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670

GOU

peta de meme réduire les principes de nos plaifirs en ma–

tiere de

goGt,

a un petit nombre d'obfervotions incon–

tefiables lur notrc maniere de feotir. C'efi JUfque-la que

le philofophe remonte, mais e' efi-la qu'il s'arrc!te,

&

d'nü par une pente na¡urelle il dcfcend enfu1te

au~

con–

féquences.

La julleife de l'efprit, déjl fi

rare par elle·meme, ne

fuffit pas dans ceue analyfe ; ce n'efi pas memc encere

aflez d'une ame délicate

&

fenlible; il faut de plus, s'il

ell

permis de s'expnmer de la tone , ne manquer d'au–

cun des fens qui compofeot le

gollt.

Daos un ouvra–

ge de Poétie, par exemple , on doit parler tantót

a

l'imagination' !antót au fentimeot' tantót

a

la raifon'

xnais toO¡ours

a

l'orgooe; les vers font une efpeco de

chaot fur lequel l'oreillc cfi

fi

inexorable, que la rai–

fon méme ell quelquefois contrainte de luí faire de le–

gers facrifices . Ainfi un philofophe dénué d'organe, eOt–

il d'ailleurs tout le refie, Cera un mauvais juge en ma–

riere de Poéfie.

11

prétendra que le plailir qu'elle nous

procure efi un plaifir d'opinion; qu'il faut fe conteo ter,

daos quelque ouvrage que ce foit, de parler

it

l'efprit

&

a

l'ame ; il Jetlera

m~me

par des raifonnemens ca–

ptieux un ridiculc apparent fur

le

foin d'arranger des

mots pour le plaifir de l'oreille. C'efi ainfi qu'un phy–

ficien réduit au feul fentiment du

toucher, prétendroit

que les objets éloignés ne peuvent agir fur nos orga–

nes,

&

le prouveroit par des fophifmes auxquels on

ne pourroit répoudre qu'en luí rendant l'oüie

&

la víle.

Notre philofophe croira n'avoir ríen óté

a

un ouvra–

ge de Poélie, en confervant tous les termes

&

en les

uaofpofant pour détruire la mefure,

&

il amibuera

it

un

préjugé doot il efi efclave lui-méme fans le vouloir,

l'efpece de

laogue~

que l'ouvrage luí paroit avoir con–

rraétée par

ce

oouvel état.

11

ne s'appercevra pas qu'eo

rompant la mefure,

&

en renverfant les mots,

il

a dé–

truit l'h1rmonie qui réfulwit de leur arrangernent

&

de

Jeur liaifon. Q ue diroit on d'un rnuficien qui pour prou–

ver que le plailir de la mélodie efi un plailir d'opinion,

déoatureroit un air fort agréable en tranfpofant au ha–

fard

les foos doot il efi compofé

?

Ce n'efi pas ainfi que, le vrai philofophe jugera du •

plaifir que doone la Poélie.,.

11

n'accordera fur ce poinr

ni tout

a

la nature ni

tour

a

l'opinion; il reconnoi1ra

que comme la mufique a un effet général fur tous les

peu ples, quoique la mulique d<S uns ne plaif!Vpas tou –

jours aux autres. de meme tous

les peuples' font feo–

tibies

a

l'harmonie poétique' quoique

leur poéfie foil

fort différeote. C'efi en enminant avec attention cette

d!lte'reoce' qu'il parvieodra

a

déterminer Jufqu'a quel

poin t

l'habitude iofiue fur le plaifir que nous foot la

Poéfie

&

la

M

ufique, ce que l'habitude a1oílre de réel

3

ce plailir,

&

ce que l'opinioo peut auffi y JOÍndre

d'illufoire . Car il ne confoodra point le plaifir d'habi–

tude avec celui qui efi puremeot arbitraire

&

d'opinion ;

