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~IZ.

AMO

Un pere étoit naturellement le chef de fa famille; la

f.1mille en fe multipliant devint un peuple ,

&

consé–

<jucmment le pere de famille devint un roi _ Le tils alné

fe crut fans doute en droit d'hériter de f(i)1l autorité,

&

le fceptre [e ptrpétua ainfi dans la meme maifon,

ju[qu'~

ce qU'Ull

foldat heJlreux

ou un [ujet rebelle devint la ti–

ge premiere d'uoe nouvelle race_

U

11

roi pouvallt erre comparé

¡¡

un pere, on peut ré–

ciproquement comparer un pere a un roi,

&

déterminer

ainli les devoirs du mouarqne par cenx du chef de fa–

mille,

&

les obligations d'un pere par celles d'nn fon–

ver3in:

aimtr, gOllvcrntr, rltompenftr

&

p"nir,

voila,

je crois, tout ce qu'ont

3

faire un pere

&

un roi_

Un pere qui n'aime poim fes enCans

ea

un monare:

un roi qui u'aime point fes [ujets en Ul! tyran _ Le pere

&

le roi font ¡'uu

&

I'autre des images vivantes de Dieu,

doDt l'empire

ea

fondé fur

I'amo"r

_

L a Nature a fait

les peres pour

1

'av2mage des cnfans: la fociété a fait les

rois pour la félicité des peuples:

i1

fallt done néceífai–

remem un chef daos une famille

&

dans un état: mais

fí ce chef en indiffétent pour les membres, ils ne [erom

autre chofe

a

fes yeux que des inarumens faits pour fer–

vir a le rendre heureux _ Au contraire, traiter avec bonré

ou fa famille ou ron état, c'ell pourvoir

¡¡

fon intérct

propre _ Quoique fiége principal de la rie

&

du fenti-,

ment, la tete ea toujours mal affife [ur un tronc mai–

gre

&

décharné_

Meme parité entre le gouvernement d'uoe famille

&

celui d'un état _ Le .maltee qui régit l'une ou I'autre,

a deux objets a remplir: I'un d'y faire régner les mamrs,

la vertu

&

la piété: l'autre d'en écarter le trouble, les

defal1res

&

l'indigence: .

c'ea

l'

amollr

de I'ordre qui doit

le conduire,

&

non pas ceue fmeur de dominer, qui

fe llalt

ii

pou(Jer

a

bout la docilité la mieux éprouvée.

e pouvoir de

r/compen[er

&

punir

ea

le nerf du

gouvernfmem. Dieu lui· meme neocommande rien , fans

cffrayer par des menaces,

&

inviter par des prometres .

Les deux mobiles du cceur humain fom I:efpoir

&

la

crainte. Peres

&

rois , vous avn dan

s

vos mains tout

ce qu'il faut pour toucher ces deux paffions. Mais fon–

gez que I'exaél:e juaice

ea

auffi foigneufe de récompen–

fer, qu'elle ea attentive

3

punir. D ieu vous a établis

fur la terre fes fubíliruts

&

fes repréfentans : mais ce

n'ea pas uniquement pour y tonner;

c'ea

auffi pour y

répandre des pluies

&

des rosées bienfaifames_

L'amour paternel

ne differe pas de

I'amo"r ¡ropre .

Un eufant ne fubfiae que par fes parens, dépen d'eux,

"iem d'eux, Icut doit tout; ils n'om rlen qui leur foit

{j

propre. Auffi un pere ne fépare poim I'idée de fon tils

de la (jenne,

a

moins que le tils_n'affoibliífe cene idée

de propriéré par quelque comradiél:ion; mais plus un pere

s'irrite de ceue conrradiél:ion, plus il s'afllige, plus il

prouve ce que je dis _

A

M

o

U

R F

J

L

J

A

L E T F R

A

TER N EL_

Comme

les enfans n'ont nul droit fur la volomé de leurs peres ,

l a leur étaut au contraire toujours combauue, cela leur

fait fentir qu'ils fom des erres

a

pan,

&

ne pellt pas Icur

infpirer de l'amour- propre; paree que la propriéré Ile

[.1U–

roit

~tre

du cÓté de la dépendance _ Cela el1 vifible:

c'ea

par ceue raifon que la tendretre des enfans n'ea

p3S auffi ' vive que celle des peres ; mais les lois Ont pour–

vu

a

cet inconvéuient. EHes fout un gamnt au! peres

contre l'ingratitude des enfans, comme la natme erl aux

~nfans

un Ótage afsul é contre I'abus de lois.

