grandeur
a
Ja Prusse,
la récompenser ·de ce qu'il appelait une trahison.
Il admettait qu'on luí accordat la plus grande
partie du duché de Varsovie, la totalité meme,
si la Russie et l'Autriche consentaient
a
faire ce
sacrifice pour elle ; mais il voulaít la rejeter au
dela de l'Oder, lui óter, pour les attribuer
a
la
Saxe, le Brandebourg, Berlín, Potsdam, c'est–
a-dire son sol natal et sa gloíre, Ja transporter
entre l'Oder et Ja Vístule, la faire ainsi une
puissance polonaise plutót qu'allemande, luí
laisser le choix comrne capitale entre Varsovie
et Krenígsberg, sans luí donoer Dantzig, qui
redeviendrait ville libre. Il voulait
a
sa place,
entre l'Oder et l'Elbe-, mettre la Saxe, et at.tri–
buer
a
celle-ci tout l'espace qui s'étend de
Dresde
a
Berlín. Quant
a
Lubeck, Hambourg,
Breme, c'étaient des parties du territoire con–
stitutionnel de l'Empire, et
iI
ne souffrait pas
meme qu'on en parlat. Quant au t itre de pro–
tecteur de la Confédération du Rhin, c'était,
a
l'entendre, vouloir lui ínfliger une humiliaLion
que de le lui enlever, puisqu'on reconnaissait
que ce n'était qu'un titre absolument vain.
Quant
a
l'Illyrie, il était pret
a
la rendre
a
l'Au–
triche' mais en gardant l'lstrie' c'est -
a-
dire
Trieste, seule chose que l'A utriche désirat
ardemment.
11
prétendait en outre cooserver
plusieurs positions au dela des Alpes Julien nes ,
telles que Villach, Goritz, en un mot tous les
débouchés qui permettaient de descendre en
lllyríe, disant qu'il n'était pas sut' de Venise
s'il n'avait pas ces positions, c'est-a-dire qu'il
n'était pas en s"ureté dans sa maison s'il n'avait
pas les clefs de la rnaison d'autrui. A ces con –
ditions
il
admettait la paix sans se tenir pour
froissé, et consentait
a
rentrer sur le Rhin avec
ses armées. A d'autres conditions il aimait mieux
lutter pendant des années contre l'Europe
entiere. Telles furent les propositions qu i
sortirent des méditations de cette nuit funeste.
Toutefois, comme il n'y avait aucunc chance
que l'Autriche put obtenir de ses futurs alliés
l'abandon de Berlin par la Prusse, afin de com–
poser avec la Saxe une fausse Prusse, sans
passé, saos coosistance, sans réalité, il autorisa
M. de Caulaincourt
a
renonccr
a
ce premier
projet s'il n'était pas accueilli , et
il
consentit
a
laisser
a
Ja Prussc, outre ce qu'on luí accol'–
der.ait du duché de Varsovie, tout ce qu'elle
possédait entre l'Oder et l'Elbe, mais en main–
lenant Dantzig comme ville libre, mais en ·ne
souffrant pas davantagc qu'on parlat de Lubeck,
de Hmnbourg, de Breme, de la Confédération
du Rhin, et enfin en ne restituant l'lllyríe qu'a
conclition de reteni1· l'lstrie , T1·icsle surtout,
parce que, répétait-il toujours, vouloir Trieste
c'était vouloir Venise.
Le matin du
1
O
Napoléon manda aupres de
luí
~'l.
de Bubna, qui formait des vreux sinceres ·
pour la paix, et qui malheureusement se pre–
tait un peu trop aux vues de son puissant inter–
locu~ur
daos l'espérance de l'adoucir.
Ii
lui
fit
connaitre la négocíation secrete entamée avec
M. de Metternich, luí communiqua ses états de
troupes, lui maoifesta ouvertement son pen–
chant
a
faire cette eampagne de Saxe, <lu résul–
tat de laquelle
il
se promettait autant de ¡rnis–
saoce que de gloire, se montra ce qu'il était,
confiant, gai meme, inclinant autant
a
Ja guerrc
qu'a la paix, dísposé par conséquent
a
donner
peu de chose pour que ce füt l'une ou l'autre
qui sortit des négociations de Prague; puis
apres avoir, saos vain étalage, sans forfanterie,
r évélé cette funeste énergie de son ame, il exposa
ses conditions, demandant presque
a
chacune
un assentiment, que
l\f.
de Bubna ne pouvait
pas accorder sans donte, mais qu'il ne refusait
pas assez péremptoirement pour. dissíper toute
espece d'illusion. Sur dcux points notamment,
les villes hanséatiques et la Confédération du
Rhin, M. de Bulma n'ayant jamais trouvé sa
cour aussi absolue que sur le reste,
il
parut
faiblir, et Napoléon se figura que, saos suuir
ces deux conditions qui lui étaient particuliere–
ment insupportables, il pourrait avoir la paix,
sauf peut-etre
a
aban~onner
Trieste.
11
ne déses–
péra done pas d'une paix cooclue sur ces bases,
mais en tout cas il en avaít pris son partí, et
n'avait nul chagrín de se battre encore;
il
se
disait meme qu'il retrouverait dans une conti–
nuation de la guerre, non pas toute sa gloire,
qui étaít restée entiere, mais touLe sa puissance,
toute celle qu'il avait eosevelie sous les ruines
de Moscou.
Apres cet entretien il renvoya M. de Bubna,
le chargeant d'écrire
a
son cabinct dans ce sens,
et manda ses dernieres résolutions
a
M. de
Caulaincourt. Le coúrrier qui les portait ne
pouvait arriver que le
11.
Napoléon ne se
préoccupa guere de ce retard, et attendit la