difiioétion qu'on n'a peut-etre pas allá. faite en cette

xnatiere ,

&

que néaomoins l'expérieoce jouroaliere reod

incootefiable. JI efi des plailirs qui des le premier mo–

xnent s'emparent de oous; il en

ell

d'autres qui n'ayanr

d'abord éprouvé de notrc part que de l'éloignernent ou

de l'indiffé<ence, atteodeot pour fe faire fentir, que !'a–

me ait été fuffifammeot ébranlée par leur aét;oo,

&

n'en font alors que plus vifs. Combieo de fois n'ell-il

pas arrivé qu'uoe mulique qui nous avoit d'abord dé–

plu' OOU5 a ravis enfuite, lorfque l'oreille

a

force de

!'encendre, efi parveoue

i

en démeler wme l'expreffion

&

la 6nerre? Les plailirs que l'habitude fait goOter peu–

vent done n'étre pas arbitraires,

&

rnémc avoir eu d'a–

bord

le pré1ugé contre eu1 .

C'cll ainfi qu'un

liuérateur philofophe confcrvera

a

l'oreille [OU5

fes droits. Mais en meme tems

&

c'efi–

li

fur-tOIH ce qui le difi in¡;ue, il ne eroira pas que le

foin de fatisfaire l'orgone difpenfe de l'obligation enco·

re plus importante de penfer. Cornme

i1

fait que c'efi

la premiere loi du

(}y

le. d' elle a l'uniifon du fujet.

ríen ne

luí infpire plus de dégoílr que des idées com–

munes exprimée< avec recherche,

&

parées du vaio co–

loris de la verfificatioo; une profe méJiocre

&

natu–

rcllc lui parolt préférable

a

la poéfie qui au mérite de

l'harmooie oe jnint point celui des chofes:·c'efi paree

qu'il cll fenfible nux beautés d'image, qu'il n'en vcut

que de neuves

&

de frappantes; encore leur préfere-t–

il

le< beauté; de fentimeot,

&

fur-tout celles qui ont

l'av;tota~e

d'erprimer d'uoe maniere noble

&

rouchante

des

v¿riLés utile5 3UX

hum

me).

11

ne fuffir pas

a

un philnfuphe d'avoir tous les feos

qui compoleot le

goüt,

il efi encore nécelfaire que l'e–

Jmcicc

de

e~

feos o'ait pas été trop concentré

d~ns

GOU

un feul objet. Malebraoche ne pouvoit !iré fans ennui

I<S meilleurs vers, quoiqu'on remarque dans fon fiylc

les graodes qualités du poete, l'imaginuion, le

fent~meut

&

l'harmonie · mais

trop exclunvemcnt appil–

qué

a.'

ce qui efi l'ob;et de la raifoo, ou plOtót du rai–

foonemeot' fon

imagination fe bornoit

a.

t~fanter

des

hypothHes philofophiques,

&

le degré de lem1meo! dom

il étoit pourvu,

a

les embrarrer avec ardeur comme

des vérités. Quelque harmonieufe que fo11

fa

~rufe

.'

l'harmooie poétique éroit

fans charmes pour lut ,

f<llt

qu' en elfct la fentibilité de

fon oreillc fOr bornée

a

l'harmonie de la profe , foit qu'un ralent naturel luí fit

produire de la profe harmonieufe fans qu'il ;'en appcr·

90t, comme fon imagioatioo le fervoir fans qu'il >ert

dout1t, ou comrne un infirumeot rend des accords fans

le favoir.

Ce n'efi pas feulement

~

quelque défaut de fenli bi–

lité daos l'ame ou daus l'organc, qu'on doit auribuer

les faux 1ugernens en matiere de

goüt.

Le plailir que

oous fait éprouver un ouvrage de l'art, vient ou peut

venir de plulieurs fources différentes; l'aoalyfe philofo–

phique confifie done

a

favoir les difiinguer

&

les fépa–

rer toutes ' afio de rapporter

a

chacuoe ce qui luí ap–

partient,

&

de ne pa6 amibuer notre plailir

a

une cau–

fe qui ne l'air poiot produit . C'efi fans doute fur

ks

ouvrages qui ont réuffi en chaque genre, que les

re–

gles doivent erre faites ; mais ce n' efi point d' aprc;

le réfultat général du plaifir que ces ouvrages nous or· t

donné : c'efi d'apres une difcuffion réfl¿chie qui nous

fafle difcerner les endroits dont nous avoos été

vrr,;.

