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DRESDE ET Vl'l'TORIA. ·-

AOUT

18f 5.

t89

passion patriotique qui les animait, et qui les

portait a se roidir contre la défaite, qu'il faut

attribuer leur promptitude a saisir l'occasion de

Kulm! Autre lec;on profondément morale

a

tirer

de ces prodigieux événements, c'est qu'on doit

se gardar

~de

pousser les hommes au désespoir,

car en provoquant ce sentiment chez eux on leur

donne des forces surnaturelles, qui déjouent

tous les calculs, et surmontent parfois la puis–

sance mcme de l'art le plus consommé

!

Ces coalisés qui, en abandonnant le champ de

bataille de Dresde, se tenaient pour compléte–

ment battus, et se demandaient tristement si en

cherchant a vaincre Napoléon, ils n'avaient pas

entrepris de lutter contre le destin lui-meme,

tout a coup

a

I'aspect de Vandamme vaincu et

pris, se regarderent comme revenus a une

situation excellente, et crurent voir au moins en

équilibre la balance de la fortune. Pourtant en

comptant ce que leur avaient couté les deux

journées de Dresde, la pours"i.iite du 28 et du 29,

la journée mémc du 50, ils avaient perdu en

morts, blessés ou prisonniers, plus de 40 millc

hommes, et Ja défaite de Vandamme, apres tout,

ne nous faisait pas perdre plus de 12 a 15 mille

hommes~

en prisonniers, morts ou blessés. Mais

la confiance était rentrée dans leur ame, ils se

livraient a la joie, et loin de vouloir abandonner

la partie, et de Jaisser a Napoléon le temps d'al–

ler frapper les armées de Silésie et du Nord, ils

étaient résolus

a

ne lui accorder aucun repos, et

a le combattre sans relache. Dans ces bétacombes

immenses, 40 mille hommes ne comptaient

pour ríen; le sentiment des advcrsaires aux

prises était lout, et le sentiment des coalisés,loin

d'étre celui de la défaite, était presque déja celui

de la victoire. Pour eux, n'étre pas vaincus, c'était

presque vaincre, et pour Napoléon au contraire

ne pas anéantir ses adversaires, c'était n'avoir

rien fait. C'est

a

ces conditions extremes et a peu

pres impossibles qu'il avait attaché.son salut

!

Ajoutons en terminant ce douloureux récit

que le seul hornme qu'on etlt un moment opposé

jadis a Napoléon, Moreau, expirait tout pres de

lui,

a

Tann. On lui avait coupé les deux jambes,

et

il

avait supporté cette opération avec le cou–

rage tranquille qui était sa qualité distinctive.

Pourtant il avait horriblemcnt souffert. Trans–

porté sur les épaules des soldats ennemis de sa

patrie,

il

avait ·fait un traj et d'une vingtaine de

lieues au milieu de douleurs cruelles. De J'au–

tre cóté des monts, tous les souverains, le roi

de Prusse, l'empereur d'Autriche , l'empereur

Alexandre, s'étaient rendus aupres de son lit de

mort, et lui avaient prodigué les marques d'es–

time et de regret. Les plus grands personnages,

M. de Metternich, le prince de Schwarzenbcrg,

les généraux de la coalition, étaient venus le vi–

siter

a

leur tour; Alexandre l'avait tenu long–

temps serré dans ses bras, car il avait conc;u

pour luí une amitié véritable. Plutót embarrassé

que fier de ces témoig·nages, Moreau, dont l'ame

un instant égarée avait toujours été honnete,

Moreau s'in tenogeant lui-rneme sur le méritc de

sa conduite, disait sans cesse: Et pourtant je ne

suis pas coupable, je ne voulais que Je bien de

ma patrie! ...

Je

votilais l'arraeher a un joug

humiliant

!.. . -

Ainsi, tandis qu'on entourait

son agonie de rcspects, lui, tout occupé d'autre

chose, s'examinait, se jugeait au tribunal de sa

propre conscience, et n'avait de repos que lors–

qu'il s'était trouvé des excuses pour une conduite

qui lui valait de si hauts témoignages. Un autre

cri lui échappa plusieurs fois, ce

fut

celui-ci :

Ce Bonaparte est toujours heureux

! -

11 avait

proféré ces mots au moment ou le boulet l'avait

frappé, et il les répéta souvent avant d'expirer

!...

Bonaparte heureux

!.••

Il l'avait été,

il

pouvait le

paraitre encore aux yeux d'un rival expirant,

mais la Providcnce allait bientót prononcer sur

son propre sort, et lui infliger une fin plus triste

peut-ctre que celle de l\foreau, s'il y a une fin

plus triste que de mourir dans les rangs des

ennemis de sa patrie! Funestes illusions de la

haine ! On s'cnvie, on se hait, on se poursuit en

croyant heureux l'adversa irc qu 'on déteste, tandis

que tous, la tete courbée sous le fardeau de la

vie, on marche au milieu des memes douleurs

a

des malhcurs presque pareils

!

Les hommes s'en–

' 'ieraient moins, s'ils savaient combien avcc des

apparences différentes leur fortune est souvent

égale, et au Jieu de se diviser sous la main du

destin, s'uniraient au contraire pour en soutenir

en commuu le poids accablant

!