soo
L'UNIVERS.
bizarre et effrayante que présenta la
vi lle de Guatemala. Une masse énorme
de barbares
lit
irrupl"ion dans les rues
<'.t sur les places publiques ; leurs coif–
fures, surmontées de rameaux ver–
doyants ,
offrai~nt
de loin
l'aspect
d'Üne foret rnouvante; ils étaient ar–
més de fusils rouillés, de vieux pisto–
lets, de mauvaises arquebuses, dont
quelques-unes dépourvues de platines,
de batons taill és en forme de mous–
quet et garnis de batteries en plomb;
ele mass ues, de
machetes,
de couteaux
füés au bout de lonp:ues perches. Au
milieu de cette multitude, on aperce–
vait deux ou trois mille femmes mu–
nies de sacs et de paniers destinés
a
emporter le butin espéré. Un grand
nombre de ces malheureux, qui jus–
que-la n'avaient jamais quitté leur vil–
lage, restaient stupéfaits
a
la vue des
églises et des autres édilices de la ca–
p1tale. Quant
a
Canera, leur di gne
chef, on le distinguait sur un cheval
de haute encolure, coiffé d'un chapeau
couvert de branchagrs, et vetu de mor–
ceaux d'etoffe de coton dégot.ltants de
saleté, ·et grote quement 'biga 1:rés de
portraits de saiuts. Aupres de lui s'a–
vancait le traitre Baru11dia, le chef de
l'opjJosition, le Catilina de cette ré–
volte fatale. Cette foule furieuse en–
vahit bientot la place en criant: " Vive
la religion, mort aux étrangers
!
"Au
cqucher du soleil, la vil le retentit d'un
chant formidable qui répandit la ter–
rcur parmi les habitants. C'était une
hymne
a
la Vierse entonnée par dix
mille poitrines v1goureuses. C.srrera
entra da ns la cathédrale; les Incliens,
muet~
d'étonnement
it
l'aspect de la
magn11icence du temple divin, se pres–
serent autour de tui, et suspendirent
le long de l'autel les grossieres images
~e
1eu rs saints. l\Jonreal, un des plus
mfames acolytes de Carrera, pénétra
dans la ma1son du colonel Prem
s'empara d'un uniforme couvert
d~
riches broderies en or, et s'empressa
de l'offrir
a
son patron. Carrera s'en
revetit aussitilt, tout en gardant sur
sa tete son chapeau de patlle, orné de
fe,u,ill.ages, et ne se doutant pas qu·¡¡
oftra1t en ce mornent la caricature la
plus burlesque qu'on puisse irnaginer.
On raconte que quelqu'un lui pré–
senta une montre, et que !' honorable
chef de bandits ne sut pas s'en servir.
Depuis l'invasion de Rome par les
Vanrlales, aucune ville civilisée ne
fut
visitée par une telle multitude de bar–
bares.
Comme il arrive presque toujours
en pareille circonstance, le vainqueur,
quelque abject et ignoble qu'il fOt,
trouva des complirnenteurs ofJiciels
dans la ville sournise
a
son bon plai–
sir. JJes autorités vinrent déposer
leurs hornmages
a
ses pieds, et tui
demander ses conditions. Outre la
destitution de Galvez, il exigea tout
l'argent et toutes
le~
armes que le
gouvernement pourra1t se procurer.
Les officiers municipaux se retirerent
pour délibérer.
Cependant ('alarme était au com–
ble dans la ca pi tale. Les habitants,
s'attendant
a
toute minute
a
voir don–
ner le signa( du mas acre et du pil–
lage , s'étaient baniradés dans leurs
maisons, qui, construites en pierres
et garnies de portes épai ses, pou–
vaient résister aux pr1m1i eres tentati–
ves des assaillants. Néanmoins, des
atrocités révoltantes furent commises
sur plusieurs points de la ville, triste
prélude des malheurs dont les vaincus
se sentaient menacés. Le vice-prési–
dent de la république fut égorgé; le
député Flores vit sa demeure saccagée,
sa vieille mere foulée aux pieds des
sauvages et tuée
a
coups rle crosse,
µne de ses filies dangereusement bles–
sée au bras par un <louble coup de
feu. Les plus riches négociants étran–
gers furent attaqués
a
plusieurs repri–
ses da ns leur domicile; mais, grace
aux grillages en fer qui protégeaient
leurs fenetres et a l'épaisseur des por–
tes donnant sur la rue, ils en furent
quittes pour la peur.
Les prétres seuls pouvaient modé–
rer les élans fori eux de ces hommes
altérés de sang et avides de· pillage.
lis parcouraient les rues tenant le cru–
cifix élevé, et suppliant les Indieas,
au
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de la Vierge et des saints, d'é–
pargne1· la vie des habi tants et lcurs