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GOU
peta de meme réduire les principes de nos plaifirs en ma–
tiere de
goGt,
a un petit nombre d'obfervotions incon–
tefiables lur notrc maniere de feotir. C'efi JUfque-la que
le philofophe remonte, mais e' efi-la qu'il s'arrc!te,
&
d'nü par une pente na¡urelle il dcfcend enfu1te
au~
con–
féquences.
La julleife de l'efprit, déjl fi
rare par elle·meme, ne
fuffit pas dans ceue analyfe ; ce n'efi pas memc encere
aflez d'une ame délicate
&
fenlible; il faut de plus, s'il
ell
permis de s'expnmer de la tone , ne manquer d'au–
cun des fens qui compofeot le
gollt.
Daos un ouvra–
ge de Poétie, par exemple , on doit parler tantót
a
l'imagination' !antót au fentimeot' tantót
a
la raifon'
xnais toO¡ours
a
l'orgooe; les vers font une efpeco de
chaot fur lequel l'oreillc cfi
fi
inexorable, que la rai–
fon méme ell quelquefois contrainte de luí faire de le–
gers facrifices . Ainfi un philofophe dénué d'organe, eOt–
il d'ailleurs tout le refie, Cera un mauvais juge en ma–
riere de Poéfie.
11
prétendra que le plailir qu'elle nous
procure efi un plaifir d'opinion; qu'il faut fe conteo ter,
daos quelque ouvrage que ce foit, de parler
it
l'efprit
&
a
l'ame ; il Jetlera
m~me
par des raifonnemens ca–
ptieux un ridiculc apparent fur
le
foin d'arranger des
mots pour le plaifir de l'oreille. C'efi ainfi qu'un phy–
ficien réduit au feul fentiment du
toucher, prétendroit
que les objets éloignés ne peuvent agir fur nos orga–
nes,
&
le prouveroit par des fophifmes auxquels on
ne pourroit répoudre qu'en luí rendant l'oüie
&
la víle.
Notre philofophe croira n'avoir ríen óté
a
un ouvra–
ge de Poélie, en confervant tous les termes
&
en les
uaofpofant pour détruire la mefure,
&
il amibuera
it
un
préjugé doot il efi efclave lui-méme fans le vouloir,
l'efpece de
laogue~
que l'ouvrage luí paroit avoir con–
rraétée par
ce
oouvel état.
11
ne s'appercevra pas qu'eo
rompant la mefure,
&
en renverfant les mots,
il
a dé–
truit l'h1rmonie qui réfulwit de leur arrangernent
&
de
Jeur liaifon. Q ue diroit on d'un rnuficien qui pour prou–
ver que le plailir de la mélodie efi un plailir d'opinion,
déoatureroit un air fort agréable en tranfpofant au ha–
fard
les foos doot il efi compofé
?
Ce n'efi pas ainfi que, le vrai philofophe jugera du •
plaifir que doone la Poélie.,.
11
n'accordera fur ce poinr
ni tout
a
la nature ni
tour
a
l'opinion; il reconnoi1ra
que comme la mufique a un effet général fur tous les
peu ples, quoique la mulique d<S uns ne plaif!Vpas tou –
jours aux autres. de meme tous
les peuples' font feo–
tibies
a
l'harmonie poétique' quoique
leur poéfie foil
fort différeote. C'efi en enminant avec attention cette
d!lte'reoce' qu'il parvieodra
a
déterminer Jufqu'a quel
poin t
l'habitude iofiue fur le plaifir que nous foot la
Poéfie
&
la
M
ufique, ce que l'habitude a1oílre de réel
3
ce plailir,
&
ce que l'opinioo peut auffi y JOÍndre
d'illufoire . Car il ne confoodra point le plaifir d'habi–
tude avec celui qui efi puremeot arbitraire
&
d'opinion ;
difiioétion qu'on n'a peut-etre pas allá. faite en cette
xnatiere ,
&
que néaomoins l'expérieoce jouroaliere reod
incootefiable. JI efi des plailirs qui des le premier mo–
xnent s'emparent de oous; il en
ell
d'autres qui n'ayanr
d'abord éprouvé de notrc part que de l'éloignernent ou
de l'indiffé<ence, atteodeot pour fe faire fentir, que !'a–
me ait été fuffifammeot ébranlée par leur aét;oo,
&
n'en font alors que plus vifs. Combieo de fois n'ell-il
pas arrivé qu'uoe mulique qui nous avoit d'abord dé–
plu' OOU5 a ravis enfuite, lorfque l'oreille
a
force de
!'encendre, efi parveoue
i
en démeler wme l'expreffion
&
la 6nerre? Les plailirs que l'habitude fait goOter peu–
vent done n'étre pas arbitraires,
&
rnémc avoir eu d'a–
bord
le pré1ugé contre eu1 .