ment afteétés, d'avec ceux qui n'étoient defiinés q,u'i

fervir d'ombre

00

de repos , d'avec ceux meme

nii

l'auteur s'efi négligé fans

le vouloir. Faute de fuivre

cette méthode ,

1'

imagioation échaufl'ée par quelqu•s

beautés du premier ordre daos un ouvrage monfirueux

d'ailleurs, fermera bien-ten les yeux fur les endroits fui–

bies • transformen les défauts meme en beaurés ,

&

nous conduira par degrés

a

cet cnthoufiafme froid

&

fiupide qUÍ ne fent ríen

a

force d'admirer !OUt; efpece de

paralyfie de l'efp6t, qui nous rend

indignes

&

incap~bles de goOrer les beautés réelles. Ainli fur une

im–

preffion confofe

&

machioale, ou bien on établira de

faux príncipes de

goltt,

ou, ce qui n'en pas moios dan–

gereux, on érigera en príncipe ce qui efi en foi purc–

men t arbitraire; on retrécira les bornes de l'art,

&

on

prefcrira des limites

3

nos plaifirs , paree qu' on n'en

voudra que u'une fe ule efpece

&

daos uo feul genre;

oo tracera auwur du talent un cercle étroit dont on ne

luí permettra pas de fortir.

C'efi

3

la Philofophie

a

nous déli vrer de ces líen' ;

mais elle ne fauroit mettre trop de choix dans

les ar–

mes dont elle fe

fert pour les brífer. Feu

M.

de la

Motte a avancé que les vers n'étoient pas efleotiels aux

picces de théatre : pour prouver cette opinion, tri: -foO–

tenable en elle-mi' me, il a écrit coorre la Poélie,

&

par-13 il n'a fait que ouire

a

fa caule; il ne luí re

!lo;[

plus qu'a écrire cootre la Mulique, pour prouver

qn~

le chant n'efi pns erreotiel

a

la tragédie . Saos

COOI–

ba!lre le pré¡ugé par des paradoxes,

il

avoit, ce me

femble, un moyen plus court de l'attaqucr; c'étoit d é·

crire Ines de Cafiro en pro fe ;

1'

eureme

iotér~t

d•t

fujet perrnettoit de rifquer l'innovation,

&

peut-étre an–

rions·nous un gcnre de plus . Ma1s !'envíe de

fe di–

fi ioguer fronde les opinions daos la théorie,

&

l'amour·

propre qui craint d'échoüer les méoage daos la prari–

que. L es Philofophes font le contraire des legislateurs;

cenx-ci fe difpenfeot des lois qu'ils impofeot, ceux-la

fe foOmettent dans leurs ouvrages aux lois qu'ils con–

damneot daos leurs préfaces .

Les deux caufes d'erreur dont nous avoos parlé ju í–

qu'ici, le défaot de fcolibilité d'une pan,

&

de l'au–

tre trop peu d'atteotion a dérneler les príncipes de no–

trO plaifir, feront la fource érernelle de la d1fpute tant

de fois reoouvellée fur le mérite des ancieos :

leurs

partifaos trop eothoufiafies fon t trop de graces

a

l'eo–

femble en fa veur des détails; leurs ad verlaires trop rai–

fonnours ne reodeot pas alfe?. de JUfiice aux détails

par les vices qu'ils remarqueot daos l'enfemble ,

'

11

ell une autre efpece d'erreur dont le philufophe doit

avoir plus d'atteotion

:l

fe garantir, paree qu'il luí cll

plus aifé d' y tomber; elle coofifie

~

tranfporter aux

objets du

goút

des

prioci~es

vrais en eux-mC::rnes, ma ·•

qui n'ont point d'applicauon

ii

ces objets. On connoit

lo

célebre

'l.".'il

mo,rút

d~

vieil Horace,

(,¡

on a bl1-

mé avee

rn~loo

le

'ers f01vant: cependant une méta·

phyli~ue

cornmune ne manqueroit pos de fopbifAleS poor

le

JUfiitier. Ce fecond vers , dira·t·on , efi oéceflairo

poar