DRESDE ET VITTORIA. -
JUIN
1815.
!09
11 n'était pas
a
présumer que lord Wellington
nous laissat repasser les Pyrénécs sans nous
Iivrer bataille, car une fois parvenus
a
la grande
chaine, adossés
a
ses hauteurs, embusqués dans
ses vallées, nous n'élions plus abordables, et con–
centrés d'ailleurs avant d'avoir été atteints, nous
pouvions tomber sur l'armée anglaise avec 80 milie
hommes et l'aceabler. Lord Wellington avnil
déja commis une faule asscz grave en nous
permettant d'aller si loin sans nous joindrc, et en
nous donnant ainsi tant de chan ces de rallier le
général Clausel, mais on ne pouvait pas sup–
poser qu'il la commettrait plus looglemps. On
devait done s'altendre
a
une bataille prochaine,
a
moins qu'on ne quittat tout de suite Vittoria
pour franchir le col de Salinas, et descendre sur
la Bidassoa. Mais ce partí était a peu pres impos–
sible. Repasser les Pyrénées sans combat, c'Úait
fuir honteusement devant ceux que, quelqu esmois
auparavant, on avait mis en fuite pres de Sala–
manque; c'était abandonncr le général Clausel
aux plus grands périls, car on le laissait seul sur
Je revers des Pyrénées; c'était
y
·laisser aussi,
moins immédiatement compromis, mais compro–
mis cependant, le maréchal Suchet avec lout ce
qu'il avait de forces répandues depuis Saragosse
jusqu'a Alicante. Ainsi l'honneur militaire, Je
salut du général Clausel, la sureté du maréchal
Suchet, tout défendait de repasser les Pyrénées,
et
il
fallait combattre a leur pied, c'est-a-dirc
dans le hassin de Vitloria, ou devait nous rejoin–
dre le général Clausel. Si ce général arrivait
a
temps, on pouvait etre 70 mille comballants au
moins, et plus encore, si le général Foy, qui
était sur le rcvers entre Salinas et Tolosa, avcc
une divísion de l'arméc de Portugal, arrivait
également. On avait done toute chance de battre
les Anglais, qui, bien que formant avcc les Por–
tugais et les Espagnols une masse de 90 mille
hommes, n'étaient que 47 ou 48 mille soldats de
leur nation. Pourtant
il
se pouvait qu'on ne füt
pas rejoint sur-le-champ par le général Clausel,
et qu'un ou deux jours se passassent
a
l'attendre.
11 fallait, dans ce cas, se mettre en mesure de
tenir tete aux Anglais jusqu'a l'arrivée du géné–
ral Clausel, et pour cela reconnaitre soigneuse–
ment le terrain et prendre toutes ses précautions
1
Dans les Mémoires du maréchal Jourdan, imprim¿s ré–
cemmc11L avec ceux du roi Joseph, on trouve des cliiffres un
peu différents; mais le maréchal, quoique toujours extremc–
ment véridique, a trop réduit les forces des Franc;:ais pour at–
ténuer la défaite de la hataille de Vittoria. Apres des calculs
qu'il serait trop long dé 1·eproduire,
11011.s
sommes arril'é ll
pour le bien défcndrc. On nurait eu hcsoin ici
d'unc vigilance qui malheureusemcnt avait tou–
jours manqué dans la direction de cctte ar–
mée.
Des six divisions de l'armée de Portugal on
en avait lrois, la division l\faucune qui n'avait
pas quillé l'nrmée, et les divisions Sarrut et
Lamarliniere qui avaient r ejoint en route. Il
s'en trouvait une quatrieme, celle d·u général
Foy, au revers des Pyrénées. Les deux autres,
cellcs des généraux Barbot et Taupin, étaient
cncore aupres du général Clausel, qui les amcnait
renforcées de deux divistons de l'arméc du Nord.
Avcc les divisions de l'armée de Portugal qu'Ón
avait recouvrées, avec les armées du Centre et
d'Andalousic, on aurnit complé environ 60 mille
hommes, snns les perles de Ja retraite. l\Jais
bien qu'on n'eut pas livré de combats sérieux,
on avait perdu 5
a
4 mille hommes par maladie,
fa tigue, dispersion.
Jl
en restait 06
a
57 mille,
dont il fall ait distrair_§ une partie pour escorter
Je convoi qu'on ne pouvait pas garder
a
Vit.toria,
et on dcvait ainsi se trouvcr réduit
a o4
mille
hommes environ
1 •
C'était laisscr bien des chan–
ces
a
la mauvaise fortune que de combattre avec
une pareille infériorité numérique. l\lais comme
on n'avait pas le choix, et qu'oy pouvait etre
assailli p·ar l'ennemi avant l'arrivée du général
Clausel,
il
fallait se servir des localités le mieux
possible pour compenser l'infériorité du nombre,
et prendrc ses mesures, sinon le 19 au soir, au
moins le 20 au matin, car
il
était
a
présumer
que les Anglais, parvenus aux Pyrénées en meme
tcmps que nous, ne nous laisseraient pas beau–
coup de temps pour nous
y
asseoir. Dans la
soirée meme du 19 on aurait du se débarrasser
de l'immense convoi qui comprenait les hlessés,
les expatriés, le rnatériel, et se composait de plus
de mille voitures, car c'ét:iit une horrible gene
s'il fallait ccimbattre, et un désastre presque cer–
tain s'il fallait se retirer. En l'expédiant le soir
meme ' et en l'escorlant seulement jusqu'au
revers de la montagne de Salinas, ou l'on dcvait
rencontrer le général Foy,
il
était possible de
ramener
a
tcmps les troupes qui l'auraient accom–
pagné. Apres s'etre délivré du convoi,
il
fallait
se bien établir dans la plaine de Vittoria. Les
croire plus exacls, <lu moins plus rnpprochés de la vérilé, les
chiffrcs que nons préscntons ici. Du reste la différence n'est
que de 4
a
5 mille hommes. Nous devons ajoute1· que lema–
réchal .Jourdan a tont ll fait raison conll·e les chiffres allégués
par le ministre de la guerre; lesquels sont entierement faux.