11

étoit ,

Jul1e d'afsurer

11

la vieiHelle ce qu'elle accordoit

3

I'en–

fanee _

La recollDoitrallce prévient dans les eDfans bien nés

ce que le devoir leur impofe, il eft dans la faine na–

ture d'aimer ceux qui nons aiment

&

nous protegent,

&

I'habitude d'l1ne jufte dépendance fait perdre le fcmi–

mept de la dépendance

m~me:

mais il fuffit d'etre hom–

me pour erre bon pere;

&

fi on n'ea homme de bien, il

eft rare qu'on foit bon tils.

Du reae, qu'on metie

á

la place de ce qui je dis la

fympathie ou le fang;

&

qu'on me faífe entendre pour–

quoi le fang ne

par.le

pas autant dans les enfaDs que dans

les peres; pourquOl la fympathie périt quand la f011mif–

fíon diminue; pourquoi des freres [ouveut fe ha"!(Jctlt fur

.des fondemens fi

1

égers,

&

e.

Mais quel

ea

dnnc le nceud de I'amitié des ITeres ?

Une fortune, un nom commun, meme naiífance

&

meme éducation, quelquefois meme caraél:ere' eotin

l'habitude de [e regarder comme apparteoant les u'ns aux

autres ,

&

comme n'ayant qu'un feul erre; voil. ce qui

fair que I'on s'aime, voilil

I'amoftr propre,

mais trouvez

je moyen de féparer des freres d'intl'ret, I'amitié lui fur–

vit a peine; I'amour-propre qui en étoie le fond [e porte

vers d'autres objets_

AMO

AMOUIt DI': L'ESTIME .

II

n'ea

p:ts faeile

de

trouver

la

premiere

&

la plus aneienne raifon pour la–

quelle nous aimons

:l.

erre caimés. On ne fe fatisfait

point la-deífus, en difanr que nous delirons l'efEme des

:Iutres, a caufe du plai(jr qui

y

ea

attaché; car com–

me ce plailir

ea

un plailir de réflexion la difficülté

fnbfiae, puilqu'il reae touJours

3

favoir pourquoi ceue

efiime, qui

eU

quelque chofe d'étraoger

&

d'éloigné

iI

narre égard, fuit notre fatisfaél:ion.

On ne réuffit pas mieux en alléguallt l'utilité de la

g loire; car bien que l'el1ime que nous acquérollS nous

Cerve :\ nous faire réuffir dans nos deífeins,

&

nous

procure divers avamages dans la fociété,

i1

Y :\

des

circoufiances 011 ceue fuppolition ne (auroit avoio lieu _

Quelle utilité pouvoienr cnvifager Mlltins, Léonidas ,

Codrus, C«rtius,

&e_

&

par quel intér':t ces femmes

lndienn~s

qui fe font bruler apres la mort de leurs

maris, cherchent-elles en dépit

m~me

des lois

&

des

remontrances, une eaime

¡¡

laquelle elles ne furvivellt

.point?

Quelqu'un a di! fur ce fujet, que l'amour-propre

nourrit avec complaifahce une idée de nos perfeél:ions,

qui ea comme fon idole, ne po'Uvant foulttir <:e qui

choque cene idée, comme le mépris

&

les injuílices,

&

recherchant au contraire avec' paffion tout ce qui la

fiate

&

la groffit, comme I'caime

&

les loüanges.

