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J.J
E T T R E
S
Soliman, mo]1. inc0mparable Soliman, seul confl–
dcnt de mes besoins et de mou iudigence, m'ap–
porta deux petils oiseaux grillés sur la braise ; les
chasseurs de notre caravaue lts lui avoient donnés.
J'en pris un, et je lui laissai l'autre; il y joignit un
hassin rempli d'un riz si solide, que la cuiller ponvoit
a
peine
y
entrer' et par malheur nous n'en avions
qu'une. Il n'étoit point
la
question de répugnances,
j'étois fait aux fac;:ons du pays; nous nous en srr–
vimes alternativement; il
commen~a
a
manger
le
premier , en me disarlt : mange , cela est bon, ne
crains rien. Nous bl'imes, daus la memc cruche, de
l'eau tant que nous voulúmes, sans frais et sans
scandale; je dis dans la meme cruche, en France
ce seroit incivil d'en user ainsi, et parmi eux ce seroit
n'~tre
pas homme d'en user autrement: ils affectent
une parfaite égalité. Dans notre route j'ai vu des
escla es Mores manger
a
la table de leurs ma1tres,
et choisir ce qui étoit de leur gotl.t. Tout cela est
contrc la politesse franc;:aise; mais ils prétendent eux
que cela est selon les lois de la nature et de l'hu–
man ité. Voici le príncipe d'ou ils partent: nous
sommes tous hommes, disent-ils, et par conséquent
tous égaux dans notre origine : un homme ne doit
avoir aucuue répugnance pour un autre homme. On
pourroit leur répoudre que cela est selon les lois
de la nature, mais non pas de la nature civilisée et
perfectionnée par l'éducation: ils n'entendent point
tous ces raisonnemens' et ils se moquent des regles
austeres et genantes de notre politesse.
De
Ja
nous arrivames a't1x portes d'une ville, et
nous n'y entrames point. Tous les habitans sortirent
en foule, les uns par curiosité , pour voir de nou–
veaux visages,
les autres. par inclination, pour
trouver des gens de counoissance. Les Turcs cher–
choient des Turcs, les Grccs cherchoient des Grecs,
et les
Cathol~ques
des Cadwliques. Comme
ie
n'étois