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LIVRE QUARANTE-CINQUIEME.
tete, commenous l'avons dit, Mural et Ney der–
ricre la gorde, Eugene derricre eeux-ei, Davoust
derricre tous les autrcs, avec la clrnrge de les
protéger. C'ctait en particulier 1 celte arriere–
garde qu'on dcvait cssuyer le plus de difficullés
et courir leplusde périis. Elle l'éprouva crucllc–
ment pendan! les trois journées employées
a
se
rcndrc de Malo-Jaroslawctz
a
Mojalsk par We–
rcja. Les troupes de cirnquc corps
devan~aient
lcurs bagagcs, afin d'arrivcr le plus tót possible
au lieu oú elles dcvaicnt passcr la nuit, et s'in–
quiétaient fort peu de la queue de ces bagages,
qu'clles laissaient trainer loin derricre elles.
Célnit
l'arriCre-gardc
qui en avail l'embarras,
parce que dcvant couvrir la marche elle était
obligéc de s'arrCter
a
taus les passages, souvcnt
de réparer les ponts qui n'avaicnt pu résister
1t
de trop lourds fardeaux, d'y restcr en position
sous un feu d'artillcrie incommode, et au milieu
des hourras continucls des Cosaqucs. Une eava–
lerie nombreuse et bien montéc aurait été indis–
pensable pour aidcr l'infanteric dans ce pénible
scrvice. Mais
a
la troisicmc marche, celle du gé–
néral Grouchy, courant toutc la journéc pour
veiller sur nos derriércs et nos ailes, et obligée
le soir d'allcr chercher au loin ses fourragcs,
était si fatiguée, que le maréchal Davoust, la
voyant menacée d'unc dissolution totalc, envoya
ce qui en restait sur les devants de son corps
d'armée, et résolul de faire le service de l'ar–
ricre -garde avec son infanterie toute seule.
Cet intrépidc et soigneux maréchal ne quittait
pas ses troupes un moment, ''Cillant
a
tout Jui–
mcme' faisant réparer les ponts, déblaycr les
passages, détruirc Jes bagages qu'on ne pouvait
emmcner, sauter les caissons de munitions qui
n'avaicnt plus d'<tttelages. Déja on entcndait le
hruit sinistre de ces cxplosions qui
annon~aicnt
la
cléfaillance de nos rnoyens de transport, et on
voyait les routcs couvcl'tcs de ces voiturcs dont
on n'avait pas voulu faire le sacrifice en sortant
de Moscou, et dont il fallait bien se séparcr rnain–
tenant, fautede pouvoir les trainer plus loin
!
11
y avait un sacrilicc plus pénihlc encorc, e'était
celui des blcssés, et malhcureusemcnt il se re–
noul'clait
a
chaquc pas. On avait ramassé commc
on avait pu les blcssés de Malo-Jaroslawctz, on
avait ensuite forcé toutes les voiturcs de bogagcs
1t
s'en chargcr, sans en cxcmptcr les voiturcs de
l'état-major, et le maréchal Davoust avait an–
noncé qu'il ferait hrüler cellcs qui n'auraient pas
gardé le précicux dépót qu'on lcur avait confié.
On avait ainsiobtenuclu moins pour les premiers
jours le transport de ces blessés, mais les braves
soldats de l'arriere-garde, qui couvraicnt l'arméc
de leur dévouement, n'avaient personne pour les
recueillir quand ils étaicnt attcints, et on les
entcndait·pousscr des eris déchirants, et supplicr
en vain lcurs camaradcs de ne pas les laisser
moul'ir sur les routes, privés de sccom·s, ou
achcvés par la lance des Cosaques. Le maréchal
Davoust faisait placer sur les affuts de ses canons
tous ccux qu'il avait le temps de relevcr, mais
a
chaquc pas
il
était obligé d'en abandon.ncr qu'on
n'avait ni le loisir ni le moyen d'cmportcr, et le
creur de fer de l'inOexiblc maréehal ·en était lui–
memc déchiré. 11 mandait ses cmbarrns a l'état–
major général, qui, marchant en tete de l'armée,
s'occupait trop pcu de ce qui se passait
lt
sa
queuc. Napoléon s'étant habitué dcpuis long–
temps
¡,
s'en ficr
a
ses licutenants 'des détails
d'exécution, n'ayant d'ailleurs plus aucunc
manreuvrc
3.
ordonner, n'ayanL qu'8 chcminer
tristement au pas de son infanteric, voyant déja
bcaucoup de maux sur la route, en prévoyant de
plus grands encorc, profondémcnt humilié de
ccttc retraite que plus ricn ne dissimulait, Na–
poléon
commcn~a
de se rcnfcrmcr dans l'état–
major général, se bornant, sans aller y veillcr
lui-mcme,
1t
blamer le mai·échal commandant
l'arricre-gardc, qui, disait-il, était trop métho–
cliquc, et marchait trop lentemcnt. Pnr surcroit
de malheur, dansson irritation contrc les Russcs,
il avait ordonné de brülcr tous les villages que
l'on travcrsait. C'cst un soin qu'il cut fnllu aban–
donncr
a
l'arricrc-garde' qui cut mis le feu
quand clic n'aurait plus cu aucun avantagc
1t
tirer des villages oú l'on passait, mais ehacun se
donnant le cruel plaisir de répandrc !'incendie,
le '1" corps trouvait le plus souvcnt en Oammcs
des villagcs ou il aarait pu se procurcr un abri
et des vivres.
On cmploya ninsi trois pénibles journécs
a
gagncr Mojaisk par Wercja. Malgré ces pre–
micres peines de la rctraitc, qui étaient prcsque
exclusivcmcnt le partagc du 1" corps, la con–
fiance était cncorc dans tous les creurs. Arrivé
a
Mojaisk, on avait
a
faire sept ou huit marches
pour gagncrSmolcnsk;le tcmps, quoique froid la
nuit, continuait
a
etre beaulejour, et on se flat–
tait, nprcs quclqucs rnomcnts de souffrance, de
trouvcr a Smolensk le rcpos, l'abondancc et de
chauds quarticrs d'hivcr.
Le maréchal
~Iorticr
avait rejoint l'arméc
a
Wcrcja. Aprcs avoir fait sauter le Kremlin dans
la nuit du 25 au
24,
il était sorti de
~loscou
avec