DES EDITEURS.
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qU'a
lui: ceux: qui l'ont osé fuivre les premiers dans les ténebres, Ol1t au moins
marqué du courage; mais il n'ya plus de gloire
a
s'égarer fur ces traces depuis
que la lumiere dI: venue. Parmi le peu de Savans qui défendem encore fa do–
ttrine, il eut défavoüé lui-meme ceux qui l1'y tiel1nent que par un attachement
fer,:,ile
a
ce qu'ils ont
appr~s
dans. leur' enfance, ou piu' .je ne [ais q,uel préjugé
nanonal, la honre de la Phl10[opble. Avec de te1s 1110rlfs on peut erre le der–
nier de fes partifans; mais on n'auroit pas eu le mérite d'etre fon premier di–
feíple, ou plutot on eut été fon adverliüre, lorfqu:il n'y avoit que de l'injufrice
a
l'etre. Pour avoir le droit d'admirer les erreurs d'un grand homme, il f¡¡ut
favoir les reconnoltre, quand le tems les a mires au grand jour. Allffi les jeunes
gens qu'on regarde d'ordinaire comme d'affez mauvais juges, font peut-etre les
meilleurs dans les matieres philofophiques
&
dans beaucoup d'autres, lorfqu'ils
n~
font pas dépourvfrs de lamiere; parce que tout leur étam également nouveau,
ils
n'ont d'autre iméret que ce1ui de bien choifir.
Ce [ont en effet les jeunes Géometres, tant en France que des pays étran–
gers, qui om réglé le fort des deux Philo[ophies. L 'ancienne efr tellement pro–
[crite , que fes .plus zélés partifans n'ofellt plus meme nommer ces tourbillollS
dom ils rempliffoient autrefois leurs Ouvrages. Si le Newtoniani[me venojt
a
etre
détruit de nos jours par quelque caufe que ce put etre, injufl:e ou légitime, les
feétateurs
nom~reux
qu'il a maintenant joueroient fans
dout~
alors le rr..eme rol.e
qu'ils . ont fait Joüer
a
d'autres. Telle eil: la nature des efpnrs: telles font les fU!–
tes de l'amour-propre qui gouverne les Philofophes du ll10ins autanr que les au–
tres hommes,
&
de la contradiétion que doivent éprouver tontes les
décou~er
res, ou meme ce qui en a l'apparence .
11
en a été de Locke
a
peu-pres comme de Bacon, de Defcartes,
&
de New–
ton. Oublié long-tems pour Rohaut
&
pour Regis,
&
encore affez peu connu
de la multitude,
iI
commence enfin'
a
avoir parmi nous des leaeurs
&
quelques
partifans. C'efr ainfi que les perfonnages illufrres, fouvem trop au-detlus de leur
[¡eele, t.¡availlent prefque touj01;rs en pure perte pour leur {¡ecle meme; c'efr
aux ages fuivans
qu'i1
efr ré[ervé de recueillir le fruit de leurs lumieres. Auffi
les reíl:aurateurs des Sciences ne joüiffent-ils prefque jamais de tonte la gloire
<Ju'ils méritent; des hommes fort inférieurs la leur arrachent, parce que les grands
liommes fe livrent
11
leur génie,
&
les gens médiocres
a
celui de leur nation.
n
efr vrai que le témoignage que la fupériorité ne peut s'empecher de fe rendre
a
elle-meme , fuffit pour la dédommager des fuffrages vulgaires: elle fe nourrit
de [a propre fubfrance;
&
cette réputation dont on efr fi avide, ne fen fou–
vent qu'i confoler la médiocrité des avantages que le talent a fur elle. On peut
dire en eflet que la Renommée qui publie tout, raconte plus f0uvent ce qu'elle
entend que ce qu'elle voit,
&
que les Poetes qui lui ont donné cent bouches.
devoient bien auffi lui donner un bandeau.
La Philo[oprue, qui forme le gOllt dominant de notre fieele, femble par les
progres qu'elle fait panni nous, vouloir réparer le tems qu'elle a perdu,
&
[e
venger de I'efpece de mépris que lui avoient marqué nos peres. Ce mépris efr
aUjol;lrd'hui retombé [ur I'Erudition,
&
n'en efr pas plus jufre pour avoir changé
d'obJet. On s'imagine que nous avons tiré des Ouvrages des Anciens tout ce qu'il
nous importoit de [avoir;
&
[ur ce fondement on difpenferoit volontiers de leur
peine ceux qui vont encore les confulter.
Il
femble qu'on regarde l'antiquité
comme un oracle qui a
tOJ.Itdit,
&
qu'il efr illlltile d'inrerroger;
&
1'0n neofait
guere plus de cas aujourd'hui de la refritution d'un paffage, que de la décou–
verte d'un petit rameau de veine dans le corps humain. Mais comme il feroit
ridicule de croire qu'il n'y a plus rien
a
découvrir dans
l'
Anatomie, parce que
les Anatomifres fe livrent quelquefois
a
des recherches , inntiles en appnrence,
&
fouvent utiles par leurs ruites;
iI
ne [eroit pas moins abfurde de vouloir in–
terdire I'Erudir on, fons pretexte des recherches peu importantes auxquelles nos
Savans peuvent s'abandonner. C'efr etre ignorant ou préfomptueux de Cl'oire
que tout foit vu dans quelque matiere que ce puifIe etre,
&
que nous n'ayons
plus aucun avantage
a
tirer de l'étude
&.
de la leéture des Anciens.
L 'ufage de tout écrire aujourd'hui en Langue vulgaire, a contribué fans donte
a
forrifier ce préjugé,
&
efr peut-erre plus pernicieux que le préjugé meme .
Notre Langue étant répandue par toute I'Europe, nous avons cru qu'il éroit
tems de la fubfrituer
a
la langue latine, qui deruis la renaiffance. des Lettres
étoit celle de nos Savans. ]'avoüe qu'un Philofophe eft beaucoup plus excufa–
ble d'écrire en
Fran~ois,
qu'un
Fran~ois
de faire des vers Latins; je veux bien
E .
me-