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LIVRE QUAnAN'l'E-NEUVIEME.
Apres tout, Napoléon, qui aurait du dans ces
funestes résultats s'attribuer la part la plus
grande, car avec son génie si profond, sa con–
naissance si parfaite des choses,
il
était plus que
personne capable de tout prévoir, et avcc sa
puissance si obéie capable de tout prévenir,
Napoléon s'en prit
it
tout le monde au lieu de
s'en prendre
a
lui-meme, et
a
Joseph et
a
Jour–
dan plus volonfiers qu'a qui que ce
füt.
N'ayant
f>U
suivre dans aucun de leurs détails
les événcmcnt:s d'Espagne, absorhé qu'il était
par Ja gucrre de Saxe qu'il dirigeait en personnc ,
croyant sur cet ohjet ce que luí écriv11it le minis._–
tre Clarke, qui, tandis qu'il adressait a Joseph
les lettres les plus affectueuses, faisait parvenir
a
Drcsde les rapports les plus défavorables,
il
avait
un double motif d'irritation, daos les résultats
d'abord qui ne pouvaient manquer d'etre déplo–
rables, et dans les fau't-es qui révoltaient par leur
évidence son grand sens militaire. Les résultats
c'étaient l'Espagne perdue, la frontiere du midi
menacée, le moyen le plus puissant <le négocia–
tion aupres de l'Angleterre annulé, puisque dans
l'état des choscs ce n'était plus rien que de lui
céder l'Espagnc; c'étaient en outre des saerifices
nouveaux a ajouter
a
ceux que demandait l'Au–
triche, des lors
la
paix plus difficile que jamais,
enfin une confiance, une exaltation nouvelles
inspirées
a
tous ceux qui croyaient le momcnt
venu d'accabler la France. Les fautes, c'étaient
non-seulcment celles que nous venons d'énumé–
rer, et qui n'étaient que trop réelles , mais
toutes celles que le ministre Clarke pretait gra–
tuitement au malbeureux Joseph et au plus
malbeureux Jourdan, son chef d'état-m3jor. Le
ministre de la guerre n'avait pas dit en effet que
les ordres de Napoléon, qui prescrivaient de
détruire les bandes et de menacér le Portugal,
ordres déplorablement réi térés par les bureaux
de París , avaient été signalés par Jourdan
comme une cause inévitable de désastre, que la
résistance des administralions ele chaque armée
a
l'ordonnateur en chef avai t encore été dénon–
cée comme un autrc inconvénicnt grave qui em–
pécherait que ríen ne füt préparé
a
la r epr ise
des opérations. Ce meme min istre n'avait pas <lit
que les Anglais étaient pres de 100 mille, et les
Fr an\!ais tout au plus 50 mille.
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présentait au
·ontrairc des calculs qu'auraient a peine accucillis
les gazeltes les moins informées.
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ne comp-
tait dans l'armée de lord Wellington que les
Anglais, les évaluait
a
40 ou 45 miHe, négligeait
les Portugais, devenus presque
l~
égaux des
Anglais, les Espagnols, excellents dans les mon–
tagnes, et attribuait
a
l'armée fran\!aise non pas
ce qu'elle avait cu sur le champ de bataille, mais
ce qu'elle aurait pu avoir, si les ordres de París
ne l'avaient dispersée, et luí supposait de 80
a
90
mille hommes contre 45 mille.
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avait en effet
le courage, apres le désastre de Vittoria, d'écrirc
a
Joscph qu'il nurait du avoir 90 mille hommcs
contre
45
mille, et que c'était chose bien éton–
nante qu'il se fut laissé battre avec une telle
supériorité de force numérique. Ce fait seul
donne une idée de ce qui pouvait se passer
a
coté rncme de Napoléon, lorsqu'il n'y regardait
point de ses propres yeux, et qu'il se laissait
informcr par des ministres courtisans, ne lui di–
sant que ce qu'il avait plaisir
a
entendre.
On comprend que Napoléon, en considérant
d'une part les r ésultats, de l'autre les fa utes vraies
et les fautes imaginaires imputées
a
Joseph et au
maréchal Jourdan, qui déja lui déplaisaient fort,
et avaient auprcs de lui un redoutahle accusa–
teur dans le maréchal Soult présent
a
Dresde, on
comprend que Napoléon dút etre fort irrité.
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avait appris d'une maniere sommaire les événe–
ments d'Espagne au moment de partir de Dresde
pour exécuter les courses militaires dont nous
avons déja parlé.
ll
apprit successivement
a
Torgau,
a
Wittenberg,
a
Magdebourg le détail
de ces événements, toujours par les rapports du
ministre Clarke. Aussi son emportement fut-il
extreme. Ce fut pour lui une occasion de se
déchainer contre
J
oscph et contre tous ses freres.
L'abdication du roi Louis, la défection immi–
ncntc de l\Iurat qui s'annorn;ait déja clairement,
l'éclat que Jéróme avait fait l'année précédente ·
en qui ttant l'armée' lui revinrent
a
!'esprit, et
luí arracherent les paroles les plus ameres. Le
moment était venu en effet d'apercevoir quelle
faute
il
avait commise en voulant r enverser
toutcs les dy nasties afin de leur substituer la
sienne ! l\fais, pour etre juste, il faut r econnaitrc
que son ambition avait, bien plus que celle de
ses frcres, contribué
a
cette politique désordon–
néc , et qu'apres leur avoir donné des trones ou
des armées
li
commander, il n'avait rien omis
pour rendre leur tache encore plus difficilc
qu'elle ne l'était naturellement.
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avait eífeetí–
vement exigé d'eux une abnégation des intérets
de leurs sujets, un talent de tout faire avec ríen ,
ou presque rien, qu'il était inhumain d'exiger de
leur part, et qui devait amener plus d'un scan–
dale de famille, comme l'abdication du roí de
Hollande. A l'égard de Joseph notamment, apres