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LIVRE QUARANTE-QUATRIEME.
ment changéc au profit des Husses. Bien qu'en
foit Kutusof etH lort, puisque Mural ne dispo–
sait que d'un détachement, il avait théoriquc–
ment raison, ·et sa penséc fondamentale élait
pa1'faitcment sage. En conséquence il résolut <le
se relirer plus loin sur la route de Kalouga,
aussi loin qu'il le faudrait pour éviter Murat,ca1·
il n'y avait pas de milieu, il fallait ou l'attaquer
ou l'éviter.
Ayant pris re dcrnicr partí, on rélrograda en–
eore le 27, en lcnant tele cependant i1 Murat,
qui dcvcnait pressant sur la droitc, landis que le
marécbal Ilessicres se mont1·ait entreprenant sur
la gauche, et les jours suivants on alla s'établir
suceessivement o Woronowo, it Winkowo, et
enfin 1Taroulino derricrc la Nara. (Voir la carte
n'
55.)
Dans son projct d'évitcr une bataille, le
général Kutusof ne pouvait pas mieux faireque
de rét1·ogradcr jusqu'au point oú il trouverait
une posilion asscz forte pour anCtcr les Fran–
g;lis.
LaNara
cst une
riviCrc
qui
'naissanl
commc
la Pakra pres de la route de Smolensk, aux en–
virons de Krimskoié, vicnt tourncr aulour de
Moscou, mais en <léerivant un are plus étendu
que la Pakra, ce qui, au lieu <le la fairc aboutir
dans la Moskowa, la conduit jusqu'o l'Oka. Ses
rivcs sonl escarpées, surtout sa rivc droitc, oti
s'étaient postés les Russcs, et on pouvait y éta–
blir un carnp prcsque inexpugnable. C'est ce
r¡uc résolut le général Kutusof, et ce qu'il mit
bcaucoup de soin i1 exéeutcr. 11 se proposait la,
landis qu'il scrait bien nourl'i par les magasins
de Kalouga, d'appclcr ses rccrues, de les verser
dans ses cadrcs, de les instruire, et de rcporter
son armée
h
un nombre tcl, 11u'il ptlt enfin af–
frontcr les
Fran~ais
avcc avantagc. llcssiCrcs et
Murat l'ayant suivi jusque-li1, s'arrcterent dans
l'attitudc de gens qui n'avaient pas renoncé
a
l'offensivc, mais qui allcndaient de nouvcaux
ordres. lis étaicnt en effet i1 vingt licues en ar–
riere de Moscou, presquc sur la route que nous
avions suivie pour nous
y
rcndrc, et assez prCs
de Mojaisk oú s'était livrée la bataille de la
Moskowa. Pousser plus loin ne pouvait étre que
le résultat d'unc grande et <léfinitivc détcrmi–
uation, que lcu1· maitre scul était capable de
prcndre.
C'étaiL pour Napoléon un moment grave, qui
allait décidcr de eette campagne et probablc–
rnent de son sort. Aussi ne ccssait-il au fond du
Kremlinde médilcr sur le parti auqucl il dcvait
se résoudre. Exposcr l'armée
a
de nouvclles
fa–
tigues pour courir 3prCs les Russcs, sans laccr·
titude de les atteindre, et pour l'unique avan–
tage de leu1· livrcr cncorc quclque eombat plus
ou rnoins mcurL1·ier, n'étaiL pas aux yeux
de
Napoléou unerésolution admissiblc. L'infantcrie
était tres-fatiguéc et fort amoindrie par lama–
raudc; lacavaleric étnit ruinée. L'arrnéc cntiCrc
a
peineentréc i1 Moscou, et depuis qu'cllc y était
ayant passé presquc toutes ses journées
a
se dé–
battre contre !'incendie, n'avait pas eu le loisir
de respirer. C'est tout au plus si clic avait gouté
cinq a six joursd'un vrai repos.
JI
fallait done la
ménagcr, et ne la tirer de son immobilité qu'au
momcnt de prcndre un partí décisif. Mais ce
partí, le tcmps était venud'y penser, car le mois
de septembre s'élant écoulé, et aucune répouse
aux ouvcrturcs qu'on avait cssayées n'élant ar–
rivéede Saint-Pétersbourg, il fallait songer ou i1
s'établir a Moscou , ou a quitter cette capitale
pour se rapprocher de ses magasins, de ses ren–
forts, de ses communications avec la F1·ancc,
c'cst-a-dire de la Pologne.
Hiverner
it
Moscou était une résolution qui au
premicrabord n'avait l'approbation de personnc,
car pcrsonnc n'admcttait qu'on pút s'immobiliscr
peodant six mois o dcux cents licues de Wilna,
a
trois cents de Dantzig,
a
sept cents de París,
avec le plus grand doute sur les moyens de
nourrir l'arméc, avec la perspect.ive d'ctre bloqué
non-seulcment par l'hiver, mais par toutes les
forces russcs. Quitter Moscou, po111· retourncr
en Polognc, était au contraire une idé'é qui ré–
pondait
a
la pcnséc de tous, Nnpoléon seul
excepté. Pour luí, quitter Moseou c'était rétro–
gradcr, c'était avouer au monde qu'on ava)t
commis une grande fautc en marcliant sur ccttc
capitale, qu'on <lésespérait d'y trouvcr ce qu'on
était \'enu y chcrcher, la 1•ictoirc et la paix;
c'était rcnonecr a cette paix, ressource la plus
prompte,et inconlestablemcnt la plus stire de se
tircr de l'crnbarras oú l'on s'était mis en s'avan–
~ant
si loin; c'était déchoir, c'était perdre en
partic, peut·Ctrc en enticr, ce prcstigc qui te·
nait l'Europc subjuguéc, la Francc el!c.mcme
docilc, l'armée confiante, nos alliés fidclcs; c'était
non pas dcscendrc, mais lomber de l'irnmcnse
hauteur
ii
laquelle on était parvenu.
Aussi fallait-il s'attend1·e que NaporélflÍ nc
prendrait ce partí qu'o la dernicrc extrémité; el
ce n'était pas l'orgucil scul de ce grand hommc
qui répugnait
a
un mouvcmrnt rétrogradc,
c'était le sentimcnt profond de sa siluation pré–
sentc; ca1· ilsuffisait d'un doutc inspiréau monde
sur la réalitéde ses forces, pour que tout l'édificc