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LIVRE CINQUANTJEJ\1E.
Wutten-Neiss se joint
a
la Katzbach, et ou Blucher
n'osa pas nous poursuivre. .
Cette échauffourée sur un seul p'oint, laquclle
nous avait coúté tout au plus un rnillier d'hom–
mes, suffit pour convertir en une espece de dé–
route générale une opération qui avait réussi sur
le reste de
notr~
ligne. En effet, les généraux
Gérard et Lauriston, atlaquant avec une extreme
énergie les positions que Langeron avait succes–
sivement occupées et abandonnées, étaient déja
parvcnus en vue de Jauer, malgré le mauvais
temps, et allaieut"s'en emparer, lorsqu'ils furent
arretés par la nouvelle de ce qui s'était passé
a
Ieur gauche. Ils furent done sous peine d'im–
prudence contraints de rétrograder, et ils revin–
rent jusqu'a Goldberg ou ils entrerent vers mi–
nuit, dans un
ét.atfort triste, ayant rencontré en
route les débris des troupes battues sur le pla–
teau de Janowitz ; et ayant eu
a
traverser uq
immense encombrement de voitures embour–
bées, de blessés qu'on emportait avec la plus
grande peine par un temps devenu affreux. Il
fallut bivaquer comme on put , sous une pluie
continuelle, les uns dans Goldberg, les autres en
dehors, la plupart sans vivres, sans abri, en un
mot dans un état misérable.
C'est pour les traverses de ce genre que soilt
bons les vieux soldats. Au fcu , de jeunes soldats
menés par des officiers vigoureux sont plus impé–
tueux sans doute, parce qu'ils connaissent moins
le danger; mais au premier revers ils s'étonnent,
a
la premiere souffrance ils se rebutent , et sur–
tout s'ils sont depuis peu au drapeau, il suffit
d' un échec pour troubler tontes leurs idées , et
conv.ertir leur téméraire bravoure en abatlemeut
profond. Cependant avec des vivres on aurait pu
retenir nos conscrits dans les cadres, et, au retour
du soleil, avec une n'ouvelle impulsion donnée
par des chefs énergiques, on serait parvenu
a
leur
rendre la confiance. Mais il fallut, sans vivres,
sans abri, passer une nuit horrible, avec certi–
tude d'avoir le lendemain sur les bras quatre-vingt
mille hommes, victorieux ou croyant l'etre. Le
lendemain matin, le ciel, qui était encore chargé
d'eau, continua de verser sur nos soldats des tor–
rents de pluie. Heureusement la Katzbach, qu'on
avait repassée la veille, leur servit de protection
contre la poursuite impétueuse de Blucher. Elle
était tellement débordée, qu'a peine
il
put faire
passer sa cavalerie. On réussit done a se retirer
sans avoir l'infanterie des alliés sur les bras; mais
on fut poursuivi par une nuée de cavaliers que
nosfusils n'arretaientguere,
fa
ute de
pouvoi~
faire
feu. Nos jeunes soldats, plus fermes devant I'en–
nemi que devant le mauvais temps, opposerent
avec leurs bafonnettes une barriere de fer auxca–
valiers russeset prussiens' et parvinrent ainsi
a
les
contenir. Obligés néanmoins de s'éloigner
a
la
ha
te,
ils laisserent en arriere une grande partie deleur
artillerie embourbée, et il arriva que beaucoup
d'entre eux, rebutés ou mourants de faim, s'étant
éparpillés dans les villages pourvivre, f'urent pris,
ou initiésde borineheure au dangereux etcorrup–
teur métier de maraudeurs. Le corps du général
Souham, couvertpar la cavaleríe dugénéral Sébas–
tiani / put se reHrer sain et sauf
a
travers la plaine,
et gagner Buntzlau. Les corps des généraux Gé–
rard et Lauriston, plus vivement poursuivis, et
n'ayant pas de
grosse~avalerie
pour se couvrir,
trouverent un abFi dans les bois qui séparent la
Katzbach du Bober, entre Goldberg etLowenberg.
Ils y passerent la nuit un peu mieux abrités,
rnais pas mieux noarris que
la
veille. Ces deux
corps, rendas dans la journée du 28 en face de
Lowenberg, voulurent en vain
y
passer le Roher.
Le pont n'était pas détruit, mais
il
fallait pour
a1·riverjusqu'a ses abords traverser uneihoádation
detrois quartsde lieue d'étendue, et
il
n'y eut d'au–
tre ressource que de redescendre Ja rive droite
du Bober pour le franchiraBuntzlau, eú étaient
déja Souham et Sébastiani. Pour la prerniere fois
depuis trois jours, on trouva des toits et des suh–
sistances, bien disputés du reste, car on était cin·
quante milie au moins accumulés sur un seul point.
Le maréchal l\'laedonald, ferme, sage, expé–
rimenté, loyal, mais presque toujous malheuretlx
depuis la funeste journéee de la Trebbia, n'avait
pas le tort de s'abuser sur sa mauvaise fortune.
Aussi, rentré a Buntzlau, ne regardait-il pas
comme apaisée la cruelle fatalité qui le poursui–
vaít, et
il
tremblait pour la division Puthod, ha–
sardée seule au dela du Bober, j usqu'a la hauteur
de
Hirschber~.
On nepouvait avoir d'inquiélude
pour la division Ledru, Iaqu'elle avait cheminé
par la rive gauche qui nous appartenait, mais si
la division Puthod n'avait pas profité du pont
deHirschberg pourrevcniren
de~a
duBqber, son
sort était évidemment compromis. C'était en effet
cequidevaitarriver. Cette division ayant remonté
le Bober par une rive tandis que la division Ledru
le remontait par l'autrc, n'avait point usé du pont
de Hirschberg lorsqu'ilen était temps encore, et
s'était vue séparée par d'immeilses masses d'eau
de ses compagnons d'armes, qui luí tendaient
vainement les mains du haut de In rive gauche.
Le
2~
elleimagina dedescendre par la rive droite,