Sur

ce principe, I'utilité de la gloire conliaeroit en ce que

I'cílime qile les autres fom de notlS contirme la bonne

opinion que nous en avons nous· ml: mes. Mais ce qui

nnus montre que ce n'el1 point la la principale , ni me–

me I'unique fource

de_I'omoftT de !'e/lime;

c'ea qu'il

arrive prefque toujours que k!s hommes font plus d'é–

tat du mérite apparent qui leur acquiert l'el1ime des

antres, que du mérite réel qui leur anire Ieur propre

eaime; ou li vous voule1-, qu'ils aiment mieux avoir

des dl'fauts qu'on e!lime, que de bonnes qualités qu'on

n'eaime point dans le monde;

&

qu'il y

a

d'ailleurs

une intinité de perfonnes qui cherchent

ii

fe faire con–

fidérer par des qualités qu'elles favem bien qu'ellcs n'ont

pas ; ce qui prouve qu'elles n'om pas reeours

a

une

erlime érrangere, pour contirmer les bons [elltimens

qu'elles ont

d'eJles-m~mes_

Qu'on cherche tant qu'on voudra les fources de cet–

te inclination, je fuis perfuadé qu'on n'en trouveta la

raifon que dans la fagetfe dn Créateur _ Car comme

D ieu fe fert de I'amour du plailir pour conferver no–

rre corps, pour en faire la propagatlon, pour nous unir

les uns avec les autres, pour nous rendre fenfibles au

bien

&

ii

la confervation c\e la fociété; il n'y a point

de doute auffi que fa fageífe ne fe ferve de

I'amo",..

de /'eflimc ,

pour nous défcndre des abaillemens de la

volupté,

&

faire que DOUS nous portions aux nél:iorts

honneees

&

loüables, qlli

con~lennent

li bien

¡,

la di–

gnité de notre nature _

Cette précautiol1 u'auroit poinr été néceífaire , li

la

raifon de I'homme eut agi feule en lui,

&

indépen–

dammem du fentimenr; car cwe raifon pouvoit lui

montrer I'honnete,

&

meme le lui faire préférer

a

I'a–

gréable: mais, parce que cetre raifon ea partiale,

&

JU–

ge fouvem en faveur du plaifir, attacham l'honl1eur

&

la hienféance

a

ce qui _Iui plalt; il a plu a la fagetre

du Crl'ateur de nous donner pour juge de nos aél:ions,

1 0n-feulement notre raifon, qui fe laiífe corrompre par

la volupré, mais encore la raifon des autres hommes,

qui n'efi pas

Ii

facilement ' féduite_

A

M

o

U R - PRO P R E

&

de nOfu-mema

_

L'amour

ea

une complaifance dans I'objet aimé _

AiYaer ftne cho–

fe,

c'ea fe complaire daos fa poífeffion, fa grace , fon

accroitrement ; craindre fa privation, [es déchéances,

& e_

Plu(jeurs philofophes rapportent généralement

a

I'a–

mo"r-propre

toute forte d'attachemens; ils prétendent

qu'on s'approprie tout ce que I'on aime, qu'on n'y

cherche <¡ne fon plailir

&

fa propre fatisfaél:ion; qu'on

fe met Íoi-meme avam tout; Jufque-Iii qu'ils niem que

celui qui donne fa vie pour un autre, le préfere

a

foi_

lIs patrent le but en ce point; c&r

li

l'obJee de notre

amour nous ea plus cher que I'cxiaence fans I'objet de

notre amour,

i1

parolt que c'eft no¡re amour qui ea 110-

tre paffion dominante,

&

non notre individu propre;

puifque tout nous

é~happe

avee la vie, le bien que

nous nous étions approprié par notre amour, commc

110tre

~tre

véritable .

lis

répondem que la poífeffion

nous fait confondre dans ce

f.~critice

notre vie

&

ceHe

de I'objet aimé; que nous croyons n'abandonner qu'

une partie de

nous-m~mes

pOllr conferver I'autre:

au

moins

ils

nc peuvcnt nier que

celle

que nous confer-

VODS