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LIVRE QUAHANTE-NEUVIEME.
vous envoie, lui disait-il , plus de
pouvofrs
que
de
puisscince,
vous aurez
les rnains liées, mais
les jambes
ei
la bouche libres, pour vous prorne–
ner et cliner.
-
C'est de ce ton que parlait le
ministre de l'Empire
fran~ais,
au moment su–
preme ou se décidait
a
jamais le sort de son
maitre et de sa patrie
!
Apres s'etre livré
a
ces jeux de mots, M. de
Bassano permettait
a
M. de Narbonne de procé–
der
a
l'échange des pouvoirs, mais en tenant au
mode de négocier sur lequel on avait déja insisté.
En conséquencc,
il
devait offrir l'échange des
pouvoirs dans une conférence commune, pu is
cette fo1·malité remplie, proposer la discussion
des malieres -dans des conférences auxquelles
assisleraicnt tous les plénipotentiaires, sous les
yeux du médiateur, qui serait ainsi témoin et
partie des négociations, mais non pas leur inter–
médiaire exclusif. 11 devait enfin proposer la
rédaction de protocoles qui assureraient l'au–
thenticité desconférences . Si toutes ces questions
de forme étaient vidées, ce qui ne pouvait
manquer d'etre long, M. de Narbonne avait
ordre de présenter pour premiere base de négo–
ciation
l'uti possidetis,
c'est-a-dire la conservation
de ce que chacun possédait dans l'état présent
de la guerre, comme si aucun des événements
de
1812
et de
1815
ne s'était accompli.
La seule question de forme devait exiger
beaucoup de temps, car sur cetle question les
coalisés avaient lcur partí prís, et insister a ce
sujet' c'était s'exposer
a
dépenser inutilement
plusicurs mois, quand on n'avait plus que dix–
huit jours. M. de l\fetternich, en effet, en
apprenant que M. de Narhonne avait rq:u ses
pouv,oirs, ne fut que médiocrcment consolé de
l'absence de
i\1.
le
d uc de Vicence, surtout lors–
qu'il sut que M. de Narbonne voulait présenter
et échanger ses pouvoirs dans une réunion
générale des plénipotcntiaires , s'abouchant entre
cux sous la présidence du médialeur, mais ne
s'aslreignant pas a l'accepler pour unique intcr–
médiaire de Jcurs communications. Ce dernier
point, comme on l'a v u, avait acquis beaucoup
d'importanee, depuis que Napoléon avait claire–
ment indiqué, en faisant ehoix de M. de Caulain–
court, la penséc de s'entendre dircctement avec
la Russie aux dépens de l'Autriche. A dater d e
ce moment, la Pru sse et la Russie, pour ne pas
etre
soup~onnées
d'entrel' daos l'intention de
Napoléon , surtout pour n'en pas etre accusées,
affectaicnt de tcnir plus que l'Autriche elle–
meme
a
une fot·rn e de négociation qui faisait
tout passer par l'entremise du médiateur. Aussi
l\U\f:
de Humboldt et d'Anstett, particulierctment
ce dcrnier, s'étaient-ils hátés de remettre leurs
pouvoirs
a
M. de l\Ietternich, et ne voulaient-ils
les remettrc qu'a lui scul.
l\L
de Metternich,
tranquillc désormais sur la négoeiation directe
entre la Russie et la France, dont
il
avait
~oulu
se garantir en venant a Prague, aurait acquiescé
au désir de la France sur cette question de forme,
uniquement pour faire commencer la négocia–
tion; mais cela ne dépendait plus de lui, la
Russie et la Prusse tenant
.ª
ce qu'il
fü.t
rassuré
plus meme qu'il n'avait besoin de l'etre. Aussi
ne manqua- t-il pas de dire a M. de Narbonnc que,
quant
a
lui, il consentirait bien
a
cet échange de
pouvoirs opéré en commun, mais que déjales
plénipotcntiaires prussien et russe lui avaient
remis d irectement leurs pouvoirs, s'étaient ainsi
légitimés, et que eertainernent, ne füt-ce que pal'
amour-propre, ils ne voudraient pas rev.enir sur
ce qu'ils avaient fait. 11 leur proposa en effet de
céder sur ce point, mais il fut refusé, et malgré
les autorisations envoyées
a
1\1.
de Narbonne, la
négociation ne
fit
pas un pas .
l\f.
de Metternich
en montra de nouveau son chagrín
a
l\f.
de
Narbonne, lui répéta que j usqu'au
1
O aout le
mal ne serait pas irréparable, mais que le
10
a
minuit
il
serait sans remede.
Pendant ces inutiles allées et venues, Napoléon .
ne conservant plus aucnne illusion sur la pos–
sibilité d'unc négociation séparée avec la RussieJ
songeait
t.out au plus
a
retenir l'Autriche inactive
quelqucs jours apres le
'17
aout, afin d'avoir le
temps d'accable1· d'abord les Prussicns et les
Russcs, sauf
a
battre ensuite, et
a
lcur tour, le.s
Aut1·ichiens cux-rucmes, s'ils étaient assez peu
clairvoya nts pour se pretcr
n
ce calcul. Quant
a
la paix il n'y songeait guere, ne voulant
a
aucun
prix abandonner les villes hanséatiques réunies
constitutionnellement
a
l'Empire, renoncer au
Litre de protecteur de
Ja
Confédération du Rhin,
porté jusqu'ici avec
upe
sorte d'ostentation, enfin
reconstitucr la Prusse au lcndemain meme de
sa défection. Chacun de ces sacr.ificcs lui coutait
crucllement; pourtant il n'était pas possible,
merue apres les triomphes de Lutzen et de
Baulzen, que la terrible catastrophe de
1812
n'eftt pus quelques conséquences, sinon pour la
France, au moins pour lui, et il fallait savoir se
résigner
a
payer sa fautc par un déplaisir quel
qu'il füt. Il aurait
c.luse trouver beureux apres
de si grands malheurs de n
'et.repuni que dans
son orgueil , et de n'avoir rien
a
sacrifier que la