DRESDE ET Vl'l'TORIA. ·-
AOUT
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passion patriotique qui les animait, et qui les
portait a se roidir contre la défaite, qu'il faut
attribuer leur promptitude a saisir l'occasion de
Kulm! Autre lec;on profondément morale
a
tirer
de ces prodigieux événements, c'est qu'on doit
se gardar
~de
pousser les hommes au désespoir,
car en provoquant ce sentiment chez eux on leur
donne des forces surnaturelles, qui déjouent
tous les calculs, et surmontent parfois la puis–
sance mcme de l'art le plus consommé
!
Ces coalisés qui, en abandonnant le champ de
bataille de Dresde, se tenaient pour compléte–
ment battus, et se demandaient tristement si en
cherchant a vaincre Napoléon, ils n'avaient pas
entrepris de lutter contre le destin lui-meme,
tout a coup
a
I'aspect de Vandamme vaincu et
pris, se regarderent comme revenus a une
situation excellente, et crurent voir au moins en
équilibre la balance de la fortune. Pourtant en
comptant ce que leur avaient couté les deux
journées de Dresde, la pours"i.iite du 28 et du 29,
la journée mémc du 50, ils avaient perdu en
morts, blessés ou prisonniers, plus de 40 millc
hommes, et Ja défaite de Vandamme, apres tout,
ne nous faisait pas perdre plus de 12 a 15 mille
hommes~
en prisonniers, morts ou blessés. Mais
la confiance était rentrée dans leur ame, ils se
livraient a la joie, et loin de vouloir abandonner
la partie, et de Jaisser a Napoléon le temps d'al–
ler frapper les armées de Silésie et du Nord, ils
étaient résolus
a
ne lui accorder aucun repos, et
a le combattre sans relache. Dans ces bétacombes
immenses, 40 mille hommes ne comptaient
pour ríen; le sentiment des advcrsaires aux
prises était lout, et le sentiment des coalisés,loin
d'étre celui de la défaite, était presque déja celui
de la victoire. Pour eux, n'étre pas vaincus, c'était
presque vaincre, et pour Napoléon au contraire
ne pas anéantir ses adversaires, c'était n'avoir
rien fait. C'est
a
ces conditions extremes et a peu
pres impossibles qu'il avait attaché.son salut
!
Ajoutons en terminant ce douloureux récit
que le seul hornme qu'on etlt un moment opposé
jadis a Napoléon, Moreau, expirait tout pres de
lui,
a
Tann. On lui avait coupé les deux jambes,
et
il
avait supporté cette opération avec le cou–
rage tranquille qui était sa qualité distinctive.
Pourtant il avait horriblemcnt souffert. Trans–
porté sur les épaules des soldats ennemis de sa
patrie,
il
avait ·fait un traj et d'une vingtaine de
lieues au milieu de douleurs cruelles. De J'au–
tre cóté des monts, tous les souverains, le roi
de Prusse, l'empereur d'Autriche , l'empereur
Alexandre, s'étaient rendus aupres de son lit de
mort, et lui avaient prodigué les marques d'es–
time et de regret. Les plus grands personnages,
M. de Metternich, le prince de Schwarzenbcrg,
les généraux de la coalition, étaient venus le vi–
siter
a
leur tour; Alexandre l'avait tenu long–
temps serré dans ses bras, car il avait conc;u
pour luí une amitié véritable. Plutót embarrassé
que fier de ces témoig·nages, Moreau, dont l'ame
un instant égarée avait toujours été honnete,
Moreau s'in tenogeant lui-rneme sur le méritc de
sa conduite, disait sans cesse: Et pourtant je ne
suis pas coupable, je ne voulais que Je bien de
ma patrie! ...
Je
votilais l'arraeher a un joug
humiliant
!.. . -
Ainsi, tandis qu'on entourait
son agonie de rcspects, lui, tout occupé d'autre
chose, s'examinait, se jugeait au tribunal de sa
propre conscience, et n'avait de repos que lors–
qu'il s'était trouvé des excuses pour une conduite
qui lui valait de si hauts témoignages. Un autre
cri lui échappa plusieurs fois, ce
fut
celui-ci :
Ce Bonaparte est toujours heureux
! -
11 avait
proféré ces mots au moment ou le boulet l'avait
frappé, et il les répéta souvent avant d'expirer
!...
Bonaparte heureux
!.••
Il l'avait été,
il
pouvait le
paraitre encore aux yeux d'un rival expirant,
mais la Providcnce allait bientót prononcer sur
son propre sort, et lui infliger une fin plus triste
peut-ctre que celle de l\foreau, s'il y a une fin
plus triste que de mourir dans les rangs des
ennemis de sa patrie! Funestes illusions de la
haine ! On s'cnvie, on se hait, on se poursuit en
croyant heureux l'adversa irc qu 'on déteste, tandis
que tous, la tete courbée sous le fardeau de la
vie, on marche au milieu des memes douleurs
a
des malhcurs presque pareils
!
Les hommes s'en–
' 'ieraient moins, s'ils savaient combien avcc des
apparences différentes leur fortune est souvent
égale, et au Jieu de se diviser sous la main du
destin, s'uniraient au contraire pour en soutenir
en commuu le poids accablant
!