C'cll ainfi qu'un
liuérateur philofophe confcrvera
a
l'oreille [OU5
fes droits. Mais en meme tems
&
c'efi–
li
fur-tOIH ce qui le difi in¡;ue, il ne eroira pas que le
foin de fatisfaire l'orgone difpenfe de l'obligation enco·
re plus importante de penfer. Cornme
i1
fait que c'efi
la premiere loi du
(}y
le. d' elle a l'uniifon du fujet.
ríen ne
luí infpire plus de dégoílr que des idées com–
munes exprimée< avec recherche,
&
parées du vaio co–
loris de la verfificatioo; une profe méJiocre
&
natu–
rcllc lui parolt préférable
a
la poéfie qui au mérite de
l'harmooie oe jnint point celui des chofes:·c'efi paree
qu'il cll fenfible nux beautés d'image, qu'il n'en vcut
que de neuves
&
de frappantes; encore leur préfere-t–
il
le< beauté; de fentimeot,
&
fur-tout celles qui ont
l'av;tota~e
d'erprimer d'uoe maniere noble
&
rouchante
des
v¿riLés utile5 3UX
hum
me).
11
ne fuffir pas
a
un philnfuphe d'avoir tous les feos
qui compoleot le
goüt,
il efi encore nécelfaire que l'e–
Jmcicc
de
e~
feos o'ait pas été trop concentré
d~ns
GOU
un feul objet. Malebraoche ne pouvoit !iré fans ennui
I<S meilleurs vers, quoiqu'on remarque dans fon fiylc
les graodes qualités du poete, l'imaginuion, le
fent~meut
&
l'harmonie · mais
trop exclunvemcnt appil–
qué
a.'
ce qui efi l'ob;et de la raifoo, ou plOtót du rai–
foonemeot' fon
imagination fe bornoit
a.
t~fanter
des
hypothHes philofophiques,
&
le degré de lem1meo! dom
il étoit pourvu,
a
les embrarrer avec ardeur comme
des vérités. Quelque harmonieufe que fo11
fa
~rufe
.'
l'harmooie poétique éroit
fans charmes pour lut ,
f<llt
qu' en elfct la fentibilité de
fon oreillc fOr bornée
a
l'harmonie de la profe , foit qu'un ralent naturel luí fit
produire de la profe harmonieufe fans qu'il ;'en appcr·
90t, comme fon imagioatioo le fervoir fans qu'il >ert
dout1t, ou comrne un infirumeot rend des accords fans
le favoir.
Ce n'efi pas feulement
~
quelque défaut de fenli bi–
lité daos l'ame ou daus l'organc, qu'on doit auribuer
les faux 1ugernens en matiere de
goüt.
Le plailir que
oous fait éprouver un ouvrage de l'art, vient ou peut
venir de plulieurs fources différentes; l'aoalyfe philofo–
phique confifie done
a
favoir les difiinguer
&
les fépa–
rer toutes ' afio de rapporter
a
chacuoe ce qui luí ap–
partient,
&
de ne pa6 amibuer notre plailir
a
une cau–
fe qui ne l'air poiot produit . C'efi fans doute fur
ks
ouvrages qui ont réuffi en chaque genre, que les
re–
gles doivent erre faites ; mais ce n' efi point d' aprc;
le réfultat général du plaifir que ces ouvrages nous or· t
donné : c'efi d'apres une difcuffion réfl¿chie qui nous
fafle difcerner les endroits dont nous avoos été
vrr,;.
ment afteétés, d'avec ceux qui n'étoient defiinés q,u'i
fervir d'ombre
00
de repos , d'avec ceux meme
nii
l'auteur s'efi négligé fans
le vouloir. Faute de fuivre
cette méthode ,
1'
imagioation échaufl'ée par quelqu•s
beautés du premier ordre daos un ouvrage monfirueux
d'ailleurs, fermera bien-ten les yeux fur les endroits fui–
bies • transformen les défauts meme en beaurés ,
&
nous conduira par degrés
a
cet cnthoufiafme froid
&
fiupide qUÍ ne fent ríen
a
force d'admirer !OUt; efpece de
paralyfie de l'efp6t, qui nous rend
indignes
&
incap~bles de goOrer les beautés réelles. Ainli fur une
im–
preffion confofe
&
machioale, ou bien on établira de
faux príncipes de
goltt,
ou, ce qui n'en pas moios dan–
gereux, on érigera en príncipe ce qui efi en foi purc–
men t arbitraire; on retrécira les bornes de l'art,
&
on
prefcrira des limites
3
nos plaifirs , paree qu' on n'en
voudra que u'une fe ule efpece
&
daos uo feul genre;
oo tracera auwur du talent un cercle étroit dont on ne
luí permettra pas de fortir.
C'efi
3
la Philofophie
a
nous déli vrer de ces líen' ;
mais elle ne fauroit mettre trop de choix dans
les ar–
mes dont elle fe
fert pour les brífer. Feu
M.
de la
Motte a avancé que les vers n'étoient pas efleotiels aux
picces de théatre : pour prouver cette opinion, tri: -foO–
tenable en elle-mi' me, il a écrit coorre la Poélie,
&
par-13 il n'a fait que ouire
a
fa caule; il ne luí re
!lo;[
plus qu'a écrire cootre la Mulique, pour prouver
qn~
le chant n'efi pns erreotiel
a
la tragédie . Saos
COOI–
ba!lre le pré¡ugé par des paradoxes,
il
avoit, ce me
femble, un moyen plus court de l'attaqucr; c'étoit d é·
crire Ines de Cafiro en pro fe ;
1'
eureme
iotér~t
d•t
fujet perrnettoit de rifquer l'innovation,
&
peut-étre an–
rions·nous un gcnre de plus . Ma1s !'envíe de
fe di–
fi ioguer fronde les opinions daos la théorie,
&
l'amour·
propre qui craint d'échoüer les méoage daos la prari–
que. L es Philofophes font le contraire des legislateurs;
cenx-ci fe difpenfeot des lois qu'ils impofeot, ceux-la
fe foOmettent dans leurs ouvrages aux lois qu'ils con–
damneot daos leurs préfaces .
Les deux caufes d'erreur dont nous avoos parlé ju í–
qu'ici, le défaot de fcolibilité d'une pan,
&
de l'au–
tre trop peu d'atteotion a dérneler les príncipes de no–
trO plaifir, feront la fource érernelle de la d1fpute tant
de fois reoouvellée fur le mérite des ancieos :
leurs
partifaos trop eothoufiafies fon t trop de graces
a
l'eo–
femble en fa veur des détails; leurs ad verlaires trop rai–
fonnours ne reodeot pas alfe?. de JUfiice aux détails
par les vices qu'ils remarqueot daos l'enfemble ,
'
11
ell une autre efpece d'erreur dont le philufophe doit
avoir plus d'atteotion
:l
fe garantir, paree qu'il luí cll
plus aifé d' y tomber; elle coofifie
~
tranfporter aux
objets du
goút
des
prioci~es
vrais en eux-mC::rnes, ma ·•
qui n'ont point d'applicauon
ii
ces objets. On connoit
lo
célebre
'l.".'il
mo,rút
d~
vieil Horace,
(,¡
on a bl1-
mé avee
rn~loo
le
'ers f01vant: cependant une méta·
phyli~ue
cornmune ne manqueroit pos de fopbifAleS poor
le
JUfiitier. Ce fecond vers , dira·t·on , efi oéceflairo
poar